Qu’est-ce que les parents connaissent au sexe?

Dans la déferlante actuelle contre l’Archidiocèse de Montréal, qui a indirectement osé s’inviter dans le débat sur l’éducation sexuelle des enfants, une question implicite a été soulevée et mérite qu’on s’y attarde. Elle pourrait se formuler ainsi : qu’est-ce qu’une institution peut avoir à dire sur le sexe? Surtout lorsqu’il s’agit d’une institution dont on ne compte plus les péchés sexuels de certains de ses membres et dont l’enseignement est en décalage complet avec les mœurs d’aujourd’hui. Selon Gabriel Bisson, un réel appel à une sexualité intégrale mérite un plus large écho.

Semble-t-il qu’on ait, dans le processus, oublié que l’objet de la discussion était un cours sur la sexualité, conçu et élaboré par le Ministère de l’Éducation en réponse à un dérèglement des mœurs actuelles en matière de galanterie – dérapages magnifiquement illustrés par l’Archi-dièse #metoo ou #balancetonporc.

Le cursus comprend une vision de la sexualité, des objectifs d’apprentissage, une brochette de valeurs à transmettre et trois-quatre mises en garde. Il couvrira entre autres la connaissance du corps, l’image corporelle, il abordera les stéréotypes sexuels et, finalement, discutera du sentiment amoureux (ah oui, c’est mieux quand on s’aime).

On devine déjà la profondeur du propos.

On imagine aussi les hordes d’étudiants, impatients de mettre en pratique le contenu de leurs manuels scolaires, se jeter dans les bras les uns des autres pour tester la sexualité de fonctionnaires qu’on leur aura inculquée.

Et si le problème du nouveau cours n’était pas qu’il en dise trop, mais qu’il n’en dise pas assez?

Et si le problème du nouveau cours n’était pas qu’il en dise trop, mais qu’il n’en dise pas assez? Ou qu’il amoindrisse le sujet? Et si l’amour n’était pas un attribut du sexe, mais son terroir, son écosystème?

Faire la bête à deux dos n’est pas, après tout, un geste banal qu’on peut rapetisser à sa composante physiologique. Une formule gouvernementale ne peut qu’avoir l’un de ces deux défauts : amincir le mystère à sa matière consensuelle, c’est-à-dire faire dans la rectitude morale, ou piger dans les préconceptions à la mode.

Bref, on dessine dans des teintes de beige.

Chérie, j’ai réduit le sexe…

Une vraie discussion sur le sexe, au contraire, l’éclate, le charge de tout son sens existentiel et le rétablit dans le don total de soi-même qu’il suppose et qui lui donne sa saveur. Elle déploie ses conséquences et lui redonne sa radicalité. Elle parle du dégout de soi causé par la marchandisation du corps. Elle est un dialogue, une rencontre. On en a fait un programme.

Une vraie discussion sur le sexe est un dialogue, une rencontre. On en a fait un programme.

Le document pédagogique proposé par le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur n’a pas, et ne peut avoir, la portée d’une expérience vécue.

Parler d’amour, et non de ses substituts résiduels que sont le respect* et le consentement, exige une proximité et un engagement personnel que n’aura jamais l’État. Faire de celui-ci le porteur par excellence du projet éducatif de l’enfant en matière de sexualité révèle plus l’inconfort d’une génération dite libérée face à la sexualité déchainée du 21esiècle qu’une réelle compétence gouvernementale en matière de sexe.

Il semblerait donc que le problème, finalement, ne soit pas tellement qu’une poignée de parents fanatiques aient la prétention d’être, pour leur enfant, de meilleurs éducateurs à la sexualité qu’un prof de math semi-formé, mais plutôt que tous les autres parents n’aient pas, eux aussi, cette prétention.


Note:

* On peut critiquer le peu de cas qui est fait des notions de respect et de consentement dans ce texte. Loin de moi l’idée de manquer de respect au respect, ou de suggérer que l’amour, c’est de forcer la main de l’autre. L’idée est de dénoncer le remplacement de mystères profonds par des concepts que l’on peut mettre en poche.

On vit dans un monde qui a assimilé la logique capitaliste au point où on lui emprunte son vocabulaire pour parler de sexualité. Respect. Consentement. Certains parlent même de bénéfices… Ces termes sont pourtant inaptes à exprimer la grandeur de l’amour véritable. On respecte un contrat. On consent à se faire retirer les dents de sagesse.

L’échange, la transaction, le commerce, sont contraires au don. Il y a donc déjà, dans cette façon de parler, une rupture entre sexe et amour.

D’où le problème.

[NDLR: Cette note a été ajoutée par l’auteur deux jours après la publication originale de l’article, soit le 17 janvier 2019.]

Gabriel Bisson

Physiquement bellâtre, intellectuellement ambitieux, socialement responsable, moralement innovateur, Gabriel croit aux choses qu'on peut prouver, mais aussi à certaines choses qu'on peine parfois à rationaliser. Ingénieur, il met son amour des lettres et du dessin au service de notre média.