Le civisme constitue les bases de la civilisation et il est fondé sur des valeurs telles que l’égalité, l’acceptation de tous dans leurs valeurs et leurs cultures, ainsi que le respect d’autrui et de ses droits, pour ne nommer que cela. Force est de constater que cette civilité prônée dans l’Occident repose sur quelque chose. Sur un rocher que nul n’ose nommer.
Le concept de civilisation en est un qu’on aborde peu de manière explicite et ouverte avec nos concitoyens. La civilisation, terme un peu flou, est généralement définie comme l’ensemble des phénomènes sociaux communs à une société. Elle implique que les individus qui en font partie soient civilisés.
À contrario, sacrer haut et fort dans le transport en commun, battre sa femme (ou son mari), ne pas remercier celui qui nous tend notre portefeuille oublié à la caisse, nous vaut l’étiquette de personne non civilisée.
Après quelques petites recherches et plusieurs conversations, j’ose tirer ces conclusions en ce qui concerne le fort pouvoir civilisateur de la religion catholique.
La fraternité
Aristote nous dirait que l’homme est fondamentalement un animal social. La civilisation tient sa source dans le besoin viscéral de relations qui unissent les humains.
D’un point de vue chrétien, le Christ veut regrouper tous les humains, en frères unis par un Père commun. Ces frères ont des relations qui perdurent et qui enrichissent leurs vies. Ce lien filial et fraternel est généré par le don de soi, par l’amour. S’ajoute à cela le fait que d’un point de vue anthropologique, l’homme vit beaucoup mieux dans l’unité que dans le conflit.
Cette fraternité honnête, durable et fiable promue par la culture judéo-chrétienne reconnait l’Autre dans ses forces et dans ses faiblesses. Plus encore, elle l’aime dans ses forces et ses faiblesses. Ce qui est rare à l’heure où l’on rêve de perfection physique autant que psychologique.
La fraternité met tous les hommes, quels qu’ils soient,égaux en dignité devant Dieu. Égalité pour tous, qu’ils disaient! Dieu nous a communiqué en le Christ son amour, peu importe que nous étions Zachée ou Pierre.
Le conflit salutaire
Un tel lien entre les hommes ne vient certainement pas sans conflits.Heureusement! Les conflits sont non seulement inévitables, mais ils sont cruciaux pour les relations interpersonnelles. Nous avons tous déjà expérimenté l’aspect bénéfique et constructif de la réconciliation,en couple ou entre copains.
Plus encore, même le frère, l’amie, le voisin demandant le plus d’énergie est une grâce et une obligation de sortir de soi, de revisiter sa vision de l’amour de l’autre et de sa propre tolérance.
Bref, il n’y a pas mieux qu’un prochain qui ne fait pas notre volonté pour nous rappeler les limites de notre amour humain.
La souffrance
Le frère qui quémande, qui pleure, qui a besoin d’aide, n’est pas qu’un caillou de plus dans notre soulier. Il n’est pas un mal qu’on doit écarter, mais une planche de salut à laquelle on doit s’agripper pour sortir de notre illusion sur nous-mêmes: même nos plus nobles efforts ne nous permettent d’aimer parfaitement celui ou celle qui dérange, qui nuit, que blesse.
Dans une société qui nie la souffrance jusqu’à vouloir la tuer dans une dose létale en fin de fin, la foi chrétienne agit à titre de rempart, de garde-fou en donnant un sens à ce qui n’en a pas autrement : la mort, la maladie, la souffrance.
Plus encore, elle permet aussi à l’âme de s’élever. On n’a jamais vu un génie atteindre son apogée sans se heurter à des portes fermées, autant qu’on n’aura jamais vécu pleinement en empruntant les chemins déjà asphaltés. Saint Paul nous le rappelle d’ailleurs justement : « nous nous glorifions même des afflictions, sachant que l’affliction produit la persévérance, la persévérance la victoire dans l’épreuve, et cette victoire l’espérance » (Rm 5, 3-4).
Etla souffrance rapproche du Seigneur. Un prêtre a dit un jour que le Seigneur est comme un docteur: personne n’irait le voir si tout le monde était en santé. Ne nous reste qu’à le fréquenter aussi pour des raisons préventives, et non seulement curatives…
Le pardon et la vérité
Le pape François disait encore que « sans vérité, sans confiance et sans amour du vrai, il n’y a pas de conscience ni de responsabilité sociale, et l’agir social devient la proie d’intérêts et de logiques du pouvoir ».
