C’est désormais une tradition : la campagne électorale canadienne a ramené au premier plan la question de l’avortement. Constatant la forte proportion des Canadiens favorables à son accès légal, on peut comprendre que tout parti cherchant sérieusement le pouvoir souhaite éviter le sujet.
Par contre, si la tendance se maintient, nous pouvons prévoir que, loin d’être clos, le débat sur le statut légal des enfants à naitre surgira de nouveau.
Il est donc plus que jamais nécessaire d’accroitre notre connaissance des principes fondamentaux sur cette question. Peut-être pourrait-on ainsi réintroduire un peu de logique dans ce débat on ne peut plus émotif.
Combattre l’analphabétisme éthique
Que l’on soit pro-choix ou pro-vie, il est inutile et contreproductif de cultiver l’ignorance sur ce sujet.
Une bonne partie de la population (journalistes inclus) ignore les principes éthiques et anthropologiques en jeu dans ce débat, laissant bien peu de place à une vision optimiste de notre démocratie.
En effet, comme on le soulevait dans le Washington Post, le Canada fait preuve d’une « ignorance des faits les plus élémentaires sur la question et [est] donc en grande partie incapable de discussion substantielle et adulte sur l’un des défis éthiques les plus déterminants de notre époque ».
Les catholiques du Québec ont donc un rôle important à jouer pour que le débat sur la question ne se termine pas en invectives et en attaques ad personam, comme ce fut le cas par le passé.
Il est évident qu’on ne peut malheureusement plus se contenter d’expliciter les enseignements clairs du concile (GS 51.3) sur la question. Nous devons plutôt voir cet enjeu comme une dimension de la mission, une façon particulière de témoigner de l’Évangile.
Comme le dit le pape François :
Cette défense de la vie à naitre est intimement liée à la défense de tous les droits de la personne. Elle suppose la conviction qu’un être humain est toujours sacré et inviolable, dans n’importe quelle situation et en toute phase de son développement. Elle est une fin en soi, et jamais un moyen pour résoudre d’autres difficultés (EG no. 213).
Affermir, s’instruire et témoigner de la valeur absolue de la vie humaine est donc une manière de proposer le Christ. C’est aussi une façon de clarifier, d’élever et de purifier le débat de tout ce qui l’empoisonne et de tout ce qui nous enferme dans une forme d’adolescence sociale.
Une profonde incohérence
J’ai plusieurs fois exprimé ma position sur cet enjeu.
J’aimerais aujourd’hui souligner une contradiction présente dans l’argumentaire des pro-choix.
Au Québec, la défense du droit à l’avortement rime, la plupart du temps, avec politique progressiste de gauche.
Or, la position dite pro-choix a fait de la liberté de chaque femme à décider son fondement philosophique. Ainsi, cette perspective radicalement individualiste cantonne le statut légal de l’embryon humain à un vide juridique.
Cet argumentaire fait reposer tout le poids moral du choix, donc de sa responsabilité, sur les épaules de chaque mère.
Qu’une telle position soit soutenue par l’intelligentsia de gauche procède, selon moi, de l’ignorance évoquée plus haut
Un individualisme paradoxal
En effet, la gauche n’est-elle pas la première à voir dans chaque drame humain la manifestation de structures sociales déshumanisantes?
L’ensemble des mesures sociales de notre société ne reconnaissent-elles pas pourtant que le poids du statut économique et social d’un individu ne peut reposer uniquement sur ses épaules ?
En ce sens, la société ne se désolidarise-t-elle pas des femmes au moment où elles en ont le plus besoin?
C’est une façon de dire « c’est ton problème, pas le mien ».
De plus, l’accueil des enfants à naitre n’est-il pas également un problème social ? L’avortement ne balaye-t-il pas sous le tapis d’autres problèmes comme la pauvreté, l’hypersexualisation, le dysfonctionnement familial, etc.?
Depuis longtemps, elle aurait dû s’interroger et chercher des solutions collectives aux causes de ce choix déchirant.
La gauche québécoise a refusé de s’éduquer et de dialoguer sur la question. Elle n’a pas été fidèle à ses principes.
Elle en est venue malgré elle à promouvoir ce qui peut être vu comme une politique de droite. Depuis longtemps, elle aurait dû s’interroger et chercher des solutions collectives aux causes de ce choix déchirant.
Elle a d’abord vu l’avortement comme l’échec personnel et particulier d’une femme. Or, sa fidélité lui aurait montré la faillite collective d’une société incapable d’accueillir ses membres les plus vulnérables.
La gauche a fait de l’avortement une cause de droit individuel et a ainsi abandonné des milliers de femmes. De nombreuses politiques sociales auraient pu leur éviter ce sort.
Les raisons d’espérer
La présente saison électorale continuera certainement de faire ressurgir la question du statut de l’embryon humain.
Ici et là, on voit heureusement certains commentateurs apporter des nuances et des critiques devant les limbes juridiques dans lesquels les plus petits d’entre nous se trouvent.
Une chose est certaine, l’apport des catholiques à ce débat est plus que jamais nécessaire. L’Église a tout ce qu’il faut pour l’élever au-dessus de la partisanerie.
Par sa grande tradition intellectuelle et spirituelle plaidant pour la dignité humaine, l’Église redonne à cet enjeu sa véritable importance.