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À la défense des maisons bien remplies

Le journal Le Soleil d’hier publiait un « Manifeste pour une maison libre », témoignage d’un homme vivant dans un grand loft vide au cœur du Vieux-Québec – archétype de l’homme postmoderne, dont la liberté déliée peut bien plaire à nos médias et nos élites.

L’homme explique comment sa simplicité volontaire – au reste assez sélective et bourgeoise – a affecté son mode de vie et l’aménagement de son logement. Il n’a pas de four, ni de frigo; il dort sur un matelas gonflable; un morceau de bois et quelques coussins lui font office de table et de chaises.

Mais il fait quotidiennement ses emplettes au marché du Vieux-Port et se paie des trips d’ultra-marathon dans le Sahara.

Si je suis d’accord avec certains des principes qui guident son mode de vie, je dois admettre que ses manières de faire me semblent un peu extrêmes.

Cet homme véhicule un message auquel nous sommes habitués : nous consommons trop, nous sommes trop matérialistes, trop attachés à nos objets, nous gaspillons.

Tout cela est vrai.

Nous aurions avantage à nous départir de nos bébelles, à nous consacrer à d’autres activités que la dépense et à apprendre à vivre plus simplement, plus rentablement, sur le plan économique comme écologique. Mais devons-nous pour autant vivre dans un appartement vide? Et consacrer nos moments les plus précieux seuls?

Le témoignage des choses

Le « Manifeste pour une maison libre » est le témoignage d’un homme solitaire, et il n’y a rien de mal à cela, mais c’est aussi celui d’un homme déraciné, et c’est ce qui me pose problème.

Nos maisons bien remplies témoignent de notre passé et de notre histoire. J’aime ce meuble parce qu’il a appartenu à mon grand-père, cette nappe, car c’est un souvenir de voyage, ce collier qui est un cadeau de mon mari.

Nos objets nous rappellent les êtres chers qui nous entourent, ceux que nous voyons moins souvent et ceux qui nous ont quittés. Ils témoignent aussi de nos gouts, de nos activités. Si j’aime faire de la couture ou jouer du piano, il me faut un minimum d’équipement pour accomplir ces passetemps qui me rendent heureuse.

Bref, ce qui remplit nos logements témoigne à mon avis de qui nous sommes. En ce sens, avoir un appartement vide, c’est un peu triste.

Le lieu de l’accueil

Nos maisons sont le lieu où nous exerçons notre hospitalité. Vous conviendrez qu’il est difficile de recevoir des gens dans un appartement vide. Certains diront que cela permet de créer des rencontres centrées autour de l’essentiel, puisque la discussion est le seul divertissement possible.

Vous m’excuserez, mais un appartement vide n’est pas propice à la réception et aux échanges. Surtout qu’il y est pratiquement impossible de recevoir des amis plus âgés ou accompagnés d’enfants.

Bien recevoir, c’est être ouvert aux besoins des gens qu’on accueille et ces besoins sont parfois différents des nôtres.

Les gens qui peuvent passer une soirée assis par terre à discuter autour d’un bout de bois sont forcément comme l’homme qui occupe ce logement : jeunes, en forme, postmatérialistes. Bien recevoir, c’est être ouvert aux besoins des gens qu’on accueille et ces besoins sont parfois différents des nôtres.

Avoir un appartement vide, c’est dire à ses proches : « Venez vous plier à ma manière d’être, ou restez chez vous ». Cela me semble assez contraire à l’hospitalité qui permet aux hommes et aux femmes de s’ouvrir aux autres et d’entrer en relation avec eux.

Le lieu de la famille

La maison est le lieu de la famille. L’homme au loft vide vit seul, il est séparé de sa femme, son fils habite dans l’Ouest. On ne peut pas le blâmer, mais doit-on le prendre pour exemple?

Toute personne qui a de jeunes enfants peut bien rêver d’une maison plus épurée, mais un logement vide doit lui sembler être de la folie totale.

De plus, la famille ne s’arrête pas aux enfants (comme l’ont défendu récemment les textes du dossier « Famille » du Verbe). Même si on n’a pas d’enfant, on est en relation avec nos parents, nos grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines.

Si l’on ne laisse même pas entrer des meubles, objets silencieux et inanimés, dans notre logis, comment pourrait-on y faire entrer notre parenté, qui parle, bouge, bref qui occupe l’espace plus que n’importe quels meubles?

Évidemment, nous ne sommes pas obligés de recevoir les membres de notre famille pour les voir. Mais avoir une maison vide, c’est se fermer à cette possibilité. Il est pourtant nécessaire que les autres membres de la famille prennent un jour la relève des grands-parents comme hôtes des réunions familiales.

Or, si l’on ne laisse même pas entrer des meubles, objets silencieux et inanimés, dans notre logis, comment pourrait-on y faire entrer notre parenté, qui parle, bouge, bref qui occupe l’espace plus que n’importe quels meubles?

Comment pourrait-on faire de notre demeure un foyer, un lieu de réelle chaleur, sans y accueillir la famille et les amis qui en sont la source?

Le lieu de la rencontre

Qu’on me comprenne bien, je ne pense pas pour autant qu’il faille recevoir des gens 24/7. Il est légitime de vouloir être seul et tranquille chez soi. Je ne pense pas non plus qu’il faille avoir des maisons pleines à craquer.

Tout en témoignant d’un passé, nos maisons doivent être fonctionnelles pour le présent et être ouvertes pour l’avenir, être prêtes à accueillir de nouveaux souvenirs. La modération me semble être la clé.

Entre nos maisons pleines d’objets futiles et inutiles, qui ne témoignent de rien d’autre que d’un désir de consommation et d’un amour-propre bien gonflé, et le loft vide de l’auteur du « Manifeste », je pense qu’il y a moyen d’avoir des demeures ni trop pleines, ni trop vides, mais aménagées avec soin dans le but d’être des lieux d’hospitalité, de rencontre, d’amour et d’enracinement.

Il me semble que c’est à cela plutôt qu’à une « maison libre » que nous devrions aspirer.

Ariane Blais-Lacombe

Ariane est une jeune mère passionnée de périnatalité. Diplômée en sciences politiques, elle aime écrire et réfléchir sur le Québec d’aujourd’hui et son rapport à la vie de famille.