Ainsi, puisque la fraternité est à l’opposé de la recherche d’intérêts égoïstes et de pouvoir, les relations saines entre humains ne peuvent se baser sur le mensonge et doivent avoir en leur centre la vérité. Or, la vérité et le pardon ont comme dure condition d’existence une parcelle d’humilité (ne serait-ce que momentanément), les efforts et la patience.
La famille et l’amour
La cité première de l’Église est la famille. C’est en son sein qu’on retrouve les plus beaux mystères de la vie: l’amour l’enfantement et la mort.
L’amour de l’homme et de la femme avec Dieu en son centre résulte en un projet éternel plus grand que les projets et les plans individuels. À la lumière de Dieu, cet amour est permanent et passe par-dessus tout: la petite bedaine du mari, l’impatience, les mauvaises journées, les sous-performances en vélo, les pleurs, les cris…
Parce que l’amour avec Lui, c’est un amour fiable et fidèle qui ne compte pas. C’est un amour qui donne, qui est patient, qui n’est pas jaloux, qui ne se vante pas, qui ne cherche pas son propre intérêt et qui ne se souvient pas du mal. Cet amour est formidable puisqu’il dépasse la fragilité de la chair et s’appuie sur le Seigneur, cette force immuable, pour durer et briller.
N’est-ce pas là le rêve de princesse de toutes les petites filles? Et de tous les princes charmants?
Et ne me dites pas que c’est Walt Disney qui a construit ce désir d’amour éternel de toutes pièces. Il était inscrit en nous bien avant Blanche-Neige. Il y a une boutade qui circule de plus en plus dans les milieux chrétiens et même au-delà : ce n’est pas le mariage qui est une construction de la société, mais bien la société qui est construite par le mariage!
La charité
À l’opposé du consumérisme et de l’individualisme fracassants du 21e siècle, le chrétien croit en la fécondité puisqu’elle lui a été prouvée à maintes reprises. Être mère, femme, amie et sœur implique avoir foi en ce don de soi sans compter, sans penser à son compte épargne ni à la belle petite robe qu’on voudrait tellement avoir.
Ne voit-on pas d’ailleurs actuellement l’échec d’un individualisme empreint d’avarice? Notre société est écrasée par la peur, par l’épargne, par la surassurance, par les quartiers sécurisés, par les bunkeurs au cas où le ciel nous tomberait sur la tête.
Toutes ces familles et tous ces groupes religieux qui se sont exilés de leurs terres d’origine pour parcourir le globe avec une mission évangélisatrice sont des exemples plus que concrets de l’abondance de la foi. Aucun homme qui donne à l’autre, que ce soit en temps ou en argent, ne sera abandonné par Dieu. Donner sans compter, c’est recevoir au centuple. Aider sans compter, c’est entretenir des liens sociaux sécurisants et fiables qui vont dans les deux sens.
La dignité humaine
Nous parlions d’égalité. L’égalité ne peut être possible en société qu’à une condition : la reconnaissance de la dignité de l’autre. J’avais d’ailleurs abordé ce sujet dans le numéro de décembre : chaque homme est digne de par sa naissance, non pas par accomplissements. En reconnaissant que chacun, peu importe ses habits ou son logis, est digne, on reconnait qu’il est égal à soi et on se lance ainsi dans la vraie reconnaissance de l’égalité entre les hommes.
L’égalité et la dignité humaine est ce qui nous permet de vivre civilement et en harmonie avec son prochain sans le juger et en se donnant à lui.
Les dix commandements
On en parle comme de la lèpre, on brandit le mot commandement comme un sacrilège.
Ce que je n’ai jamais compris, d’ailleurs, puisque d’un point de vue athée (hypothétiquement), ces commandements sont tout ce qu’il y a de plus logique! Honore ton père et ta mère, qui t’ont donné la vie et aimé; ne commets pas d’adultère; ne commets pas de vol; ne porte pas de faux témoignage contre ton prochain; ne convoite pas la maison de ton prochain, ni sa femme, ni son serviteur, ni son bœuf, ni rien qui lui appartienne.
N’a-t-on pas assez expérimenté de vivre à l’inverse de ces commandements? Oh et puis, appelons-les autrement si le nom vous dédaigne : conseils, guidances, recommandations, tout me va. Tant que le fond reste.
La doctrine sociale de l’Église ne se base pas sur des lois inaccessibles, comme la croyance populaire le laisse entendre, mais plutôt sur la charité et sur l’amour dans la vérité. Les vraies voies de la vie en civilisation. Les voies qui permettent aux humains de se faire confiance, de construire des liens et de partager les richesses dans une optique de respect et de bien commun.