L’été, on dirait que le temps ralentit. Peut-être est-il écrasé, lui aussi, par la chaleur accablante de ce pays qui oublie, le temps d’une saison, qu’il est nordique. Et alors, au son des cigales et du balancement paresseux des branches vertes et lourdes, les minutes deviennent des heures, les semaines s’étirent, infinies comme le ciel d’aout. On fait des projets, on se promet de travailler, et aussi de se reposer, de terminer ce roman commencé à Noël dernier, de faire le ménage du garage ou une randonnée, de dormir à en être épuisé… Mais sans se presser, tranquillement. Après tout, on a tout l’été.
Et puis, inévitablement, on se réveille un matin et il est là, à nous guetter dans l’ombre, se régalant de notre imprudence. On réalise qu’il était présent, durant tout l’été. Quand on nageait, insouciant, il attendait sans rien dire. Les jours s’envolant un à un, alors qu’on ne s’y en attendait plus, au détour d’une semaine de fin aout, le voilà, cet ennemi tant redouté, avec sa grisaille et ses responsabilités : septembre.
Comme l’automne arrive, faisant le bilan de l’été, bien souvent on réalise que toutes ces promesses et tous ces projets sont au mieux restés inachevés, au pire demeurés à l’état embryonnaire. Tant d’après-midis de travail gaspillés et à jamais perdus!
La parabole des talents
Cette parabole moderne dans laquelle nous pouvons tous nous reconnaitre ressemble à celle, bien connue, des talents, de l’Évangile de saint Matthieu. Dans ce récit, Jésus compare notre vie à celle de serviteurs à qui le maitre aurait confié à chacun certains talents (pièces de monnaie). Au retour du maitre, celui-ci s’attend à ce que chacun ait fait fructifier ce qu’il a reçu, et chacun est récompensé ou puni selon son travail.
La fin d’un été fait partie de ces rares moments où l’on prend abruptement conscience du temps qui passe…
Il semble que la fin d’un été fasse partie de ces rares moments où l’on prend abruptement conscience du temps qui passe et qui n’est pas infini. Comme l’arrivée de l’automne nous pousse à faire un bilan – souvent décevant – de notre été, on réalise ainsi tout ce temps à jamais perdu. De même, l’approche de la mort ou la prise de conscience soudaine de notre condition mortelle nous force à évaluer notre vie.
Pourtant, loin de devoir nous paralyser de peur, le message de la parabole des talents est un appel à la prise de conscience de notre mortalité, qui doit nous entrainer à employer tout notre temps à bon escient. Nos jours étant comptés, il faut les faire fructifier de notre mieux, chacun selon ses talents. À plus petite échelle, il doit aussi en être de même de notre été.
Les projets estivaux
Bien sûr, l’été et les vacances sont cette pause nécessaire pour pouvoir se changer les idées et se reposer, avant de mieux repartir. Mais ce changement de rythme – c’est ce que je veux proposer ici – peut aussi être utile pour entreprendre des projets que la vie courante et la routine ne nous permettent pas de réaliser.
Trop souvent, le travail, les responsabilités, le quotidien nous prennent et nous absorbent entièrement. Ainsi privés du temps et de l’énergie nécessaires pour sortir de la routine, nous en devenons prisonniers.
Ces jours moins occupés, dépouillés du stress lié au travail, sont aussi l’occasion de s’ouvrir à autre chose…
Se reposer est bien sûr nécessaire, mais se renouveler, se transformer et progresser l’est tout autant. Or, ces jours moins occupés, dépouillés du stress lié au travail, sont aussi l’occasion de s’ouvrir à autre chose, à la nouveauté, à la différence, à la transcendance, cet ailleurs, cet autre – et cet Autre – à qui nous n’avons pas toujours le temps de laisser place, trop occupés pour entendre ou pour attendre, prisonniers que nous sommes de la suite des évènements quotidiens.
Cet été donc, plutôt que de seulement se reposer, pourquoi ne pas se proposer à soi-même un projet estival. Il peut s’agir de la lecture d’une œuvre littéraire ou philosophique difficile. Les romans de Dostoïevski, comme Crime et châtiment par exemple, offrent un mélange de réflexions philosophiques et de critique sociale exigeant et très intéressant. Ou encore, un des nombreux dialogues de Platon, qui constituent une porte d’entrée privilégiée sur la philosophie.
Outre la lecture, l’écoute et la compréhension d’une œuvre musicale majeure, comme la Passion selon saint Matthieu de Bach, par exemple, peut aussi s’avérer un défi stimulant pour la période estivale.
Qu’importe le choix de l’œuvre ou du défi à aborder, il me semble que l’essentiel est de profiter aussi de ce temps de calme et de répit qu’est l’été pour se laisser déranger et se faire amener ailleurs, là où on n’aurait normalement pas le temps ou l’énergie de se rendre. N’est-ce pas là un moyen efficace de se reposer et de se changer les idées?