Pour l’Halloween, ton voisin a érigé un énorme sorcier gonflable sur son terrain, à côté de traditionnelles citrouilles édentées. Équiterre te suggère de distribuer des dépliants sur le commerce équitable, Leucan te refile une tirelire de collecte et un chercheur en nutrition t’invite à réfléchir sur le fait qu’avoir « du plaisir à une fête peut se faire aussi avec des fruits et des légumes ». Et sinon, t’as des copains chrétiens qui retirent leurs enfants de l’école le 31 octobre, pour mieux déguster des bonbons barricadés chez eux en se déguisant en mère Teresa. Avant de renaitre sans bruit à la Toussaint, le lendemain.
Enfin, ça, c’était l’Halloween 2019 prépandémie. L’Halloween qui faisait les manchettes, car certaines villes l’avaient reportée pour cause de très mauvais temps.
Cette année, l’Halloween fait encore les manchettes, mais pour une raison encore plus dramatique : on se doute que la fête sera fort probablement annulée.
Oh, je vois ton sourire qui dépasse de ton écran. Oh, moi aussi je me serais réjouie il y a quelques années…
Mais plus maintenant.
Halloween, je te détestais autant que les enfants t’aiment
Vous m’auriez vu il y a trois ans : farouchement opposée à toute célébration, maugréant sur les décorations affreuses de nos voisins (un cercueil qui s’ouvre avec un ricanement, en plein sur le trajet pour se rendre au parc !), m’exaspérant devant les déchets et le gaspillage…
Et puis, les enfants ont grandi. Les enfants vont à l’école. Nous avons également déménagé, et si notre nouveau quartier présente quelques décorations de mauvais gout, nos voisins sont cent fois plus sympathiques qu’effrayants.
Alors, que faire ? Maugréer, réfréner l’excitation des enfants avec des sermons sur la Toussaint, s’enfuir dans un chalet pendant quelques jours ? L’année dernière, j’ai opté pour une solution différente : l’apprivoisement. Mieux : la purification.
Sucre, mort et vie
Je me rappelle mon enfance en Normandie. Chaque Mardi gras, les écoliers se déguisent. Une année, ma mère m’avait confectionné un déguisement de magicien. Une autre, j’avais peint un masque de Toutankhamon avec mon père. On défilait avec les copains dans les rues en jetant des poignées de confettis à en boucher les égouts, et on se gavait de crêpes au sucre que les mamans avaient préparées pour l’occasion. Mardi sucré, bariolé et drôle avant l’entrée en carême, le lendemain.
L’Halloween est un peu comme Mardi gras. Une fête sucrée et bariolée qui appelle la mort et annonce en même temps une fête de vie.
Le Mardi gras annonce le carême, une période de mort à soi-même qui culmine par la fête de la Résurrection. L’Halloween annonce la Toussaint en jouant allègrement sur le thème de la mort, avant la grande fête de tous ceux qui ressusciteront dans la gloire, et qui déjà sont auprès de Dieu.
« T’es bien gentille, et elle est bien jolie ta réflexion. Mais très franchement, ça ne rend pas le sorcier gonflable de mon voisin plus beau. »
Minute, papillon, j’y arrive.
L’Halloween qui prie
L’année dernière donc, j’ai changé de stratégie. Plutôt que d’ignorer l’Halloween, nous l’avons fêtée.
Mes enfants ont choisi de jolis costumes. On a préparé des bonbons. On a même décoré des citrouilles avec de beaux sourires et des petits lampions.
Et puis, avant de partir faire la tournée du quartier, on a prié.
Une prière courte et toute simple, que j’ai également répétée dans mon cœur avant de frapper à chaque porte. « Seigneur, viens bénir notre voisin. Qu’il soit prêt à te rejoindre à sa mort ; fais de lui un saint. »
Une prière, un sourire, quelques mots échangés. Des enfants qui rient, malgré la pluie. Un quartier qui s’ouvre, dont l’anonymat s’efface un peu ; la timide naissance d’une fraternité qui n’existait pas avant.
Il y a du laid dans l’Halloween, mais il y a aussi du beau. Et c’est ce beau qui peut prendre le dessus, et nous inviter à voir plus loin que la mort. Avec un peu de confiance, un peu de foi. Car la foi a « le pouvoir de rejoindre le cœur de toute culture, pour le purifier, le féconder, l’enrichir et lui donner de se déployer à la mesure sans mesure de l’amour du Christ. »
Car c’est de cela qu’il est question : de purification.
Sans doute, certaines coutumes n’ont rien de bon. Est-ce le cas de l’Halloween ? Ce n’est pas mon expérience. Plutôt que de se battre contre cette fête, j’ai la conviction qu’elle peut retrouver tout son sens et être purifiée de ce qui la rend souvent si laide.
L’Halloween qui fait peur
Quelquefois encore, j’ai un frisson d’effroi en me rappelant l’arrivée désastreuse d’une de mes sœurs au Chili. Elle venait me rejoindre pour de courtes vacances, mais son itinéraire de vol avait été changé. Ayant chacune reçu des informations contradictoires, elle s’est finalement retrouvée seule devant un aéroport désert, un soir, ne parlant pas espagnol et se demandant où j’étais. Et moi, je l’attendais complètement ailleurs. Cela aurait pu bien mal finir. Mais cela s’est bien terminé, grâce à la bonté de quelques Chiliens.
Quel rapport avec l’Halloween ? Ce qui est le plus détestable dans cette fête, c’est la peur que les décorations, déguisements et comportements veulent faire naitre. La peur nous fait sentir vivants quelques instants, comme lorsque les minutes et les heures ont paru si longues en attendant ma sœur sur un banc au Chili.
Mais la peur ne nous donne pas ce sentiment profond de vie en nous. La bonté fait grandir un feu d’amour dans le cœur, une conviction que l’impossible n’est pas ; la peur barricade le cœur. « N’ayez pas peur », disait saint Jean-Paul II. Car il n’y a rien à craindre : la mort a été vaincue il y a longtemps déjà.
Qu’à l’Halloween rayonne donc la joie de courir « vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus » (Philippiens 3, 14). Et qu’à la Toussaint nous rendions grâce pour ceux qui ont déjà récolté leur prix.
Sur ce, j’ai une citrouille à cuisiner. Parce que contrairement à certains, j’aime bien la tarte à la citrouille.