Photo: Raphaël de Champlain / Le Verbe médias

Manger plus de ciel

Le discours apocalyptique est sur toutes les lèvres. Il serait minuit moins une pour sauver l’humanité d’un nouveau déluge. Il nous faut changer et changer vite, pour garder l’espérance du salut terrestre de l’humanité.

Mais comme dans le récit de Noé, les causes profondes de la catastrophe écologique ne sont pas météorologiques, mais eschatologiques. L’humanité s’étant détournée de son Créateur, «la création a été soumise au pouvoir du néant» (Rm 8, 19).


Ce texte est tiré de l’édition papier du magazine Le Verbe, été 2019. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.


Réformer l’homme

On prêche une révolution de système. Il faut changer notre manière de produire, de travailler, d’échanger, de consommer. Mais est-ce là vraiment la révolution dont nous avons besoin? Les meilleures découvertes scientifiques, les meilleures structures économiques et les meilleures politiques ne changeront rien si l’homme continue à mentir, voler, abuser, surconsommer.

C’est l’échec de tous les marxismes et socialismes: ils pensaient qu’il suffit de réformer les structures pour réformer l’homme.

C’est plutôt l’inverse: il faut réformer l’homme, et alors les structures qu’il créera seront meilleures. Donnez un million de dollars à tous les citoyens de notre pays, et notre société s’autodétruira en moins d’un an. D’ailleurs, comme des riches le prouvent partout, la vertu ne s’achète pas.

Nous ne devons toutefois jamais sombrer dans un pessimisme paralysant.

«Tout n’est pas perdu, rappelle le pape François, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre dégout et d’initier [sic] de nouveaux chemins vers la vraie liberté. Il n’y a pas de systèmes qui annulent complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à la beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue d’encourager du plus profond des cœurs humains» (Encyclique Laudato si’, no 205).

Révolution des pensées

Incontestablement, si au plus profond des cœurs le plus grand bien désiré n’est que corporel, matériel, temporel, alors aussi bien user de ce corps et de cette terre avant sa destruction. Pour le crédo moderne, ce n’est pas tant la survie qui compte que l’intensité de la vie. Mieux vaut être une luciole brillante qu’une tortue éteinte et dépressive.

Mais si le plus grand bien est spirituel, alors il redevient possible d’user des biens de ce monde comme n’en usant pas, selon la formule de saint Paul. Nous devenons les abeilles de l’Univers, nous dit le poète Rilke, butinant éperdument le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’invisible.


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Car cette vie est un chemin que l’on emprunte plus en pèlerin qu’en propriétaire. Le détachement devient non seulement possible, mais essentiel pour avancer. Pour le crédo chrétien, c’est l’autre «sur-vie» qui compte, cette vie qui est au-dessus du sensible.

L’unique planche de salut de l’humanité est donc dans une révolution des pensées.

Comme le prêche Michel-Maxime Egger, un sociologue suisse de tradition orthodoxe, notre monde a besoin d’une «écospiritualité» qui met en résonance la transformation du monde et la transformation de soi. Il s’agit avant tout d’une démarche de conversion intérieure.

Échec panthéiste

Mais attention aux fausses conversions spirituelles. La tentation occidentale est d’aller du côté du panthéisme oriental: une union jusqu’à la fusion entre nous et la nature. Pourquoi cela ne marche-t-il pas exactement?

Parce qu’il ne suffit pas de lire un livre du dalaï-lama, de boire des tisanes, de faire du yoga et d’aller marcher en forêt (même si nous prenons le temps d’embrasser les arbres) pour changer notre cœur.

Le panthéisme n’est trop souvent qu’un gnosticisme désincarné. Il arrive certes à changer notre façon de penser, mais il est impuissant à changer notre façon d’agir. Car si la distinction entre Dieu, le monde et moi est une illusion, alors s’évanouit toute liberté. L’homme n’a ni responsabilité dans ce qui arrive à notre terre ni pouvoir réel d’intervenir. Il ne peut que consentir et non se convertir.

Et comment le panthéisme pourrait-il renverser l’existentialisme relativiste ambiant?

Après tout, si le monde et moi faisons un, pourquoi n’aurais-je pas le droit d’en abuser et même de l’euthanasier? C’est mon corps et je peux bien en faire ce que je veux! Si je le veux, alors le monde aussi le veut.

Moins est plus

Où trouverons-nous alors cette écospiritualité qui est capable d’influer concrètement sur notre manière de vivre?

Nul besoin de chercher dans les ashrams, les mosquées, les campus universitaires ou les livres de croissance personnelle. Le christianisme transmet ce trésor depuis plus de 2000 ans.

Le pape François résume ainsi cette spiritualité qui doit opérer en nous la conversion de la consommation à la contemplation:

«La spiritualité chrétienne, écrit-il, propose une autre manière de comprendre la qualité de vie, et encourage un style de vie prophétique et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les choses sans être obsédé par la consommation. Il est important d’assimiler un vieil enseignement, présent dans diverses traditions religieuses, et aussi dans la Bible. Il s’agit de la conviction que “moins est plus”. En effet, l’accumulation constante de possibilités de consommer distrait le cœur et empêche d’évaluer chaque chose et chaque moment. En revanche, le fait d’être sereinement présent à chaque réalité, aussi petite soit-elle, nous ouvre beaucoup plus de possibilités de compréhension et d’épanouissement personnel. La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation de plaisirs» (Laudato si’, no 222)

Solution monastique

Et si la solution miracle n’était pas technologique, mais monastique!

Dans les couvents de tous les pays, nous pouvons dénicher ce mode de vie écologique sensé et éprouvé. Nos bonnes sœurs et bons frères semblent être les seules personnes, parmi la population des pays de surabondance, capables de se priver volontairement.

Avec eux, une décroissance semble possible.

Pourquoi? Parce que leurs privations sont orientées vers quelque chose de plus grand. Chez eux, l’ascèse est joyeuse, le don est un gain. En eux, il n’y a pas fusion avec Dieu et le monde, mais communion et relation. Ils croient au salut de l’humanité par le mystère de l’Incarnation. C’est dire que la pensée doit toujours se faire chair, que les idées s’expriment par des actes.

En s’inspirant du style du pape François, voici 10 titres de chapitres qui pourraient constituer le vadémécum de cette écospiritualité dont les monastères du monde entier sont les inspirateurs et les gardiens vivants:

  1. Le spirituel est supérieur au matériel.
  2. La contemplation est supérieure à l’action.
  3. La stabilité est supérieure à la mobilité.
  4. Le don est supérieur à la possession.
  5. La gratuité est supérieure à l’efficacité.
  6. La beauté est supérieure à l’utilité.
  7. La vie communautaire et supérieure à la vie solitaire.
  8. L’oraison est supérieure à la consommation.
  9. La tradition est supérieure à l’innovation.
  10. La liturgie est supérieure à la technologie.

Révélation diététique

Cette écospiritualité monastique est aussi celle de la Mère de Dieu. Selon des croyants du monde entier, la Vierge Marie est apparue de nombreuses fois en ce dernier siècle comme à Lourdes, Fatima et Kibeho, pour nous livrer l’antidote à la crise écologique: ascèse et prière; jeûne et chapelet. Conversion du corps et du cœur par des moyens ridiculement simples et concrets que nul ne peut s’excuser de pratiquer tellement ils sont gratuits et faciles.

Au fond, la solution est diététique: manger moins de la terre et plus du ciel!


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Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.