Spin doctor

C’est rien qu’une bande dessinée
– Plume Latraverse

Le technicien et moi on s’était mis de connivence. Le plan était d’attendre le moment qui la surprendrait le plus, qui la prendrait de court. Il a donc commencé comme d’habitude à vérifier les organes, mesurer le crâne, prendre la fréquence cardiaque.

Puis il a demandé « voulez-vous savoir ou on vous garde la surprise ? » On voulait savoir. « Il a le spinabifida », qu’il a dit. Ça a fait son effet.

Moi j’ai trouvé, pour être de circonstance, que ce n’était pas très professionnel, d’annoncer ça comme ça. Je lui ai bien laissé savoir. Mais on était de connivence, je ne pouvais pas trop jouer les offusqués.

Donc il a le spinabifida. C’est un défaut comme un autre, ça arrive quand vous ne regardez pas. Il y en a qui se font maraicher, d’autres se font mal formés. Faut comprendre que c’est une situation, que ça se peut ces choses-là.

Ça a pris un bout de temps pour que les médecins comprennent. Faut dire pour leur défense qu’ils ne sont pas toujours vites vites. Ils balancent des mots comme « angine » ou « sacrum », mais à ce que je sache, le latin n’a jamais sauvé personne de la noyade. Faut y aller à leur rythme.

Alors on a pris des pincettes. La première, elle pensait qu’on voulait peut-être l’évacuer dans un tuyau d’aspirateur. Ben non. J’allais lui dire qu’avec des idées de même elle n’allait pas réparer grand bobos. Je ne lui ai pas dit, ça lui aurait peut-être fait de la peine.

Ensuite, eh bien, ç’a été une ribambelle d’experts. Gynéco, génétique, neuropédiatre. Ils font ce qu’ils peuvent, les pauvres. Ils s’étourdissent. C’est un vortex technicomédical qui vous secoue le squelette jusqu’à ce que vous en oubliiez sur quelle planète on se trouve. Ça spine. Et une fois par cycle, y en a un qui cherche la sortie.

Mais bon, on s’est dit qu’il fallait être patient. Leur rappeler de prendre les choses du bon côté. Arrêter de tourbillonner à côté du pot.

Prenez le généticien. Il voit tout en termes chromosomiques. Y en manque un petit bout, sa chaine est incomplète, et il devient insécure. Ça l’a pris soudainement, il a presque fallu le consoler. On n’est quand même pas en train de faire des sudokus ! que j’ai failli lui dire.

Ou encore la neuropédiatre. « Il faut comprendre que votre bébé est atteint du syndrome Dandy-Walker. » On l’avait compris dès le premier coup. Ce que je ne comprenais pas, c’est qu’on nous disait qu’il n’allait probablement pas pouvoir marcher et que le syndrome s’appelle dandy walker.

Sont pas vites.

Elle a bien vu que j’étais circonspect. Circonspecter, ça vient du latin. Ça veut dire regarder autour, chercher le trou par où lancer une flèche. Ça ressemble à circonférence. Elle a décoché en premier. « Vous n’avez jamais pensé à la solution finale ? », qu’elle a dit avec son stylo entre les doigts et sa poire sur son bureau. La solution finale ? Ça va pas du tout l’aider avec sa santé ça.

Sont pas vites. On voit ça à leur tête éberluée. Alors nous, ben, faut les attendre.

De l’autre côté, la réaction de la mère:


Gabriel Bisson

Physiquement bellâtre, intellectuellement ambitieux, socialement responsable, moralement innovateur, Gabriel croit aux choses qu'on peut prouver, mais aussi à certaines choses qu'on peine parfois à rationaliser. Ingénieur, il met son amour des lettres et du dessin au service de notre média.