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Salvifique vulnérabilité 

La mort. La mort universelle, sans discrimination. Voilà la seule certitude des agnostiques. Nous allons tous mourir un jour.

Mais si cette vérité pouvait être à son tour ébranlée? Si l’immortalité était tout juste à notre portée?

Tuer la mort

Face à la mort, l’homme se révolte. C’est injuste ! Je ne suis pas fait pour mourir ! De fait, il y a quelque chose en moi qui aspire à toujours plus. Il y a en moi un désir d’éternité. Si je meurs, tout prendra fin. Si je meurs, les meilleures choses frapperont le mur de l’absurde.

À quoi bon vivre si c’est pour mourir? À quoi bon trimer si c’est pour se décomposer?

« Vanité des vanités, tout est vanité », avait bien perçu le plus célèbre des dépressifs lucides.

La souffrance nous répugne, la mort nous apeure, la limite nous frustre, la vulnérabilité nous indigne. Mais qui a bien pu convaincre l’homme de se résigner à la finitude ? Qui diable est ce menteur ? Le serpent dit à la femme : « Dieu t’a menti. Tu ne mourras pas. Tu seras comme lui. »

Le menteur fut éliminé, mais son mensonge persiste. Après avoir déclaré la mort de Dieu, il ne reste plus à l’humaniste athée qu’à tuer la mort elle-même. C’est l’ultime guerre mondiale qui vient d’éclater.

L’ennemi c’est la mort.

L’arme fatale n’est plus la bombe atomique, mais la bombe scientifique. C’est le nouvel «isme» de notre époque. Le transhumanisme. Carte d’identité : le droit moral pour ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroitre leurs capacités physiques, mentales, ou reproductives. Le droit en justice de ne plus souffrir ni mourir.

Nouvel optimiste scientiste. Nouvel eugénisme. Nouvelle tentation de se jouer de Dieu et de jouer à Dieu en faisant miroiter un paradis artificiel.

Vers le posthumain

La souffrance et la mort ne sont plus une peine réparatrice ni médicinale. Ils sont une anomalie de la nature, une imperfection résiduelle de l’évolution. Dès lors, un nouvel impératif s’impose : il faut augmenter l’homme.

L’homme est fini, mais cette finitude n’est point finale. Évolution oblige, l’homme chemine vers la suppression de ses imperfections. Et si c’est ce nouveau Dieu « Nature » qui nous a fait progresser depuis des milliers d’années, c’est aujourd’hui à l’homme lui-même de prendre en main son évolution.

L’ère de la passivité est révolue. Le temps de la patience est passé. Nous allons agir pour accélérer le temps et pousser de force l’homme à évoluer vers une nouvelle espèce mieux adaptée : le posthumain. Ce nouvel homme sera mieux adapté, non pas à un environnement précis, mais à l’univers et à ses lois physiques de corruption et de génération. L’univers est lui-même un environnement hostile et cette nouvelle espèce le dominera.

Parfaitement imparfait

Derrière ces projets prométhéens se cache un vain orgueil, mais aussi un sain désir.

L’homme n’est pas fait pour souffrir et mourir et il le ressent bien. L’homme est fait pour un corps supérieur, un corps parfaitement adapté à l’immatérialité et l’immortalité de son âme. Dès lors, l’homme languit pour ce corps glorieux pressenti comme nécessaire à son bonheur.

Seulement voilà, ce corps lui a été promis non comme le salaire d’une autoconquête de son intelligence, mais comme le don accordé à un humble cœur, contrit et amoureux. Le ciel de l’immortalité n’est pas atteint par une construction humaine, mais par une assomption divine. Et c’est là la pierre d’achoppement de l’orgueil.

Je peux être « comme Dieu »… mais pas par mes propres forces. Je peux tout… mais en celui qui me fortifie. Pentecôte 1 / Babel 0.

Lucifer a préféré un malheur conquis à un bonheur reçu. Il a préféré le mal mérité au bien donné. Mais la créature ne sera jamais le créateur, dès lors sa force réside en sa faiblesse. « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.»

L’homme doit retrouver la perfection de son imperfection.

Le transhumanisme se trompe en voulant supprimer l’imperfection. L’élastique peut être étiré, mais il finira toujours par casser. La seule voit de rédemption pour l’homme est de retrouver la perfection de son imperfection. Le créateur a parfaitement créé imparfaites ses créatures. Leur dépendance est leur unique espérance.

La seule véritable imperfection de l’homme est le péché, cette orgueilleuse coupure de relation. Car solitaire l’homme meurt, mais solidaire il vit !

Avilir la mort?

Le transhumanisme n’arrive pas à humaniser l’homme, mais seulement à l’animaliser. Ce qu’il cherche à augmenter ce n’est pas le propre de l’homme, son âme, mais son corps qu’il a en commun avec les animaux. Plus de mémoire, plus de force, plus d’endurance, plus d’années.

Augmenter oui, mais augmenter quoi? Qui accroitra le jugement, la sagesse, le courage, l’humilité et l’amour ? Et si c’était ces limites que nous cherchons à dépasser qui allaient non pas nous transformer, mais nous transfigurer. Et si c’était ces souffrances qui étaient le chemin vers notre immortalité. Et si la mort n’était pas qu’un ennemi.

Charles Péguy écrit un jour : « Le monde moderne avilit. Il avilit la cité, il avilit l’homme. Il avilit l’amour, il avilit la femme… Il a réussi à avilir ce qu’il y a peut-être de plus difficile à avilir au monde, parce que c’est quelque chose qui a en soi… une sorte particulière de dignité : il avilit la mort. »

La véritable victoire sur la mort n’est pas de ne plus mourir, mais d’aimer à travers et au-delà de la mort. L’amour donne des ailes, les seules qui puissent nous élever au-dessus de notre condition humaine. L’homme n’a pas à être transformé, ni dépassé, mais élevé.

Au transhumanisme, le chrétien oppose le surhumanisme : le devoir moral pour tous de se laisser surélever par la grâce à la participation de la nature divine ! Il ne s’agit pas tant de tuer la mort, mais de vivifier la vie. Pas tant de construire un nouvel homme, mais de revêtir l’homme nouveau… « créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité ».

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Ô Mort où est ta victoire ?

À la question de Paul, je réponds par la voix de l’époux du Cantique : « L’amour est fort comme la mort! »

Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.