Gilles Kègle a prononcé l'hommage aux défunts lors des funérailles célébrées à l'église Saint-Roch (photo: Raphaël de Champlain).
Gilles Kègle a prononcé l'hommage aux défunts lors des funérailles célébrées à l'église Saint-Roch, vendredi dernier (photo: Raphaël de Champlain).

« Ces gens-là ont besoin de dignité » – Gilles Kègle

Il existe bien des manières de mourir. Parmi les plus tristes, il y a surement celle de partir dans l’ombre la plus totale, sans personne à qui dire une dernière parole, sans personne pour pleurer notre mort. C’est pour briser cette solitude même dans la mort que la fondation de Gilles Kègle a organisé vendredi dernier en basse-ville de Québec une messe spéciale des défunts.

S’il pleuvait vendredi, il y avait des parcelles de soleil à l’intérieur de l’église Saint-Roch. Imprégné par cette douce lumière, l’infirmier de la rue tente de se recueillir en pensant aux défunts qu’il va bientôt présenter. Même s’il est sans cesse interrompu, il prend le temps d’accueillir chacun avec le sourire, comme il se donne du matin au soir depuis 33 ans.

Près de la porte, des membres de la famille, des paroissiens et des bénévoles de divers organismes s’agglutinent autour d’une table où figurent les urnes des défunts, des fleurs et des photos. Pour certains d’entre eux, on retrouve simplement un nom encadré. Il s’agit de ceux pour qui la dépouille n’a jamais été réclamée.

Une bénévole du Café-rencontre cherche si le nom de Pierre qu’elle connait s’y trouve.  « On ne sait jamais quand ça va finir. Il passe sa journée dans la rue et mange du baloney tous les jours. »

« La plupart d’entre eux, me confie sœur Madeleine qui en a accompagné plusieurs, sont itinérants et ont été mis de côté par leur famille à cause de leur style de vie. Parfois, c’est eux qui ont coupé les ponts. On dit souvent d’eux qu’ils sont lâches, mais moi, j’ai beaucoup grandi en les écoutant. Ce sont des gens forts et courageux. »

Faire mémoire des oubliés

Quand vient le temps de présenter les défunts, Gilles Kègle est visiblement ému: « Je suis très touché de voir autant de monde pour venir rendre hommage à ces 43 personnes décédées. Les 15 premières personnes que je vais vous présenter, je ne connais rien sur elles. Avec beaucoup de respect, je vais vous les nommer. »

Puis, il enchaine en décrivant des personnes courageuses, au cœur sur la main, dévouées à aider leur prochain et priantes.

Avant de nommer la dernière personne, Gilles Kègle prend un temps de silence.  « Jean Abran. C’était mon coloc depuis 18 ans. Il est décédé à notre domicile. C’était un grand mystique, un contemplatif, dit-il en pleurant. »

L'abbé Matteo Marinucci a présidé la célébration, assisté du curé de la paroisse, l'abbé Michel Drouin (photo: Raphaël de Champlain).
L’abbé Matteo Marinucci a présidé la célébration, assisté du curé de la paroisse, l’abbé Michel Drouin (photo: Raphaël de Champlain).

Dignes au revoir

Mais pourquoi offrir des funérailles à des hommes et des femmes que personne ne connait? « Un peuple se juge à la manière dont il ensevelit ses morts », disait Périclès.

Gilles Kègle l’a compris: « Ces gens-là ont besoin de dignité comme tout autre être humain. Ce sont des gens qui ont été complètement abandonnés, mais qui ont une âme. C’est juste qu’ils ont été moins chanceux et si ça a mal tourné dans leur vie, ce n’est pas toujours de leur faute. Aujourd’hui, on a entouré leur esprit avec beaucoup de respect, car on vient tous d’un même créateur. »

Ce respect dont parle Gilles Kègle imprégnait les funérailles. Entre les pièces interprétées par les membres de l’Orchestre symphonique de Québec, on décelait un recueillement sincère dans l’assemblée. Plusieurs fidèles qui ne connaissaient guère les défunts étaient d’ailleurs simplement venus pour prier.

« C’est une manifestation de la communauté chrétienne, m’exprime Matteo Marinucci, le célébrant des funérailles. On est membre d’un même corps. Il est très important de célébrer ensemble le départ d’un de ses membres, même si on ne le connait pas. »

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N’oublier personne

Le jeune abbé Matteo en est à sa troisième messe des défunts.

Il avoue être à chaque fois plus interpelé. « Quelle est mon attitude face aux vivants qui sont encore là?  Aujourd’hui, qu’est-ce que je fais pour les plus marginalisés ? Et avec ceux qui sont à côté de moi? Comme l’a dit cette dame, qui a crié durant la liturgie et qui nous a tous surprise:  »Vous priez maintenant qu’ils sont morts. Vous auriez dû prier pendant qu’ils étaient vivants. Ils ne seraient peut-être pas morts. » »

Photo: Raphaël de Champlain.
Photo: Raphaël de Champlain.

Gilles Kègle, lui, a consacré sa vie pour ces marginalisés: « J’ai toujours été attiré par les moins attirants, nous a-t-il confié. Aller derrière les portes closes et trouver les gens sans famille, avec des problèmes de santé mentale, de cancer, les personnes âgées, c’est ça mon travail. » Par son œuvre quotidienne, le missionnaire de St-Roch nous inspire à nous occuper un peu plus de nos vivants et de nos morts pour que personne ne soit oublié.

Cri du coeur

Aujourd’hui, c’est pour eux que le missionnaire de la paix lance un cri du cœur médiatique.  Pris de court par le manque de fonds imminent1, Gilles Kègle craint de ne plus pouvoir offrir une cérémonie et une sépulture à des personnes qui, sans l’œuvre de la fondation, partiraient dans le pur anonymat. S’il a heureusement déjà reçu des échos favorables de quelques donateurs et du sous-ministre de la santé, la demande, elle, continuera d’augmenter.

Quand Gilles Kègle avait rencontré mère Teresa, il y a de nombreuses années, il voulait la suivre en Inde. Elle lui avait alors répondu qu’il y avait amplement à faire à Québec. Elle avait vu juste.


Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.