Le 21e jour de la 21e année du 21e siècle, l’Église catholique a déclaré vénérable1 le découvreur de la trisomie 21, Jérôme Lejeune. Clin d’œil amusant ! Mais qui est ce scientifique français dont on souligne le 27e anniversaire du décès aujourd’hui ?
Jérôme est né le 13 juin 1926 à Montrouge, en Île-de-France, au sud de Paris. Il est mort 67 ans plus tard, le matin de Pâques, le 3 avril 1994. Il a succombé, comme son père avant lui, d’un cancer des poumons.
La maladie, il la connaissait. Il l’étudiait, la soignait. Il a même procédé à des analyses sur lui-même quelques semaines avant sa mort, non pas car il espérait ainsi se guérir, mais, car il souhaitait faire avancer les recherches sur le cancer. Jérôme était un infatigable chercheur.
Toutes ses recherches, tous ses combats, il les a menés pour défendre ses « petits patients » : les personnes trisomiques.
Il a aussi combattu des maladies moins visibles : les maux de l’intelligence, qui tordent la réalité pour qu’elle convienne mieux à nos désirs. Les maux de la conscience aussi, qui embrument la vision, et finissent par transformer le bien en mal et le mal en bien. Jérôme était un infatigable combattant.
Et toutes ses recherches, tous ses combats, il les a menés pour défendre ses « petits patients » : les personnes trisomiques. Pour défendre la vie, toutes les vies, et la vérité.
Parler pour ceux qui ne le pouvaient pas lui a demandé du courage et de la force. Il a persévéré dans ses recherches de traitement, malgré de maigres résultats. Il a fidèlement soigné ses patients. Et il a aimé son épouse sincèrement et profondément. Voici quelques-unes des vertus héroïques de Jérôme Lejeune.
Un chercheur chevronné
C’était le printemps 1958. Jérôme comptait et classait les chromosomes d’un de ses petits patients, le petit Jean-François, âgé de 3 mois. Un individu normal a 23 paires de chromosomes ; sur la plus petite paire, le petit Jean-François n’avait pas deux chromosomes, mais trois. Jérôme vient de découvrir l’origine de ce qu’on appelait alors le mongolisme, et qu’on appellera désormais trisomie 21 ou syndrome de Down.
Cette découverte, et les autres observations de Jérôme et d’autres chercheurs vont changer beaucoup de choses pour les petits trisomiques et leurs familles. Les recherches vont montrer que n’importe quel couple peut concevoir un enfant trisomique ; il n’y a pas de conditions héréditaires ou de comportements (alcoolisme, stress, etc.) qui entrainent la trisomie. Ce fait retirera un peu des regards accusateurs et une partie du poids de la honte des parents d’avoir conçu un enfant avec une déficience mentale.
Malheureusement, la découverte de l’origine de la trisomie 21 aura également des conséquences tragiques.
Dans les années 70, dans les congrès de génétique, on parle de plus en plus de dépistage et d’avortement et de moins en moins de traitement. C’est également un sujet de société. Des étudiants qui manifestent pour la légalisation de l’avortement vont même jusqu’à écrire « À mort Lejeune et ses petits monstres ! » sur les murs du laboratoire de Jérôme.
Le 3 octobre 1970, Jérôme reçoit le prix Allen Awards ; c’est le plus prestigieux prix de génétique. On parle depuis quelques temps de le sélectionner pour le prix Nobel, et des portes s’ouvrent pour qu’il poursuive ses recherches aux États-Unis dans le grand confort. Jérôme est renommé, reconnu, courtisé.
Mais Jérôme n’a de pensées que pour ses petits patients.
Un discours fatidique
À San Francisco, en recevant l’Allen Award devant une salle comble, Jérôme donne un discours qui, il le sait très bien, rendra très difficile la suite de sa carrière.
« Tuer ou ne pas tuer, c’est la question. La médecine, depuis des siècles, a toujours combattu en faveur de la vie et de la santé, contre la maladie et contre la mort. Si nous changeons ces objectifs, nous changeons la médecine : notre devoir n’est pas d’infliger la sentence, mais de commuer la peine. »
Continuant sur sa lancée, il propose que le célèbre Institut National de la Santé soit renommé Institut National de la Mort, pour mieux indiquer son activité. Son discours se termine et Jérôme quitte les lieux dans un silence lourd et médusé.
Après ce discours, Jérôme sera de moins en moins invité à des colloques scientifiques, perdra progressivement son financement de recherche et sera de plus en plus souvent calomnié dans des journaux français et internationaux.
Mais Jérôme sent qu’il a le devoir de défendre ses patients trisomiques. C’est lui qui a découvert la source de leur maladie, et on instrumentalise cette découverte pour mieux les supprimer. Cela lui est insupportable. Il utilisera toutes ses connaissances pour défendre leur droit à la vie et leur dignité, s’exprimant sur des plateaux télévisés, à la radio, dans les journaux, aux parlements et dans les cours devant des juges.
Il n’aura de cesse de dire et de redire qu’un être humain commence à sa conception, lors de la rencontre des gamètes (l’ovule et le spermatozoïde). C’est quelque chose qui semble abstrait pour bien des gens, mais c’est un fait scientifique qu’il résume en quelques mots :
« Si l’homme ne commence pas à la fécondation, alors il ne commence jamais, car d’où lui viendrait une nouvelle information ? »
Un médecin dévoué
Jérôme n’était pas qu’un chercheur chevronné, mais également un médecin dévoué. Il rencontrait chaque semaine ses patients et leurs parents. Et ces rencontres ont changé bien des cœurs.
