Photo: Noémie Brassard.
Photo: Noémie Brassard.

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Samedi 3 novembre, lendemain de la Commémoration des fidèles défunts. Je secoue mon parapluie et tend mon billet à une dame souriante qui me lance de sa voix claironnante : « Bienvenue au Salon de la mort, madame! » Et j’entre dans l’immense salle du Palais des congrès de Montréal, prête à découvrir ce que ce très médiatisé salon a à offrir.

Je visite scrupuleusement chaque station. Il y a de tout, du plus convenu au plus surprenant.

Plusieurs compagnies sont présentes pour vanter leurs services de préarrangements funéraires, d’autres pour pavaner leurs urnes écologiques ou faites à la main, certains encore pour offrir des services de photographie ou de vidéo, pouvant servir à faire mémoire des défunts.

Les kiosques les plus rutilants sont ceux des salons funéraires, et je note que la foule s’agglomère davantage et plus longuement autour de celui qui offre mousseux et biscuits…

Au centre de la salle trône un imposant arbre à souhaits dans lequel on peut laisser une pensée et cueillir une rose. Sous son feuillage artificiel, une file s’allonge pour essayer les casques de réalité virtuelle.

Ici, une artiste peint avec les cendres de votre papi. Là, un joailler en fait un pendentif.

Un peu plus loin, deux colombes roucoulent dans une cage, non pas celles de saint Joseph, mais plutôt celles qui pourraient s’envoler dans les cieux lors de vos funérailles.

Ici, une artiste peint avec les cendres de votre papi. Là, un joailler en fait un pendentif.

Dans les deux coins opposés de l’espace, se donnent des conférences : vivre un deuil animalier, plaidoyer pour le suicide assisté, pratiquer le yoga pour faciliter le deuil, alouette.

Le (lucratif) marché de la mort

Après un certain temps à déambuler et à écouter subtilement les conversations entre les exposants et les clients le public, je suis happée par l’absurdité de la chose. Si je me fie à la mission que s’est donnée le Salon de la mort, la majeure partie d’entre nous est venue ici pour s’informer, être accompagnée, être rassurée ou même pour célébrer.

Mais qu’allons-nous réellement trouver ici?

Je sais que je repartirai les mains pleines de dépliants, avec quelques gogosses gratuites en poche (des menthes à l’effigie d’un fabricant de cercueils : fallait y penser!), mais ce soir, quand je me coucherai, serai-je moins angoissée face à la mort?

Serai-je la seule à me dire qu’après avoir choisi mon lot, mon cimetière, il me faudra bien choisir où je vais vraiment passer mon éternité?

Au Salon, rien pour m’aiguiller : nulle part il n’est fait mention de la vie après la mort, même pas dans les kiosques les plus ésotériques. Quelques gouttes d’huile de pruche sous les pieds du mourant et il partira en paix, mais après, basta!

Certes, il est important de préparer les détails plutôt techniques de notre trépas, cela enlève un poids immense des épaules de nos proches. Ceci dit, est-ce vraiment rassurant de faire de notre mort une simple bonne affaire?

Maintenant que l’on peut acheter notre urne en ligne et chez Costco en un tournemain, n’aurait-on pas pu profiter de ce rassemblement autour de la mort pour se questionner à son sujet, pour en parler en vérité?

Regarder la mort en face

Nous l’avons lu, tout juste vendredi dernier, à la messe de Commémoration des défunts : « Il faut en effet que cet être périssable que nous sommes revête ce qui est impérissable » (1 Co 15, 53). Sommes-nous seulement un amas de matière dont il faut planifier l’entreposage de la manière la plus créative et originale possible?

Je peine à croire qu’on se donnerait autant de mal pour une question si simple. Les médias ont multiplié les entrevues avec Phoudsady Vanny, organisatrice de l’évènement (même Tout le monde en parle a saisi l’occasion). Au cœur du discours véhiculé, il y avait ce leitmotiv : il ne faut plus que la mort soit taboue.

Soit!

Les questions liées à la mort sont effectivement fondamentales et tout le monde s’y intéresse. La preuve : nous sommes très nombreux à avoir passé le tourniquet du Palais des congrès, en fin de semaine.

La mort demeure tout aussi taboue, tout aussi insensée pour notre société.

Le Salon de la mort est un bel effort, mais a toutefois quelque chose d’une mascarade, d’un détournement du regard.

La mort demeure tout aussi taboue, tout aussi insensée pour notre société. J’écris cela en ayant en tête une réminiscence de ce moment où un gentil monsieur m’a invitée à me déposer de tout mon long dans un beau grand cercueil bien luisant… sur l’air de The Show Must Go On. N’est-ce pas une parfaite image du décalage entre ce qui importe et ce sur quoi on insiste?

Ce n’est pas en banalisant la mort, en l’enrobant de sucre, d’artifices ou de stylos gratuits qu’elle sera moins scandaleuse, moins terrifiante, moins irrémédiable.

S’il y a une deuxième édition du Salon de la mort, je lance le défi à l’Église catholique de Montréal, à Vivre dans la dignité, à Campagne Québec-Vie, aux maisons de soins palliatifs (Maison Michel-Sarrazin, l’Oasis de Paix, etc.) et à d’autres de se réserver un kiosque.

Pour que ce Salon réponde aux soifs profondes des gens, on a besoin qu’il soit audacieux et nous parle de vie et d’immortalité.

Je propose même comme slogan pour l’an prochain : « Ô mort, où est-elle ta victoire? » (1 Co 15, 55).


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Noémie Brassard

Noémie est mère de 4 enfants. Dans son ancienne vie, elle a complété une maitrise en cinéma à l’Université de Montréal. Ses recherches portaient sur les films réalisés par les religieuses au Québec. Elle a préalablement réalisé deux courts métrages documentaires ayant voyagé plus qu’elle-même. Elle siège sur notre conseil éditorial.