Une chambre à soi

Pour la première fois, depuis au moins 18 ans, je vous écris de ma chambre ! Ma chambre à moi ! Rien qu’à moi !

Eh bien quoi ? Vous ne comprenez pas ce que cela signifie ? Vous ne voyez donc pas ? Vous ignoriez que mon bureau avait toujours squatté une partie du salon, jamais très loin de la cuisine ?

Aaaahhh ! C’est que peut-être n’êtes-vous pas mère de six enfants ! D’accord. Laissez-moi alors vous expliquer, vous faire un petit portrait de la situation de la femme en moi qui, bon an mal an, faisait tout pour garder un tant soit peu une vie à elle, un petit jardin secret.

Ça me rappelle ma voisine, tiens.

Une fois, il y a quatre ou cinq ans, elle était sortie de chez elle en courant et en pleurant et elle est venue cogner à ma porte en me demandant comment faire pour ne pas devenir folle avec ses trois enfants.

Je lui avais répondu qu’elle devait cultiver son jardin. Elle m’avait regardé ahurie, se voyant probablement en train de bêcher au gros soleil avec un p’tit dans l’dos !

— Mais non ! Pas un potager ! Je te parle de ton jardin intérieur… ta vie, ta personne, toi, quoi !

— Ah ? Et on fait ça comment, hein ?

J’avais alors pensé à Virginia Woolf, qui disait que, pour écrire de la fiction (ou pour arriver à créer quoi que ce soit), une femme devait avoir un peu d’argent et une chambre à soi. J’avais dit à ma voisine : « Trouve-toi un petit travail et prends une chambre ou un lieu dans la maison bien à toi, tu verras, tout va changer. »


Cet article est paru dans le magazine Le Verbe de janvier 2021. Cliquez ici pour consulter la version originale.


De fait, aujourd’hui, ma voisine travaille à temps partiel et son lieu à elle s’est embelli d’année en année. Les enfants ont compris qu’ils n’étaient plus le centre de sa vie. Elle me confia même qu’elle avait recommencé à prier le matin, à prendre des temps de méditation dans la journée, à écrire quelques lignes sur ses motions intérieures. Bref, ma voisine s’était retrouvée ! Elle remarquait d’ailleurs qu’elle était beaucoup plus présente et aimante pour son mari et ses enfants.

C’est fou ce qu’une petite chambre peut faire pour l’âme et l’esprit de famille !

Le mur blanc

Bon. Je vous parlais de ma chambre, il me semble. Je dois vous avouer que je ne l’ai que pour quelques mois… Le temps d’écrire le tome II de mon livre commandé par mon éditeur qui s’impatiente.

La vérité, c’est que je squatte la chambre de mes deux gars partis vivre chez leur père à Montréal. Mon mari a tout réaménagé la pièce, transporté mon bureau et toutes mes affaires. Il voulait me mettre devant un mur blanc. « Non, chéri. Un mur blanc, ça ressemble trop à une page blanche. Je préfère devant la fenêtre ! »

J’ai posé ma violette africaine juste à côté de mon cadre de L’Annonciation de Fra Angelico et de ma Tête de Christ de Rouault.

Bon. Y a aussi la grosse affiche de Bob Marley… On fait ce qu’on peut ! Avec le temps, je l’aurai, ma chambre à moi.


Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.