Photo: Caroline Hernandez (unsplash.com).
Photo: Caroline Hernandez (unsplash.com).

La standardisation des produits

La semaine dernière était publiée une lettre ouverte signée par 45 pédiatres sonnant l’alarme contre le recours « trop facile aux médicaments pour traiter des symptômes s’apparentant au trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ». Bien qu’il ne soit pas mention en soi de la possibilité des surdiagnostics, beaucoup de pédiatres reconnaissent la possibilité d’être « allés trop loin ».

D’abord, le simple fait que la validité du diagnostic du TDAH fasse encore l’objet de débat1 au sein de la communauté scientifique exige notre appel au « principe de précaution ». En effet, certaines sommités dans le domaine le considèrent comme un « diagnostic psychologique non fiable » tandis que d’autres soulignent les risques de confusion.

Qu’est-ce que cette tendance à la médicamentation rapide et le phénomène de la pathologisation des comportements « périphériques » nous révèlent sur notre société?

Un grand retour en arrière?

Le recours trop rapide aux médicaments dans le traitement du TDAH n’est pas le seul élément mis en cause. Certains mettent plutôt en avant les possibles « surdiagnostics » de cette nouvelle maladie. Il est évident que les compagnies pharmaceutiques ne se plaindront ni des ventes records de leur produit (cette vidéo, à 46 :00), ni de la hausse de la valeur de leurs actions.

Toutefois, n’est-il pas possible que le système d’éducation actuel puisse lui aussi être un facteur dans ce phénomène?

En effet, outre les intérêts et le lobbying des compagnies pharmaceutiques, n’y a-t-il pas un risque que ces surdiagnostics soient liés aux « allocations supplémentaires » (MELS, p.10) octroyées aux institutions accueillant les enfants « à risques ou ayant des élèves en difficulté́ d’apprentissage et des élèves présentant des troubles du comportement » (MELS, p.24)?

Connaissant la situation précaire de nombreux établissements scolaires au Québec, la tentation de transformer des enfants turbulents en petits malades pour recevoir de nouvelles subventions peut être grande.

Sommes-nous devant une entourloupe, encore toute bureaucratique, de transformer ceux qui auraient tout le potentiel pour être les leadeurs de demain en malades mentaux, afin de recevoir des subventions additionnelles (MELS, p.10-11)?

N’est-on pas en train d’hypothéquer une partie non négligeable de la prochaine génération pour une question de subvention? Cela ne nous rappelle-t-il pas quelque chose. N’a-t-on pas un affreux sentiment de déjà-vu … (Les orphelins de Duplessis, à 6:34 et à 7:10).

TDAH : un problème ou une solution?

La première question que nous devrions poser ne devrait-elle pas concerner notre propre manière d’interpréter ce phénomène?

Devant des troubles mentaux, n’est-on pas mis parfois devant notre propre incapacité à analyser ces phénomènes?

Qu’est-ce donc en fait qu’un « TDAH »? Selon la National Institute of Mental health, ce « trouble » se manifeste principalement de deux manières : soit par un déficit d’attention et/ou par une hyperactivité. Examinons ces deux phénomènes.

1- Une inattention généralisée

Que nos jeunes et moins jeunes soient de moins en moins capables de concentration et que le niveau de culture générale soit en chute libre depuis des années sont, pour moi, des phénomènes évidents.

L’omniprésence des écrans et l’instabilité familiale ont forcément des impacts négatifs sur la capacité de concentration des enfants. Mais d’où vient ce besoin de psychiatriser ces effets comportementaux? En traitant médicalement les enfants, n’est-on pas en train de les culpabiliser, eux qui sont en réalité des victimes?

Toutefois, ce que cette situation nous révèle c’est surtout notre perte de confiance dans les capacités curatives de la dimension relationnelle des individus. Nous avons perdu de vue ces « vieilles manières » que sont la discussion, l’attention, l’effort, l’indulgence et, en définitive, l’amour.

Si les enfants sont de véritables « éponges » cognitives, leurs « troubles d’inattention » ne sont-ils pas plutôt le reflet de la pathologie sociale des grands?

