Un texte de Marguerite Picard
Je suis veuve. Mon époux, Marc-André, est décédé le 17 mai dernier d’un tragique accident de travail. Il avait 35 ans. Rien. Absolument rien, ce matin-là, ne laissait présager la perte brutale qui allait bouleverser ma vie, celle de mon fils et de ma belle-famille, ainsi que celle de tous ceux qui ont connu mon mari.
En une fraction de seconde, devant les policiers, puis à l’hôpital en voyant le corps inanimé de celui que j’avais aimé et chéri durant trois ans, mon monde s’écroulait en un tas de morceaux épars.
Puis, pendant plus de cinq mois, tout est devenu insipide.
Ce texte est tiré du numéro MORT, printemps 2019. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.
Il me restait toutefois à affronter la mort de l’homme à qui j’avais uni ma vie dans le mariage un an plus tôt et que j’aimais tendrement. La douleur a été terrible, sans nom; il est presque impossible de trouver les mots justes pour décrire une telle douleur physique et morale.
J’entrais alors dans une succession de deuils qui échappaient à toute emprise. Je ne pleurais pas simplement sur le meilleur ami, l’époux et le père, mais également sur notre vie à deux, notre vie de famille, les projets entamés et rêvés ensemble, ainsi que sur tout l’avenir qu’avait inauguré notre mariage. Les frustrations, la tristesse, l’anxiété et la peur m’ont étreint le cœur chaque instant après le décès de Marc-André.
Je ne voyais pas d’issue à ce cauchemar totalement irréel.
Les souvenirs faisaient surface à tout moment de la journée. Pendant plusieurs semaines, c’était un véritable calvaire de revoir en pensées le visage tant aimé, mais de ne le retrouver nulle part au retour à la maison. Rapidement, mes soirées seule sont devenues ma hantise.
Je pensais aussi à mon fils, au fait qu’il n’aura connu son père que quelques mois, et que celui-ci ne verra pas grandir le fils qu’il avait tellement désiré. Mon mari l’aimait tellement. C’est ce qui m’a le plus déchiré le cœur. Il est cruel de voir mourir un amoureux dans les débuts d’une relation pleine de promesses, mais perdre le père de son enfant l’est davantage encore.
Bref, je ne voyais pas d’issue à ce cauchemar totalement irréel! Comment survivre à une perte aussi monstrueuse? Difficile d’imaginer un rappel plus dramatique de la fragilité de la vie.
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Je ne cacherai pas que, durant plusieurs semaines, j’ai douté de Dieu. J’ai même voulu en finir avec cette vie – impitoyable – qui m’a écrasé le cœur en ce 17 mai 2018.
Ce doute, cette colère m’ont accompagnée pendant les six premiers mois de mon veuvage. Je vivais une incompréhension telle que je n’arrivais à peu près plus à fonctionner normalement. Plus aucune pensée dirigée vers le futur n’effleurait mon cerveau. Je ne voulais que me concentrer sur le présent, ce présent qui était déjà terne et difficile à vivre, car mon fils avait besoin de moi. Peu importe mon état émotionnel et physique, je suis sa mère. Pour lui, je devais reprendre le dessus, à mon rythme.
C’est dans ce temps de noirceur que je me suis mise à demander de l’aide.
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Un soir que je m’étais remise à prier malgré ma colère et mon dégout, une aide m’est venue par l’entremise d’une lecture: celle de la vie de sainte Jeanne de Chantal et particulièrement du deuil qui l’a frappée à l’âge de 28 ans. Elle avait perdu son mari, comme moi. Elle était veuve avec ses quatre enfants, dont deux en bas âge. Elle les a élevés, puis elle a donné tout le reste de sa vie à Dieu. On lui doit d’ailleurs, avec le concours de saint François de Sales, la fondation de l’Ordre de la Visitation de Sainte-Marie.
Le deuil est une chose très pénible à apprivoiser. Ce que je comprenais au fil des semaines, c’est que je devaisme laisser traverser par toute la gamme des émotions (même la colère), parfois même au cours d’une même journée.
Un passage de sainte Jeanne de Chantal m’a beaucoup apporté: «J’ai dit et dirai toujours de tout mon cœur, moyennant la grâce divine, en tous les évènements de douleur et d’affliction qu’il plaira à Dieu m’envoyer: Que son saint nom soit béni! C’est une chose si incertaine et ordinaire que la mort des hommes, que cela ne nous doit point étonner; ce sont des fruits de cette misérable vie, que Dieu permet nous arriver, afin que, nous y dépouillant de tout ce qui nous peut être de plus cher, nous n’y voulions ni cherchions que son bon plaisir, dans l’espérance qu’il nous donnera un jour la très sainte et désirable éternité» (Lettre à monsieur Jaquator, sur la mort de M. Toulougeon et de madame de Chantal, Annecy, 7 novembre 1633).
Sainte Jeanne nous le rappelle, il ne faut désirer que l’éternité.
La mort est un fruit inhérent à la vie ici-bas; cruelle, incompréhensible, car nos âmes sont créées pour l’immortalité.
La mort est un fruit inhérent à la vie ici-bas; cruelle, incompréhensible, car nos âmes sont créées pour l’immortalité. Peu importe notre état de vie, nous devons fixer notre regard sur Dieu seul et ne désirer que lui.
Dans le deuil, que nous soyons bien entourés ou au contraire très seuls, le seul vrai Consolateur, c’est Jésus Christ. C’est de lui que viendront toutes les grâces qui nous permettront d’avancer sur le chemin de ce long et douloureux processus.
Quand la mort nous arrache un être cher, cela nous détruit, et il faut laisser Dieu nous reconstruire. Cette reconstruction passera par des temps de solitude dans la prière, mais également dans des moments partagés avec nos proches. À petits pas mesurés, nous verrons se recoller des morceaux de notre cœur que nous pensions perdus à jamais.
Et puis, comme disait souvent mon mari: «Donnons tout à Dieu, ça ira mieux.»
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