Car Jérôme accueillait chaque patient avec un regard plein de douceur et d’amour. Il avait un regard sincèrement émerveillé pour chaque nouvel enfant qui entrait dans son bureau. Et des paroles si douces aux oreilles des parents : « Quelle mignonne petite fille ! Comment s’appelle-t-elle ? »
Il est arrivé à plusieurs reprises que Jérôme soit la première personne à regarder leur enfant simplement comme un enfant. Sans dégout, sans pitié, sans accusation. Certains parents, après une première rencontre, ont vu leur cœur s’ouvrir : ils ont commencé à aimer leur enfant, à voir leur enfant plutôt qu’à voir la maladie.
Ces consultations ont également changé le regard des trisomiques sur eux-mêmes. Lors des funérailles de Jérôme à Notre-Dame de Paris, un de ses petits patients s’est exclamé :
« Merci mon Pr Lejeune de ce que tu as fait pour mon père et ma mère. Ta mort m’a guéri. Grâce à toi, je suis fier de moi. »
Par ses soins, son accueil, sa prise de position publique pour ses patients, le docteur Lejeune leur a montré qu’ils avaient de la valeur, qu’ils étaient dignes, qu’ils n’avaient pas à avoir honte d’eux-mêmes.
Congrès, recherches, rédaction et correction d’articles, consultations, cours et charge administrative à l’université, multiples prises de parole publique pour défendre ses petits patients… Et en plus, Jérôme fera même partie de l’Académie pontificale des sciences, ce regroupement des plus grands chercheurs du monde qui permet au Vatican d’être au courant des toutes dernières avancées scientifiques.
Mais la vie de Jérôme n’est pas que science, médecine et politique. Dans sa vie, il y a aussi et surtout une femme : Birthe.
En quête d’un amour parfait
En 1950, une jeune danoise accoste Jérôme dans la bibliothèque Sainte-Geneviève : « Monsieur, auriez-vous un stylo s’il vous plait ? »
C’est le coup de foudre.
Jérôme l’invite à boire un café, et s’en suivent de multiples promenades dans Paris. Ils sont cependant très différents, et cela leur fait un peu peur. Ils se séparent pendant un moment ; Jérôme poursuit son service militaire, et Birthe ses études en cinéma et journalisme. Mais la vie leur semble bien maussade. Lorsqu’ils se recroisent en 1952, ils comprennent alors qu’ils ne peuvent plus se quitter, et se marient quelques mois plus tard. De leur union naitront cinq enfants.
Jérôme devra régulièrement être séparé de Birthe. À cause de son travail, mais aussi pendant les vacances estivales où Birthe et les enfants partiront à Kerteminde, au Danemark.
Lors de ces séparations, Birthe et Jérôme s’écrivent chaque jour. Jérôme lui décrit ses journées, ses inquiétudes, ses rencontres, ses rêveries… En commençant chaque lettre par « Ma chérie » et en la terminant par « Ton Jérôme qui t’aime ». Pour chacune de ses lettres, de 1952 à 1993.
Car Birthe, pour Jérôme, c’est la source d’un amour nouveau. Jérôme puise ses forces dans la prière, dans la messe dominicale qu’il ne manque jamais, même en congrès, dans la Bible également, qu’il médite si souvent. Mais sa relation avec Birthe lui apprendra à aimer véritablement, tout simplement, et lui dévoilera l’espérance qu’un jour cet amour sera parfait.
Dans une lettre rédigée avant leur mariage, voici ce que Jérôme lui écrit :
« J’avoue maintenant toutes mes faiblesses, car je commence à sentir en moi une force nouvelle. Crois bien que je ne me laisse pas emporter par un enthousiasme juvénile, je parle avec la sincérité la plus grande, nous avons décidé de nous unir devant Dieu et cette union sera totale, en dépit de toutes les difficultés que nous rencontrerons ou qui naitront de nous. C’est toi qui m’as appris cet extraordinaire secret, que tout le monde soupçonne et que personne n’ose appliquer, et que toi seul seras capable de m’aider à utiliser. Les débuts de notre mariage seront probablement assez durs, car il te faudra un dévouement inouï pour arriver à m’apprivoiser. Tu as fait plus que m’apporter l’amour, tu m’as fait comprendre l’espérance. Je t’aime ma chérie. Comme on ne peut le dire. »
Un saint pour tous
Si Jérôme était l’homme admirable qu’il était, c’est parce qu’il aimait, tout simplement. Il aimait son épouse, il aimait ses patients, il aimait ses collègues ; il aimait aussi la nature, la vérité, le bien.
En cela, il est un modèle pour tout le monde.
Or, Jérôme n’a jamais trouvé de traitement pour ses petits patients.
Aujourd’hui, la Fondation Jérôme Lejeune poursuit ses recherches, et a déjà mené plus de 700 programmes de recherche. Certaines avancées sont très positives.
Mais le traitement majeur, Jérôme l’avait en fait déjà trouvé : c’était de redonner aux trisomiques leur dignité, rappeler à tous leur valeur, une valeur intouchable qui ne peut que nous inviter à leur faire une place dans la société. À les accueillir avec la même chaleur et simplicité que Jérôme a tant de fois montrée dans son bureau de consultation.
Les informations rapportées dans cet article sont tirées du livre suivant : Dugast, Aude (2019) Jérôme Lejeune, la liberté du savant. Éditions Artège, 471 pages.