La psychologisation et la surmédication des enfants manifeste donc les conséquences néfastes de notre pauvreté culturelle. Nous n’avons plus collectivement les instruments conceptuels pour y faire face. On dit souvent que les enfants sont de véritables « éponges » cognitives. Leurs « troubles d’inattention » ne sont-ils donc pas plutôt le reflet de notre propre pathologie sociale?

En ce sens, la solution ne serait-elle pas plutôt de redécouvrir notre dimension relationnelle plutôt que de faire reposer le poids de la responsabilité de nos sociétés déshumanisantes sur le dos des enfants?

2- Les vertus de l’hyperactivité et de l’impulsivité

Mon but n’est pas d’opérer, tel un Michel Foucault, un « psychiatricide ». Je crois que la psychologie a beaucoup à nous apprendre et que nous serions idiots de mettre en doute la valeur de cette science. Bien entendu, les psychotropes ont leur raison d’être et leur utilisation est souvent nécessaire. Cependant, il me semble néanmoins que cette science ne se suffit pas à elle-même, et que nous ne devrions pas la voir comme une vérité d’Évangile. Or, lorsque l’on cherche à analyser le phénomène TDAH, on est frappé par l’apriorique « l’hyperactivité et l’impulsivité » soient des « troubles ». Cela me semble être tout sauf une évidence.

Dans un premier temps, Piaget lui-même a montré l’importance du jeu dans le développement des enfants. En ce sens, les soi-disant « troubles » ne peuvent-ils pas être l’une des conséquences de l’empêchement des jeunes garçons à se chamailler2:15)?

Ensuite, le fait que ces deux comportements soient considérés comme des troubles ne présuppose-t-il pas un type de milieu auquel les enfants devraient absolument se conformer?

D’où vient cette absolutisation?

Est-il possible que nos milieux de vie soient désormais considérés d’une manière si rigide que tout écart doive passer par une cession de « formatage »?

Est-il possible que nous fassions fausse route et que nos milieux de vie, comme les écoles, soient désormais considérés d’une manière si rigide et statique que tout écart doive passer par une cession de « formatage »?

De plus, il me semble que cette volonté de réprimer ces comportements manifeste notre perte de confiance dans le potentiel humain et ses forces dynamiques naturelles.

À l’heure où nous redécouvrons les dommages environnementaux d’un mode de développement détaché de la nature et de ses processus, pourquoi ne pas aussi se mettre à l’écoute des raisons d’être de ces comportements. En ce sens, ne peuvent-ils pas être considérés comme les forces nécessaires pour contraindre à adapter nos structures sociales afin de les rendre plus humaines et respectueuses des personnes?

Cette psychiatrisation de la jeunesse ne manifeste-t-elle pas notre incapacité globale à canaliser ses forces vives; d’une société incapable de réelle autocritique et incapable de se rendre compte de ses propres travers et préférant enfouir sous le tapis pharmacologique nos « canaris dans la mine de charbon »?

Il existe toutes sortes de sonneurs d’alarme!

Des prophètes à écouter

Je ne suis pas un expert de la mécanique psycho-pharmacologique, d’autres plus spécialisés que moi dans ce domaine pourront aisément prendre le relai. Mais cette stagnation et cette tendance nihiliste du Québec portent tous les signes des effets néfastes d’un rétrécissement intellectuel et culturel que subissent les sociétés sans racines et sans horizon spirituel.

Alors que notre société réalise de plus en plus les effets du vieillissement de la population, les enfants « TDAH » ne sont-ils pas les prophètes envoyés pour nous faire prendre conscience du profond statuquo (ou régression, c’est selon) derrière l’illusion de la Révolution tranquille?

Restons ouverts à ces « problèmes » qui nous entourent et où se trouve bien souvent la Parole même de Dieu. Restons aussi vigilants à ce que cette parole, que Jésus disait aux docteurs de la Loi, ne nous soit jamais adressée : «Malheureux êtes-vous, parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes, alors que vos pères les ont tués » (Lc 11,47).


Pour aller plus loin :

« On a pris l’étiquette comme un prêt-à-porter! », de Sarah-Christine Bourihane (www.le-verbe.com).


Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.