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Espérer la décroissance

La courbe des cas de Covid et celle de la bourse semblent croitre ensemble ces temps-ci. Et alors que le monde espère publiquement la décroissance de la première, on salue secrètement la croissance de la seconde.

Croissance versus décroissance

C’est un débat économique et écologique qui sévit depuis deux décennies. Contre le dogme néolibéral de la croissance perpétuelle, on oppose l’hérésie écologique de la décroissance graduelle. On prêche que retrouver l’équilibre aussi bien environnemental que cérébral passe par une courbe descendante de notre « niveau de vie » (une expression à niveler par le bas !).

On oublie trop souvent que cette décroissance économique pourrait entrainer dans sa chute de l’aisance matérielle bien d’autres choses : activités, mobilité, culture et même santé.

Comme le remarquait Olivier Rey dans son essai de confinement L’idolâtrie de la vie : « C’est bien cette activité économique frénétique qui a permis d’allouer des moyens toujours plus importants à la “santé”. Rompre avec la dynamique économique actuelle impliquerait, nécessairement, de renoncer au “toujours plus” médical, et non seulement cela : accepter un “moins” important. »

Courbure vitale

L’espérance de vie elle-même n’est pas à l’abri d’une décroissance. Elle non plus ne pourra pas croitre à perpétuité. L’histoire nous a même prouvé qu’elle était capable de régresser.

Il est vrai que la Covid n’a pas encore réussi à faire reculer cette courbe de longévité. Au contraire, elle viendrait même d’atteindre un sommet historique au Canada. Pour la première fois, les hommes ont atteint en 2019 une moyenne au bâton de 80 ans. Reste que cette pandémie nous fait réfléchir.

Et si l’espérance de vie venait à diminuer ?

Pas impossible quand on ajoute aux virus, les maladies de civilisation (diabète, obésité, dépressions), les inégalités sociales, les conflits armés et les catastrophes écologiques qui sont tous dans une courbe ascendante. Sans parler du « suicide assisté » ou « euthanasie sur demande » qui pourrait devenir le premier facteur d’inflexion du diagramme vital.

Mais perdre des années, est-ce nécessairement une mauvaise nouvelle ? Avec l’arrivée de l’euthanasie, on nous a pourtant sermonnés que la qualité primait sur la longévité.

Alors il n’est pas trop subversif de poser la question : l’indice de l’espérance de vie est-il proportionnel à celui du succès de la vie ?

Cela me rappelle une homélie prononcée lors des funérailles d’un bébé décédé seulement 30 jours après sa naissance. Devant ce qui semblait le scandale de la mort d’un être totalement innocent, le prêtre avait alors posé directement cette question : « Qu’est-ce qu’une vie réussie ? »

Sa réponse a percuté à jamais ma mémoire : « Aimer et être aimé. Cet enfant a aimé et a été aimé. Voilà une vie réussie ! » Avouons qu’on est loin des critères de l’IDH (Indice de Développement Humain).

Distanciation de la limite

Le transhumanisme a beau vouloir repousser la finitude humaine, il ne pourra jamais l’éliminer. La solution ultime ne peut donc se trouver dans une distanciation de la limite, mais dans une réconciliation avec elle. Notre société peut bien tout mettre sur pause pour retarder les derniers moments, elle ne pourra jamais arrêter le temps qui passe et trépasse.

Qu’on le veuille ou non, on devra tous un jour confronter notre crainte de la mort. Tôt ou tard, notre vie corporelle finira pas décroitre, périr et pourrir. Aucun système de santé ne pourra y remédier. 

Autre lumière d’Oliver Rey : « Progressivement, un “système de santé” s’est développé, dont la vocation est désormais de prendre en charge tous les malades et toutes les maladies. Parler de [système de] santé, là où il est en vérité essentiellement question de maladie, est significatif du glissement qui s’est opéré : au fur et à mesure que le système augmente en taille et en puissance, on se met à attendre de lui qu’il devienne un guérisseur universel. Autrement dit, là aussi, plus le système croît, plus il déçoit — parce que les attentes enflent à l’infini, alors que les capacités à les combler, même multipliées, demeurent bornées. Jadis, la mort était le terme nécessaire de la vie terrestre, que la médecine pouvait dans certains cas retarder. Aujourd’hui, la mort est un échec du système de santé. »

Au-delà de la limite

Voilà pourquoi la seule véritable espérance de vie illimitée se trouve au-delà de cette vie. Seule cette espérance pourra nous redonner la liberté individuelle et collective de vivre dans un monde marqué par la possibilité et la nécessité d’expirer.

Peut-être, un jour, certains arriveront même à dire comme Paul de Tarse : « Pour moi mourir est un avantage. » Et alors la vie courante pourra recommencer à marcher vers la mort… sans peur de vivre.


Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.