Photos: Wikimédia (CC)
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Missions et rémission

Montréal, avril 2013. L’hôtel Le Reine Elizabeth est l’hôte de la Commission de vérité et réconciliation* au Canada. Dans les salons du prestigieux établissement, des autochtones parlent, pleurent et parfois crient leur douleur. Devant eux, des hommes d’État, des religieux, des journalistes écoutent silencieusement. Sur certains visages, des larmes coulent.

Les victimes exposent, souvent pour la première fois, les souffrances endurées lors de leur séjour forcé dans les établissements dont l’objectif premier était «de tuer l’Indien et de sauver l’homme», c’est-à-dire d’extirper du cœur des enfants leur culture et leur spiritualité pour les remplacer par celles de la majorité.

Présent lors du passage de la Commission de vérité et réconciliation, l’Innu Omer St-Onge, homme-médecine, sorte de guide spirituel, raconte que les instituteurs de son pensionnat lui ont expliqué que, s’il se comportait bien, il avait encore une possibilité de se retrouver au paradis après sa mort. Son peuple, lui, n’avait pas cette chance.

«Les instituteurs, confie-t-il, avaient l’ambition de tuer l’Indien en nous. J’avais la rage au cœur. J’avais honte de moi, de mes parents, et j’avais la ferme intention de ne plus être Indien.»

Des témoignages bouleversants

D’autres racontent comment ils ont été soudainement arrachés à leur famille et se sont retrouvés à des milliers de kilomètres de leur village natal, sans aucune possibilité de communiquer avec leurs parents. C’est la Gendarmerie royale du Canada qui se chargeait de prendre les enfants et de les conduire aux pensionnats.

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Entourés par leurs pairs, des survivants vont puiser au fond d’eux-mêmes la force de mettre des mots sur l’innommable: enfants, ils ont été violés par des religieux. Leurs témoignages bouleversants glacent le cœur.

Brian McDonough, directeur de l’Office de la pastorale sociale de l’archevêché de Montréal, était présent lors du passage de la Commission de vérité et réconciliation à Montréal. Il avait été invité à faire partie du comité consultatif chargé de préparer les audiences au Québec et de s’assurer que les représentants des Églises y participent. Il avait également la responsabilité de former les bénévoles chargés d’accueillir et d’écouter les victimes dans les aires d’écoute animées, entre autres, par des Églises.

Comme sa lourde tâche l’a empêché de prendre la pleine mesure de cet évènement historique, il décide de se rendre aux audiences que la Commission de vérité et réconciliation tient quelques mois plus tard à Vancouver afin de mieux comprendre le vécu des victimes des pensionnats.

«Ce qui m’a bouleversé, ce sont les récits des abus de tous genres. J’étais estomaqué, choqué! Je ne pouvais pas croire que les sévices, les agressions sexuelles et la violence puissent avoir été aussi répandus dans les pensionnats. J’ai aussi ressenti la terrible douleur des missionnaires impliqués dans ces institutions.»

Le directeur de la pastorale sociale de l’archevêché de Montréal insiste sur le fait que la majorité des missionnaires chargés des pensionnats étaient de bonne foi. Selon lui, le côté sombre des écoles résidentielles est une source de honte pour les religieux et les religieuses. «Aujourd’hui, ils sont l’objet d’une condamnation universelle de la population», estime-t-il. Toutefois, il est d’avis que les Églises «auraient dû savoir que retirer de force des enfants de leur famille aurait des conséquences sur eux, sur leur village et sur les communautés autochtones.»

À cause d’une politique gouvernementale inspirée par le colonialisme, des enfants ont été coupés de leur culture.

«L’histoire des pensionnats est complexe. Elle recouvre les politiques de plusieurs Églises», souligne Jean-François Roussel, professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Pour le théologien, «les pensionnats sont le produit d’un projet colonialiste mis en place en même temps que la Loi sur les Indiens, dont l’objectif était de «tuer» l’Indien. Le système des pensionnats était foncièrement abusif, violent. C’est un pan de l’histoire du Canada qui a duré presque aussi longtemps que le Canada lui-même.»

Lui faisant écho, Brian McDonough insiste. «À cause d’une politique gouvernementale inspirée par le colonialisme, des enfants ont été coupés de leur culture, de leur communauté, de leur identité. Il faut aussi considérer le fait que cette époque était marquée d’un certain darwinisme social.»

