Nous sommes lundi matin. Devant une station de métro, au milieu d’étudiants qui s’engouffrent dans leur école afin d’échapper au froid mordant de cette fin d’hiver, j’attends Maxime, mon coéquipier photographe pour ce reportage. Ensemble, nous avons rendez-vous avec Jean-Sébastien Brault, apiculteur, pour en apprendre un peu plus sur ces petits insectes rayés et sur la fabrication des chandelles en cire d’abeille.
Jean-Sébastien habite Otterburn Park, petite municipalité située à quelques dizaines de kilomètres de Montréal. Arrivés à destination, nous sommes obnubilés par l’imposant Mont Saint-Hilaire qui domine toute la région. La propriété jouit d’une vue imprenable sur cette montagne. L’effet est spectaculaire.
Je sonne à la porte. C’est Karine, la conjointe de notre hôte, qui nous accueille dans un vestibule orné de fanions de prières tibétains. Au milieu de ce décor insolite traînent divers articles de sports, des pousses vertes non identifiées et des pots de miel. Karine nous invite à nous installer autour d’une grande table qui prend tout l’espace de la salle à manger.
Sur les murs et sur les meubles, des photos et des objets liés au bouddhisme sont mis en évidence. Surprise! Lors de la préentrevue, réalisée quelques semaines plus tôt avec Jean-Sébastien, rien de tout cela n’a été abordé. Nous apprendrons plus tard que Karine navigue sur les flots de la recherche spirituelle tout en chérissant ses racines catholiques.
Paraffine contre cire d’abeille
Pour l’heure, nous attendons Jean-Sébastien. Il faut dire que nous sommes un peu en avance. Le voilà qui débarque avec un bol de pousses, les mêmes que nous avons vues dans le vestibule. Il a l’intention de les trier durant notre entrevue! Karine, qui connaît bien son conjoint, nous lance: «Il va arrêter très vite!» De fait, aussitôt la première question posée, Jean-Sébastien, volubile, se consacre entièrement à l’entretien.
Ce texte est tiré de l’édition papier du magazine Le Verbe, été 2019. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.
C’est donc devant un bol de pousses que Jean-Sébastien, 38 ans, nous raconte comment il est devenu apiculteur. «J’ai commencé par fabriquer des chandelles en cire d’abeille, vers 2003-2004. Je voulais m’éclairer avec elles.» Pas question pour lui d’utiliser des chandelles de paraffine. «La paraffine, m’explique-t-il, est un dérivé pétrolier. C’est de la cochonnerie dont les raffineries se débarrassent. C’est donc un résidu du pétrole qui est transformé en chandelles. Lorsque tu utilises une chandelle fabriquée avec de la paraffine, tu fais brûler du pétrole. La flamme crée de la suie. La cire d’abeille n’en dégage pas.» En plus de ses propriétés écologiques, la chandelle en cire d’abeille, nous apprend Sébastien, «se consume entièrement lorsque la mèche est de la bonne grosseur et elle dure trois fois plus longtemps.»
Huit ans après être devenu maitre chandelier (c’est comme cela que l’on nomme les artisans qui fabriquent des chandelles en cire d’abeille), Jean-Sébastien, qui est aussi compositeur-interprète, se lance dans l’apiculture. «J’ai réalisé qu’il serait plus logique de posséder mes propres ruches. J’ai commencé avec cinq. Dès la première année, j’en ai ajouté cinq autres.» Aujourd’hui Jean-Sébastien a 54 ruches. «Cela prend 100 ruches pour être considéré comme un apiculteur à temps plein», précise-t-il.
C’est un très vieux métier, apiculteur. Ce n’est pas vraiment compliqué. Cependant, tu dois t’attendre à te faire piquer!
Néanmoins, Jean-Sébastien a suivi une formation qui s’étalait sur trois fins de semaine. «Dès que j’ai eu mes premières ruches, j’ai appelé des apiculteurs chevronnés. Je préfère cette manière d’apprendre. J’aime bien la tradition orale.»
Être apiculteur c’est un peu comme ramer à contre-courant du monde. «Il faut être conscient que nous vivons dans un environnement… j’allais dire anti-vie. C’est quasiment cela! Il y a beaucoup de monocultures. Ce n’est pas propice, car les abeilles sont conçues pour polliniser tout ce qui est arbres fruitiers, plantes médicinales, etc. Tout ce qu’elles vont polliniser est bon pour nous. Les champs de monocultures de maïs, de soya, elles ne butinent pas cela.»
Jean-Sébastien pointe également du doigt l’utilisation des semences enrobées de néonicotinoïdes. Les agriculteurs utilisent ces pesticides afin de protéger leur culture contre la voracité des insectes nuisibles. L’utilisation massive de ces graines est dommageable pour les ruches qui finissent par s’effondrer.
Trente cordes à ses arcs
Devant ce danger, Jean-Sébastien se considère comme un gardien des abeilles. «C’est certain que si du jour au lendemain il n’y avait plus d’apiculteurs pour s’occuper des abeilles, le rendement des arbres fruitiers et des champs de légumes serait divisé par trois. En clair, ceux-ci produiraient trois fois moins. C’est à ce point!» Il me raconte que dans le sud-ouest de la Chine, au Sichuna, les gens pollinisent à la main parce que les abeilles se font rares en raison de la surutilisation de pesticides.
