« Nous ne suggérons pas que les patients et les médecins considèrent le cout lorsqu’ils prennent la décision – très personnelle et intime – de demander l’aide médicale à mourir, insiste le Dr Trachtenberg. Mais la réalité est telle que notre système de santé a des ressources limitées et que les décideurs se servent toujours d’évaluations économiques pour décider s’ils offriront un service. »
C’est ainsi que se termine un article de Radio-Canada intitulé L’État pourrait faire des économies grâce à l’aide médicale à mourir.
Les groupes de médecins contre l’euthanasie, certains organismes (sans affiliation religieuse) de promotion de la dignité de la vie humaine et l’Église catholique se sont souvent fait reprocher d’user du sophisme de la pente glissante lorsqu’ils évoquaient les risques de traitement comptable de l’euthanasie par l’État.
Ça n’aura pris qu’un an.
Une petite année et nous y sommes déjà. La pente n’était pas que glissante. Elle est extrêmement abrupte et législativement bien graisseuse.
Décision personnelle et intime
L’argument de la décision « personnelle et intime » comme rempart à toute forme de manipulation étatique est une grave insulte à l’intelligence de quiconque lit cette étude citée par Radio-Canada.
C’est une négation aussi simpliste que dangereuse de la complexité des relations humaines et des processus décisionnels, spécialement en des moments critiques* comme la fin de vie.
Concrètement, les décisions en fin de vie sont prises dans un contexte, avec des contraintes.
Ultimement, on peut souhaiter que les décisions soient le résultat du libre arbitre des principaux intéressés. Mais concrètement, les décisions en fin de vie – comme toutes décisions, faut-il le rappeler – sont prises dans un contexte, avec des contraintes.
À force de tout ramener au niveau de la subjectivité, on finit par transformer les citoyens en individus parfaitement malléables, vacillants au gré de désirs boostés par les marchands de bonheur.
Les personnes en fin de vie ne sont pas idiotes. Elles lisent les journaux. Elles regardent la télé. Bref, elles sont souvent bien conscientes que notre société sur-valorise la jeunesse et l’autonomie, et méprise toute forme de dépendance.
Combien d’entre nous, au moment d’accueillir un parent aîné (pour un souper, pour une semaine ou pour toujours), l’a entendu décliner l’invitation, prétextant qu’il « ne voudrait surtout pas déranger ».
Avec la large diffusion d’une telle étude, disons qu’on est en droit de douter que la décision de continuer à vivre soit parfaitement « personnelle et intime »…
Le paradigme comptable
On sait depuis longtemps que la notion de Bien commun a été évacuée du débat public pour faire place au paradigme hégémonique des « vraies affaires » : le rôle de l’État reviendrait essentiellement à aligner des colonnes de chiffres qui sauront satisfaire autant les contribuables lors de la prochaine élection que le monde des affaires qui garnira les coffres du parti (des partis ?) en vue de la prochaine campagne.
Pendant ce temps, contrairement à ce que prétendaient les ayatollahs de la bien-pensance dans les mois précédant l’adoption de la loi, l’organisme Vivre dans la dignité rapporte que « l’accès aux soins palliatifs n’a pas été amélioré et il n’y a eu aucun suivi à cet effet ».
Les gestionnaires à la tête de l’État savent présenter leur logique comptable avec politesse.
Bien sûr qu’aucun médecin ne se pointera devant un patient avec, en main, un mandat du Conseil du Trésor réclamant le lit d’hôpital qu’il occupait depuis un peu trop longtemps.
Ne vous méprenez pas. Les gestionnaires à la tête de l’État savent présenter leur logique comptable avec politesse.
On lui fera plutôt un joli sourire, on lui présentera tous les choix qui s’offrent à lui.
Et, à défaut de l’accueillir dignement à l’étage des soins palliatifs (parce que cet étage est inexistant ou déjà bien rempli), on lui souhaitera gentiment** la plus cordiale des bienvenues à Écono-land.
Notes :
* Ça me fait étrangement penser à toutes ces femmes dont on chante la liberté de choix face à l’avortement, mais qui se rendent seules à la clinique après avoir subi les menaces du conjoint ou de la belle-famille.
** L’hiver dernier, The Newman Rambler publiait un article intitulé « Killing as Kindness » signé par la grande éthicienne montréalaise Margaret Somerville. Dans ce papier, elle remet au grand jour un coupure du New York Times datant d’octobre 1933. J’en traduis ici librement quelques lignes.
On y découvre avec stupeur, par le biais du reporter du NY Times à Berlin, que le gouvernement nazi de l’époque annonçait son intention d’autoriser les médecins à « mettre un terme aux souffrances des patients incurables ». Il proposait ainsi que soit désormais « possible, pour les médecins, de mettre fin aux tortures des patients incurables, sur demande, dans l’intérêt d’une approche véritablement humaine ».
L’article du New York Times se poursuit en ces mots : « Selon les plans actuels du Ministère de la Justice [du Reich], l’incurabilité ne serait pas uniquement déterminée par le médecin traitant, mais aussi par un comité de deux autres docteurs qui traceraient soigneusement l’historique du cas présenté et qui examineraient personnellement le patient.
« En insistant sur le fait que l’euthanasie ne serait permise que lorsqu’un médecin dument accrédité, confirmé par l’avis de deux autres experts, le Ministère croit fournir une garantie suffisante indiquant qu’aucune vie saine de l’État ne serait détruite arbitrairement. […]
« La question légale à savoir qui pourrait faire la demande d’euthanasie n’est pas encore complètement résolue. Le Ministère [de la Justice du Reich] a simplement proposé que la demande serait valide dans la mesure où le patient la formule « expressément et sérieusement », ou « dans le cas où le patient n’est plus en mesure de formuler ses désirs, ses plus proches parents puissent la formuler, agissant avec des motifs qui ne contreviennent pas à la morale. » »