Complices d’un génocide culturel

À la fin de ses audiences, la Commission de vérité et réconciliation a publié un volumineux rapport dans lequel elle qualifie de génocide culturel la politique gouvernementale envers les autochtones. Selon les auteurs du rapport, les pensionnats amérindiens «sont rapidement devenus un élément central de la politique indienne du gouvernement canadien».

Devant ces faits, certains n’hésitent pas à affirmer que les Églises chrétiennes ont été complices du gouvernement. Brian McDonough est de ceux-là. «Ce commentaire est bien fondé. Ces établissements, qui étaient dirigés par des représentants d’Églises et de communautés religieuses, ont essentiellement mis en pratique des politiques gouvernementales visant à assimiler les autochtones au sein de la population blanche. L’Église catholique s’est ainsi retrouvée complice d’un génocide culturel.»

Il souligne cependant que c’est le gouvernement qui confiait les enfants autochtones aux pensionnats sous-financés. «Les enfants étaient confiés à des religieux, à des religieuses qui n’étaient pas toujours sensibilisés, formés à la gestion, à l’administration et à l’éducation de ces enfants.»

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La prise de conscience de l’Église catholique est survenue lors du concile Vatican II. Chez les Oblats, une des communautés religieuses qui a géré plusieurs pensionnats, la manière de concevoir la mission a été remise en question par certains membres dès le début des années 1970.

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Selon Brieg Capitaine, sociologue de l’Université d’Ottawa, les débats concernant les missions se retrouvent dans les articles publiés dans les pages de leur revue missionnaire Kérigma. «Chez les intellectuels Oblats, nous retrouvons le désir de l’inculturation, de présenter des excuses, de passer à autre chose.»

Ces excuses surviennent en 1991 sous la plume du président de la Conférence oblate du Canada, Douglas Crosby. En termes extrêmement puissants, Crosby remet en question la pertinence des pensionnats. «Nous réitérons que l’abus le plus fondamental se situe au niveau de l’existence même des pensionnats, mais nous désirons publiquement reconnaitre qu’il y a eu des cas d’agressions physiques et sexuelles. Nous ne voulons d’aucune façon tenter de défendre ou de justifier ces cas; au contraire, nous voulons affirmer publiquement qu’ils sont inexcusables et que nous les considérons comme des abus de confiance très graves. Nous tenons à présenter nos excuses les plus sincères à toutes les victimes.»

La doctrine de la découverte

Les excuses de Douglas Crosby ont suscité un tollé au sein de la communauté des Oblats. Plusieurs missionnaires se sont sentis trahis par le président de la Conférence oblate du Canada. Quoi qu’il en soit, ces excuses sont devenues un modèle pour les autres organisations catholiques engagées dans le processus de réconciliation avec les peuples autochtones.

Tout juste 25 ans après la publication des excuses du président de la Conférence oblate du Canada, soit le 19 mars 2016, les leadeurs catholiques impliqués dans le processus de réconciliation publient un document historique intitulé La doctrine de la découverte et la terra nullius, dans lequel ils rejettent de manière catégorique l’idéologie colonialiste qui a conduit certains chrétiens à nier aux peuples autochtones leurs droits fondamentaux.

Ils répondaient ainsi à l’une des huit demandes adressées aux Églises chrétiennes par les commissaires de la Commission de vérité et réconciliation.

Les auteurs reviennent sur la notion de complicité. «Les attitudes et les politiques qui ont privé les autochtones de leur mode de vie sur la terre étaient étroitement apparentées à celles qui présumaient qu’il convenait d’arracher les enfants autochtones à leur famille et à leur propre système d’éducation pour les placer dans des pensionnats. Nous sommes conscients du fait que des catholiques ont été complices de ces systèmes.

«Bien que plusieurs des prêtres, des frères, des sœurs et des laïcs qui ont œuvré dans les pensionnats indiens l’aient fait avec générosité, fidélité et sollicitude, les politiques gravement déficientes à l’origine des pensionnats et les gestes abusifs commis par certains des membres du personnel ont laissé un héritage de souffrance.»

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«Nous prenons conscience du passé. C’est bien! Cependant, il faut aller plus loin.»

