Photo: Capture d'écran d'une vidéo mise en ligne sur: http://www.dailymail.co.uk/news/article-2888550/Man-tried-kill-Pope-John-Paul-II-puts-roses-tomb.html. Source originale: Adnkronos International
Photo: Capture d'écran d'une vidéo mise en ligne sur: http://www.dailymail.co.uk/news/article-2888550/Man-tried-kill-Pope-John-Paul-II-puts-roses-tomb.html. Source originale: Adnkronos International

La force transformante du pardon

Un texte de Luc Phaneuf

Sur la photo, on voit un type de style caucasien, dans la cinquantaine avancée, debout sur la place Saint-Pierre, tenant une gerbe de fleurs blanches, fixant la caméra avec un regard profond et sérieux. Qui s’apprête à aller prier sur la tombe du regretté saint Jean-Paul II, dans la crypte de l’Église Saint-Pierre-de-Rome. Une photo parmi d’autres, détonnant par sa simplicité et banalité, sitôt publiée sitôt noyée dans le déluge des rétrospectives de fin d’année. Et pourtant, en vérité, il n’en est rien : elle révèle la transformation radicale d’un coeur qui, quelque 30 ans plus tôt, sur les mêmes lieux, était la proie d’une haine meurtrière.

Retour sur une tentative d’assassinat

Samedi 27 décembre 2014. Un pélerin se recueille sur la tombe de saint Jean-Paul II. Voilà qui serait banal s’il ne s’agissait pas de celui-là même qui, le 13 mai 1981, Place Saint-Pierre, avait tenté d’assassiner ce même pape de plusieurs coups de feu tirés à bout portant, l’atteignant de deux balles – dont une l’aurait tué illico si sa trajectoire avait été différente de quelques millimètres -, faisant craindre pour sa vie pendant plusieurs heures… Et oui, le même homme !

Le reste de l’histoire est connu : le Jean-Paul II, de son lit d’hôpital, qui pardonne publiquement le geste de son agresseur, Mehmet Ali Agça, un membre d’un groupe d’extrême droite turc appelé les « Loups gris ». Puis, quelques mois plus tard, joignant le geste à la parole, le pape qui va le visiter dans une prison italienne où le criminel purge alors une peine de réclusion à perpétuité. Une rencontre exceptionnelle, un pardon inouï qui allait avoir plusieurs conséquences sur l’avenir du jeune prisonnier. En l’an 2000, soit quelque 17 ans plus tard, M. Agca sera gracié par l’Italie et extradé vers la Turquie où il sera emprisonné pour d’anciens délits (dont le meurtre d’un journaliste remontant à 1979). Au final, il recouvrera la liberté en 2010, à l’âge de 54 ans, après avoir passé environ 27 années en prison. Sa nouvelle vie peut alors commencer.

Pardonner au-delà des désirs de … vengeance !

Il y a fort à parier que le pardon accordé par Jean-Paul II à M. Agça a incité les autorités italiennes à alléger la durée de sa peine carcérale de M. Agça. Mais il y a plus important, beaucoup plus important : ce pardon allait engendrer chez lui un lent et profond changement psycho-spirituel, une conversion – métanoia en grec signifie «retournement» – que le pape, en pardonnant à son agresseur, espérait, sans aucun doute. Un changement qui aurait été possible, peut-être, sans ce pardon exceptionnel, mais peu probable et autrement plus difficile. En effet, n’est-il pas plus facile de SE pardonner un acte terrible commis quand on sait que celui qui l’a subi nous l’a pardonné ?

Photo: Wikimedia commons
Photo: Wikimedia commons

 

Qu’est-ce qui peut bien motiver une personne à pardonner, jusqu’à l’impensable, alors que son cœur crie justice, réparation, voire vengeance ? La douleur n’appelle-t-elle pas la douleur? Œil pour œil, dent pour dent ? Oui, si l’on se contente de suivre son cerveau reptilien plutôt que … sa raison, et son cœur dans ce qu’il est capable de plus noble, beau et grand : d’aimer et de pardonner.

Quand on s’y arrête, on réalise que le désir de vengeance – une contre-valeur, ou valeur négative – s’arrime à la valeur – elle, positive – de JUSTICE qui loge au plus profond de chacun de nous. En effet, n’est-il pas juste, en théorie, qu’un mauvais acte soit puni des mêmes conséquences que celles subies ? D’ailleurs, cette valeur de justice est ancrée tellement profondément en l’humain que les premiers systèmes de justice des sociétés de l’antiquité se fondaient sur elle : si l’on avait pris une vie, on nous enlevait la sienne; si on avait volé un bœuf, on devait le restituer (ou son équivalent), etc. Une logique froide, mathématique, implacable.

Le problème avec ce type de justice, rigoriste et froid, c’est qu’il fait fi d’une autre conception de la justice, qui distingue mieux, celle-là, le psycho-moral du légal. Qui fait aussi place à la miséricorde, au pardon. Certes, il est juste qu’un criminel subisse une peine légale, un emprisonnement d’une durée proportionnée à l’offense commise, retiré de la société pour laquelle il représente un danger. Mais une fois la justice rendue, doit-on s’arrêter là ? Comment aider et la victime ET le criminel à (mieux) vivre avec les conséquences de l’offense criminelle ? À quitter l’enfer de la culpabilité et de la rancœur d’un côté, du désir de vengeance de l’autre ? À vivre, disons-le comme ça, plus sereinement, libéré du poids de l’offense faite et subie ?

