Illustration: Fotolia
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Machiavel à l’Élysée

Nicolas Sarkozy ne sera pas de la présidentielle française du printemps prochain. Il n’est pas moins utile de se pencher sur le type de personnage public qu’il a été… 

J’ai récemment lu le dernier livre de Patrick Buisson, La cause du peuple : l’histoire interdite de la présidence Sarkozy. Bien que j’en recommanderais modérément la lecture au Québec (le livre est lourdement chargé d’anecdotes politiques françaises), il m’apparait être un ouvrage important pour l’implication future des catholiques en politique.

Outre la rétrospective historique du quinquennat Sarkozy, ce livre nous permet de prendre un peu de hauteur par rapport à l’actualité, et ce, de deux façons.

D’abord, on nous présente les coulisses d’un personnage politique dont la personnalité risque fort de réapparaitre sous de nouveaux atours. Ensuite, on y retrouve des pages dans lesquelles s’expriment quelques intuitions fondamentales sur le développement de la politique en Occident.

Un nouveau machiavélisme

Bien qu’il s’agisse d’une réduction de la richesse de sa pensée, ce que l’on nomme communément « machiavélisme » se résume bien dans la formule « la fin justifie les moyens ». Pour Machiavel, tel qu’il s’exprime dans Le prince, il n’y a pas de plus haute fin pour le prince que de garder le pouvoir.

Loin des considérations sur le Bien commun, c’est à garder son autorité que son action politique doit trouver le critère définitif de son action. Comme il le dit si bien « Si donc un prince veut conserver son trône, il doit apprendre à savoir être méchant, et recourir à cet art, ou non, selon les nécessités » (1).

Ainsi, selon Machiavel, loin de toute considération morale, l’acteur politique devra plutôt s’acharner à réaliser, ce qui, parmi la multitude d’intérêts contradictoires présents dans la cité, sera le plus à même de lui garantir son hégémonie politique.

Buisson nous dresse un portrait de Nicolas Sarkozy très peu reluisant.

Dans son livre, Patrick Buisson nous dresse un portrait de Nicolas Sarkozy très peu reluisant. Venant de celui qui a été pendant des années l’un de ses plus proches collaborateurs, l’auteur de La cause du Peuple s’exprime en ces termes :

« Tout Sarkozy se tenait là : démagogue, mais non démophile, flattant les revendications populaires, mais farouchement déterminé à ne pas en tenir compte hors les périodes électorales » […] « Si bien qu’à peine installé à l’Élysée, Nicolas Sarkozy céda à une politique de l’ostensible commune aux dirigeants libéraux de l’heure » [troquant les attributs] « de l’autorité contre l’empathie immédiate et affective qui est systématiquement sollicitée par les animateurs de télévision, se rêvant à la fois le nombril du monde et les glandes lacrymales du genre humain ». (2)

Besoin d’amour?

En parfaite continuité avec son caractère personnel, la présidence Sarkozy n’aurait été, selon Buisson, qu’une agitation constante cherchant l’attention médiatique avant l’intérêt du peuple, soumettant ainsi le Bien commun à une variable au service de son « égotropie [caractéristique] de cette nouvelle génération d’homme politique ».

Cela fut la raison principale de l’échec de sa réélection, les Français ayant perçu la distance qui séparait les promesses du candidat de l’UMP des actions d’une présidence « pour rien » pour reprendre l’expression qu’Éric Zemmour emploie contre Hollande, son successeur.

On a devant nous une classe narcissique capable de sacrifier son avenir politique au profit de l’amour des projecteurs.

Nous sommes donc en présence d’un nouveau type de machiavélisme, non pas celui d’un homme, ou d’une femme, cherchant à tout prix à gagner et garder le pouvoir politique, mais plutôt à une nouvelle catégorie de politiciens cherchant à tout prix à attirer l’attention médiatique sur leur personne.

En d’autres termes, une classe narcissique capable de sacrifier son avenir politique au profit de l’amour des projecteurs. Non plus « l’autorité pour le pouvoir », mais l’autorité en vue de ce que l’on pourrait qualifier de nouveau besoin d’amour.

Loin de la traditionnelle soif du pouvoir, les intentions inavouées des politiciens de demain seront la quête d’une reconnaissance superficielle et passagère, illusoirement amplifiée par des likes et retweets aussi rapidement remplacés qu’oubliés.

Démocratie à bout de souffle

Loin de nous porter au cynisme, la profonde analyse de Buisson montre comment la soif d’emprise des peuples sur le réel est une chance pour la démocratie. En ce sens, on doit prendre acte que :

« Le discrédit du politique résulte de ce qu’il est devenu médiatico-dépendant, étroitement tributaire d’un ordre qui ne pouvait que le subvertir dans la mesure même où les règles du bien gouverner et du bien communiquer sont par essence antinomiques. Communiquer, c’est chercher à plaire, gouverner c’est plus souvent le contraire ».

On peut comprendre le désarroi actuel d’une grande partie des électeurs qui, comme on l’a peut-être vu avec l’élection du président Trump, ont pris pour critère de crédibilité politique l’hostilité affichée par les grands médias américains pour ce personnage hors-norme.

Ainsi, sans le vouloir, par l’établissement de cette « ligne de démarcation entre la pensée proscrite et la pensée autorisée » les grands médias ont facilité son élection.

Rétablir une certaine objectivité idéologique et opérer une sortie de la partisanerie chez certains médias serait, donc, dans leur propre intérêt et, pour le Bien commun, une urgence à ne pas négliger. Combien cela sera difficile si l’on prend au sérieux la confiance presque messianique d’une partie de l’intelligentsia à incarner la face publique de « l’empire du bien »!

Être conscient de cette promiscuité délétère des politiques avec le quatrième pouvoir est donc un premier pas dans la bonne direction.

L’ère de la « postvérité »

Dans un deuxième temps, un changement s’impose dans nos grilles d’analyse de la chose politique.

En ce siècle de « postvérité », nous devons, malheureusement, mettre au deuxième rang l’analyse strictement morale des discours; de cette analyse qui, en d’autres termes, prétend trouver l’expression du Bien absolu dans un programme politique. Puisque, malgré ce qu’on entend souvent au Québec, nul ne peut prétendre avoir le monopole de la vertu (ou du vice !) on ne peut plus se permettre de rejeter apriori une idée ou une orientation politique.

Cela peut paraitre contradictoire, mais ce nouveau machiavélisme demande, pour bien le combattre, un certain retour à Machiavel. Il requiert d’aller compenser notre besoin de discours charmants par une bonne dose de réalité (réalpolitiks). Non pas que nos décisions doivent faire désormais abstraction des impératifs moraux, mais notre analyse doit d’abord être en mesure de regarder les intérêts sous-jacents à tout acte politique.

Ainsi, puisque « quiconque ferme les yeux sur ce qui est et ne veut voir que ce qui devrait être apprend plutôt à se perdre qu’à se conserver », nous devons laisser de côté « toutes les imaginations qui se sont faites à propos des princes », nous dit Machiavel, et n’en regarder que la réalité.(3)

Notes :

(1) Machiavel, Le Prince, Livre de poche, p.80.

(2) Sauf indications contraires, les citations sont tirées du livre de Patrick Buisson, La cause du peuple : l’histoire inédite de la présidence Sarkozy (Éditions Perrin, 2016).

(3) Dans mon prochain blogue, je continuerai cette recension du livre de Patrick Buisson en montrant de quelle manière ce retour au réel nous permet de comprendre les grandes mutations actuelles des différents courants politiques que sont la gauche et la droite.

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.