Celui qui s’exprime ainsi, c’est l’évêque du diocèse de Bathurst, Mgr Daniel Jodoin, membre du Conseil autochtone catholique du Canada. Né au Québec, il avoue n’avoir jamais croisé un Autochtone avant son ordination comme évêque de ce diocèse francophone du Nouveau-Brunswick, le 23 janvier 2013. De l’histoire des pensionnats, il ne connaissait que ce que les médias diffusaient sur elle.

Mgr Jodoin, dont la devise est Caritas in veritate («L’amour dans la vérité»), est d’avis que nous pouvons «discuter dans la vérité de ces évènements du passé, sans nous cacher des choses, dans le respect, dans le dialogue et la bonne volonté».

Celui qui a insufflé un nouveau souffle à une petite communauté catholique autochtone dans son diocèse est très fier de l’effort consenti par la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) afin de paver la voie à la réconciliation. Il énumère les pas, petits et grands, réalisés par les évêques canadiens.

D’importantes avancées

Souvent totalement passées sous silence par les médias, les avancées de la CECC reflètent, selon l’évêque, la volonté de l’Église canadienne d’être aux côtés des Amérindiens.

Outre le texte rejetant la doctrine de la découverte et le concept de la terra nullius, la CECC a publié la Réponse catholique à l’Appel à l’action 48 de la Commission de vérité et réconciliation sur l’adoption et l’application de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dans laquelle les signataires reconnaissent le bienfondé de cette Déclaration.

Il est même recommandé de porter attention aux versions autochtones de l’histoire du Canada.

Dans ce document figurent huit recommandations destinées à l’Église catholique canadienne. Deux d’entre elles demandent que ses présentes institutions scolaires enseignent l’histoire de l’oppression des peuples autochtones dont les pensionnats et les missions catholiques ont été parfois le théâtre.

Il est même recommandé «de porter attention aux versions autochtones de l’histoire du Canada et, pour ces centres, d’accueillir des enseignants autochtones pour collaborer à l’instruction du clergé et des agents de pastorale, de manière que chaque étudiant ou étudiante ait l’occasion, pendant sa formation, de rencontrer des cultures autochtones».

Les auteurs vont jusqu’à recommander d’«appuyer l’enquête nationale en cours sur la disparition et l’assassinat de femmes et de jeunes filles autochtones».

Mgr Daniel Jodoin parle également de la toute nouvelle Coalition catholique pour un renouveau avec les peuples autochtones qui vient de voir le jour au sein de la CECC. Un des premiers mandats de la Coalition est de répertorier les initiatives de l’Église canadienne en faveur des autochtones.

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La route vers la réconciliation de l’Église catholique avec les peuples autochtones sera encore très longue. Certains remettent même en question ce concept de réconciliation, lui préférant celui de réparation. Néanmoins, comme le souligne Mgr Jodoin, l’Église n’a pas laissé les autochtones à leur sort. Elle chemine, humblement, aux côtés des peuples autochtones vers la guérison des blessures d’hier et d’aujourd’hui.

Note:

* La Commission de vérité et réconciliation avait comme mandat de donner la parole aux survivants des pensionnats autochtones financés par le gouvernement canadien et gérés par des Églises chrétiennes. Des représentants du gouvernement, des Églises et des communautés religieuses ainsi que des gestionnaires de ces établissements ont raconté volontairement leur expérience au sein de ces établissements.

La Commission de vérité et réconciliation avait également comme objectif d’informer et de sensibiliser la population sur cette page sombre de l’histoire du Canada. Peu de Canadiens, en effet, savent que leur gouvernement a, de 1870 à 1996, financé des pensionnats, aussi connus sous le nom d’écoles résidentielles. Ces établissements, au nombre de 139, ont reçu environ 150 000 élèves. On y retrouvait des enfants issus des Premières Nations, des Métis et des Inuits.

Les pensionnats ont été gérés par l’Église catholique, l’Église unie du Canada, l’Église presbytérienne et l’Église anglicane. Leurs représentants étaient chargés d’instruire les enfants, de les nourrir et de voir à leur santé physique et mentale.

La Commission de vérité et réconciliation est la descendante directe de la Commission royale sur les peuples autochtones qui s’est tenue entre 1991 et 1996. Plusieurs témoins avaient relaté devant les commissaires leur vécu au sein de ces pensionnats autochtones.

Yves Casgrain

Yves est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.