Pour cela, un seul moyen, un seul chemin, le plus difficile, mais accessible et gratuit, et qui ne nie en rien la justice humaine : le pardon !

« La haine tue.Le pardon libère.Toutes les guerres, petites et grandes, sont stupides ».

(Maggy Barankitze, « la folle du Burundi », qui a assisté en 1993 au massacre de 73 de ses amies tutsis et qui a fondé au Burundi La Maison Shalom qui a accueilli depuis 20 à 30 000 enfants orphelins)

Pardonner : le chemin le plus court vers la guérison intérieure

Répétons-le : le pardon n’est PAS un déni de justice humaine et pénale. Il intervient à un autre niveau de l’être, plus intérieur : le psycho-relationnel. Et il concerne tant la victime que l’agresseur.

Du côté de la victime, le dilemme est alors le suivant : si je ne pardonne pas à mon agresseur, des sentiments négatifs allant du ressentiment à la colère, voire de la haine, m’habiteront le reste de mes jours, au risque d’empoisonner toute ma vie. Pour quel profit? Le mal que j’ai subi sera-t-il effacé comme par magie (surtout s’il s’agit du meurtre d’un proche)? Bien sûr que non. Le mal est fait, comme on dit. Il appartient au passé, qu’on ne peut changer.

Si, au contraire, je pardonne, quel profit en retirerai-je? D’abord, je ME fais le cadeau de la libération intérieure des sentiments destructeurs qui m’habitent; je facilite ainsi la guérison de mon âme. Aussi, et non moins important, je permets à l’agresseur d’entreprendre lui aussi ce processus libérateur de guérison. En somme, pour moi, victime, tout comme pour lui, je laisse la vie prendre le dessus sur la mort, la lumière submerger les ténèbres. Un processus de transformation intérieure débute alors, qui accouchera après un temps de maturation d’un nouvel être, pour qui l’épreuve aura été l’occasion d’une vraie croissance personnelle, d’un passage vers une nouvelle vie, surtout pour l’agresseur. Une vraie résurrection spirituelle, comme l’a vécue M. Agça – et il n’est pas le seul, loin s’en faut!

Une dernière objection : pardonner à l’agresseur ne revient-il pas oublier l’offense, le mal, à faire comme si rien s’était passé? Bien sûr que non! Pardonner n’est pas oublier, mais plutôt … passer outre – comme un pont franchit un obstacle. C’est permettre à la vie de continuer; c’est, dans le cas d’une relation d’amitié ou d’amour, renouer des liens, une confiance qui avaient été brisés suite à l’offense (on a même vu les parents d’une jeune femme assassinée en 1973, Chantal Dupont, développer une authentique et profonde relation d’amitié avec un des assassins de leur fille alors qu’il était emprisonné, un vrai cas d’exception). Pardonner, c’est permettre à l’amour de triompher, vaincre les forces obscures qui poussent à la haine et la vengeance. Pardonner, c’est le don… parfait !

Pardonner l’impardonnable : comment faire ?

Tout ça est bien beau, me direz-vous, mais comment pardonner… l’impardonnable? Est-il possible de le faire sur de simples bases humaines, hors des sentiers spirituels? Bien que cela soit extrêmement difficile, je pense que oui (à l’aide d’un bon soutien psychologique), SI on le désire vraiment.

Mais il existe un chemin bien balisé, qui a fait ses preuves, qui offre des outils «divins» facilitant ce parcours du combattant : les sacrements de l’Église, en particulier la communion et le sacrement du pardon (eh oui, pour éradiquer en soi la haine de l’agresseur). Voilà qui n’est pas une surprise pour quiconque sait que le pardon – et l’Amour divin qui en est la Source intarissable – est la marque de commerce de l’Église, un pardon qui est en outre gratuit et accessible 24/7 à quiconque le demande depuis 2000 ans! Trop beau pour être vrai?

Même pour un authentique chrétien, accorder un pardon extrême ne sera jamais facile. Car un pardon est toujours un fruit de l’amour; plus grande l’offense, plus grand devra être l’amour la pardonnant…

Mais le pardon est possible, même pour les pires atrocités, comme celles vécues par Maggy (en exergue), ou les parents de Chantal Dupont. Suffit d’y croire, de le vouloir, de prendre les bons moyens – spirituels ! – pour le rendre possible.

Enfin, dans un monde déchiré par tant de violences psychologiques et physiques, pardonner, c’est aussi contribuer à faire advenir un avenir de paix, en soi et autour de soi.

Le pardon est la route royale vers un avenir plus digne de l’Homme, à l’image d’un Dieu-Amour et Père d’une humanité où la miséricorde est répandue dans tous les cœurs… ◊

Collaboration spéciale

Il arrive parfois que nous ayons la grâce d'obtenir un texte d'un auteur qui ne collabore habituellement pas à notre magazine ou à notre site Internet. Il faut donc en profiter, pendant que ça passe!