Maria lactans (auteur inconnu, école d'Antwerp), autour du 17e siècle. Wikimedia Commons.
Maria lactans (auteur inconnu, école d'Antwerp), autour du 17e siècle. Wikimedia Commons.

Les seins de la Vierge contre la pudibonderie?

Dans l’émission du 31 octobre d’On n’est pas du monde, je m’inquiétais sur la place que prend de plus en plus la pornographie dans l’espace public. Mais je terminais en proposant, comme contrepoids à cette culture pornographique une redécouverte d’un art érotique authentique.

Pour vaincre le mensonge, il ne suffit pas de crier dessus. Cela risque même d’avoir les effets contraires de ceux désirés et de donner plus d’emprise encore au mal. Contre le mensonge, il faut proposer la vérité. Aussi, contre le mensonge visuel qu’est la pornographie, il faut proposer la beauté.

La beauté sauvera le monde.

Dostoïevski

« La beauté sauvera le monde » écrivait Dostoïevski dans L’Idiot. L’histoire précise plus loin : la beauté dans la lumière de la vérité. La beauté en ce qu’elle révèle un mystère. L’erreur (l’horreur) de la pornographie est d’extirper la beauté de son contexte, de la dépouiller de son mystère et d’en faire un objet de jouissance égoïste. Une beauté obscurcie, déconnectée de la vérité qu’elle est censée révéler et rendue plastique.

Or, il existe une tradition érotique qui exalte la beauté de l’amour, la beauté des corps et de l’union sponsale et qui à travers elle fait voir Dieu. Cette tradition, on la trouve dans le Cantique des cantiques. Ce poème est le sommet de toute la littérature érotique, précisément parce qu’il sert un érotisme authentique, au service de la dignité humaine et baigné dans la lumière de Dieu.

Rodin, Chagall, et al.

Je pense également aux sculptures de Rodin, aux corps glorieux de Michel-Ange, aux illustrations du Cantique des cantiques de Chagall ou de Jean-Olivier Héron, ou encore à ces magnifiques nus sculptés de Solenn Hart.

En 2008, le Vatican encourageait les artistes à représenter à nouveau Marie allaitant Jésus.

Dans la tradition chrétienne, les premières représentations de Marie montraient celle-ci, seins nus, allaitant l’Enfant Jésus. Aussi en 2008, le Vatican encourageait les artistes à représenter à nouveau la Maria lactans, Marie allaitant Jésus, et Benoit XVI aurait dit à ce propos qu’une telle image pouvait nous aider à guérir de la pornographie.

Le corps, la sexualité et toute la sphère de l’amour entre l’homme et la femme sont des thèmes impérissables de la culture et qui, pour cette raison, ont le droit d’être représentés dans l’art. Mais quelle est la différence entre ces représentations de couples enlacés, de corps parfois entièrement nus, et la pornographie? Jean-Paul II nous donne dans sa théologie du corps quelques repères à ce sujet.

Une question d’intention

Le premier est l’intention qui guide l’artiste. Dans le cas de la pornographie, l’intention est clairement de susciter la concupiscence, un regard d’envie, de convoitise, de consommation. On pourrait ainsi inclure comme pornographiques certaines publicités qui cherchent à exciter dans le but de consommer.

L’artiste qui représente le corps nu doit avoir pour but de faire voir, à travers le corps ou la nudité un mystère plus profond. L’attitude sollicitée en est une de contemplation.

L’intention du spectateur est aussi essentielle dans l’appréciation d’une œuvre.

Or, aussi belle et profonde soit une œuvre, il m’est toujours possible de la regarder avec une intention de concupiscence. L’intention du spectateur est aussi essentielle dans l’appréciation d’une œuvre. Pour voir le corps, tel que Dieu l’a voulu, il faut donc une purification du regard et du cœur.

Cela pose une question délicate. Sommes-nous capables de voir la nudité sans être nécessairement tentés?

Ombres et lumière

David Clayton, un artiste catholique suggère, selon sa lecture de la théologie du corps, que seuls les corps de Jésus et de Marie, ou ceux des saints au ciel, peuvent être représentés dans leur nudité. Je doute que ce soit la position de Jean-Paul II. Celui-ci croit en la capacité du corps de tout homme et de toute femme de révéler l’invisible.

Affirmer que seuls Jésus et Marie, parce qu’ils sont sans péché, peuvent être représentés nus, c’est tenir une position protestante qui considère que l’homme, à cause du péché originel, est entièrement corrompu.

La foi catholique est plutôt que l’image de Dieu en l’homme a été obscurcie par le péché, mais pas au point d’être défigurée.  C’est justement la beauté du corps de montrer la lumière même à travers les obscurités du péché.

Les yeux de Dieu

Jean-Paul II affirme que dans « la lumière qui vient de Dieu, le corps humain conserve lui aussi sa splendeur et sa dignité. Si on le sépare de cette dimension, il devient d’une certaine manière un objet, facilement avili, puisque ce n’est qu’aux yeux de Dieu que le corps humain peut rester nu et découvert et conserver intactes sa splendeur et sa beauté » (*).

Lactation de saint Bernard, école flamande, autour de 1480. Wikimedia Commons.
Lactation de saint Bernard, école flamande, autour de 1480. Wikimedia Commons.

La question devient donc, peut-on voir avec les yeux de Dieu? Au ciel, nous aurons cette vision parfaite, mais Jésus veut donner dès cette vie, à ceux qui le demandent, la pureté du cœur. La pureté du cœur est justement un gout de ce qu’était l’innocence d’Adam et Ève à l’origine, et un avant-gout de cette vision béatifique que nous aurons au ciel.

Aussi, le catéchisme affirme « La pureté du cœur […] dès aujourd’hui, nous donne de voir selon Dieu […] ; elle nous permet de percevoir le corps humain, le nôtre et celui du prochain, comme un temple de l’Esprit Saint, une manifestation de la beauté divine. » (CCC, § 2519)

Sacralité de l’intimité

Un autre point essentiel est qu’en aucun cas une œuvre d’art ne peut violer l’intimité personnelle du corps ou l’intimité du don des époux. Il y a une différence à faire entre les arts plastiques comme la peinture et la sculpture, et les arts visuels comme la photographie et le cinéma.

L’union réelle de deux époux est quelque chose qui leur appartient strictement.

Dans un film ou une photographie, c’est la personne vivante qui est reproduite. Si l’union sexuelle est un thème qui peut être traité dans l’art, l’union réelle de deux époux est quelque chose qui leur appartient strictement et qui ne peut en aucun cas être reproduit et partagé à l’extérieur de ce cadre intime.

L’artiste qui choisit de prendre pour thème le corps humain ou la sexualité humaine doit le faire avec un souci de responsabilité, celle de ne pas obscurcir, mais de mettre en pleine lumière la grandeur du don et la dignité de la personne.

L’artiste doit non seulement être conscient de la vérité de la sexualité humaine, mais il doit personnellement chercher à vivre cette vérité. C’est donc une exigence, pour l’artiste également, de demander au Christ cette pureté du cœur, qui lui permettra de voir le corps dans sa pleine lumière et de rendre cette lumière à travers son œuvre.

Note:

* Homélie du pape Jean-Paul II, « à l’occasion de restauration des fresques de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine », 8 avril 1994, § 6.

Alex Deschênes

Alex Deschênes détient une maîtrise en Littérature et rédige présentement une thèse de doctorat en philosophie. Marié et père de trois enfants, vous le trouverez, quand il n’est pas au travail ou avec sa famille, dans un champ avec son télescope ou en train de visionner un film de Terrence Malick.