Ces défis n’empêchent pas Jean-Sébastien de voir encore plus grand. «Mon objectif c’est d’atteindre 100 ruches. Je souhaite devenir un apiculteur à plein temps.»
Justement, ce temps, comment est-il partagé lorsqu’on exerce ce métier?
«Tu as plusieurs périodes de récolte durant la saison. Au début du printemps, tu prépares les ruches. Tu enlèves les abeilles mortes. Puis vient ta première récolte de cire. L’automne est la saison la plus occupée. Tu dois poursuivre l’extraction du miel et de la cire. Après tu emballes tes ruches pour les protéger contre l’hiver. Au mois de novembre, commence la saison des marchés de Noël. Tu dois préparer les cadeaux, les chandelles. En décembre, je vends ma marchandise. En janvier, février et mars, je fabrique mes ruches. Évidemment, plus tu possèdes de ruches, plus tu as de la gestion à faire.»
Durant l’hiver, Jean-Sébastien passe environ deux semaines à fabriquer ses chandelles en cire d’abeille. Le jeune maitre chandelier se réfugie alors dans son atelier, et en une semaine, il peut en produire 1000.
«Je possède 30 supports sur lesquels je peux tendre 30 cordes. Une fois tendues, je les trempe dans la cire d’abeille.» À ce moment, Jean-Sébastien se lève et va chercher une partie de sa production. Il revient avec un énorme cierge et quelques chandelles. D’un bond, Maxime et moi nous nous approchons afin d’y toucher, en complète admiration devant ces œuvres.
«Le feu, c’est toute une histoire»
L’artisan n’est pas très surpris par notre réaction. «Les gens viennent voir mes chandelles dans mon kiosque. Souvent, ils me disent qu’ils sont attirés par l’odeur particulière qu’elles dégagent. Lorsqu’il y a quelque chose d’authentique, nous le sentons.
«La lumière qu’elle produit ne ressemble en rien à celle des cierges faits à partir de paraffine. C’est impressionnant. Il y a le feu. Le feu… c’est toute une histoire, le feu. Il est ancré profondément en nous. Il produit un sentiment de sécurité.» Le maître chandelier avance que l’on a tous une raison pour allumer un cierge ou une chandelle. «Faire brûler une chandelle, c’est comme une forme de protection. Il y a comme un lien qui se crée.»
Au-delà de toutes ces considérations, pour Jean-Sébastien, il est tout à fait logique d’être attiré par les chandelles en cire d’abeille lorsqu’on est engagé dans une réflexion environnementale. «On en vient à se demander comment nos ancêtres se chauffaient l’hiver, comment ils s’éclairaient, comment ils se nourrissaient. Les chandelles en cire d’abeille viennent répondre en partie à ce questionnement.»
Ceci n’est peut-être pas étranger au fait que la clientèle attirée par l’artisanat de de notre maitre chandelier est composée en grande partie de personnes proches de la nature. Sont-ils plus versés dans les questions spirituelles? «Oui, cela va avec!»
Celui qui serait prêt à répondre aux besoins des paroisses qui décideraient d’utiliser les cierges en cire d’abeille se montre très ouvert à l’appel lancé par le pape François dans son encyclique Laudato si’.
«Que l’Église catholique parle en faveur de l’écologie cela va de soi. Cela me fait plaisir.»
Jean-Sébastien est un apiculteur en quête de sens. «Très jeune, je me suis posé des questions. Ma mère est morte alors que j’avais 17 ans. Personne dans ma famille ne m’avait parlé de la vie et de la mort. C’est certain que je suis devenu sensible à ces questions. Pour moi, la spiritualité doit être démystifiée», pense celui qui a lu la Bible d’une couverture à l’autre. «Il faut être capable d’échanger sur ces questions. Nous ne devons pas avoir peur de donner notre opinion sur la religion et la spiritualité».
Dans sa quête, Jean-Sébastien est accompagné par sa conjointe, Karine. «La recherche spirituelle me parle beaucoup. Je viens d’une famille catholique pratiquante. Jeune, je priais Marie. Cela a toujours fait partie de ma vie. J’ai découvert le bouddhisme à l’âge de 18 ans. Malgré tout, mes racines catholiques sont là. Moi, je vis cela dans le concret, dans la prière», me confie Karine pour qui l’apiculture, l’environnement et la prière vont ensemble.
Parents de deux enfants, le couple se dit confiant face à l’avenir. «On dirait que nous sommes chanceux, bénis même», lance Karine. «Je crois que notre force réside dans notre certitude qu’il y aura toujours quelque chose de mieux pour nous. Mon père est décédé récemment. Nous nous demandons si nous pourrons garder la maison. Sans lui, nous n’aurions pas été en mesure de l’acheter. Nous allons faire confiance! Il va arriver ce qu’il y a de mieux.»
*
Sans aucun doute, Jean-Sébastien et sa conjointe vivent dans leur quotidien les grandes lignes de Laudato si’. Preuve que la vision de François rejoint et éclaire – telle une infatigable bougie – celle de chercheurs de sens et de vérité qui ont décidé de protéger la «maison commune» pour le bien de l’humanité.
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