Je suis frappé par une similitude inattendue entre le progressisme et le christianisme : une radicale quête de rédemption. Malgré l’incompatibilité de leurs normes morales et de leur métaphysique, cette similitude est fondée sur une vérité profonde de l’expérience humaine : nous cherchons à (re)trouver un état d’innocence.
Si les deux messages résonnent dans l’esprit humain, si les deux discours suscitent l’adhésion de gens condamnés par ces mêmes discours, c’est parce que, dans les tréfonds de notre conscience, nous savons que nous sommes coupables et nous souhaitons être disculpés. Nous désirons être émancipés de nos fautes. Nous aspirons à être libérés de cette charge morale qui nous ronge de l’intérieur. Voilà la quête de rédemption qui anime et tourmente le cœur humain.
Quand j’examine ma conscience, je vois le mal partout. Je précise : je ne crois pas être une personne spécialement mauvaise et je ne prône pas l’apitoiement. Je suis capable de faire le bien et je le fais souvent. Cependant, je souhaite être lucide face à moi-même et je ne veux pas rationaliser mes travers. Je reconnais donc que, dans toutes les sphères de ma vie, je tends à me prioriser aux dépens des autres et, en conséquence, je commets des injustices constantes.
Je commets des injustices envers les étrangers que j’abandonne, mais aussi envers mes proches que je néglige. Quand mes amis connaissent du succès, je dois lutter contre la jalousie qui monte en moi. Quand je suis chanceux, je dois rejeter l’orgueil qui m’incite à croire que je mérite ma chance. Quand je suis lâche, tout mon être me pousse à dévaluer ce pour quoi j’aurais dû être courageux.
Bref, ma vie intérieure est affligée par un désir constant de me valoriser par tous les moyens et d’occulter ce qui compromet mon mérite.
Les culpabilités modernes
Lorsque j’entends les discours progressistes, l’homme blanc que je suis n’est pas invité à se battre pour défendre ses intérêts contre les élites exploiteuses : je suis invité à renoncer à mes privilèges afin d’accorder plus d’importance aux intérêts d’autrui.
Je suis encouragé à prendre conscience que je bénéficie de privilèges que je n’ai pas demandés et que je n’ai peut-être pas remarqués, mais qui sont tout de même réels et qui pénalisent les personnes qui n’en jouissent pas.
Plus encore, j’entends qu’on m’accuse de perpétuer ce système de privilèges indus, ne serait-ce que par mon inaction qui se révèle être une approbation tacite. Ne rien faire est coupable, tolérer le statuquo est coupable, l’aveuglement volontaire est coupable. À moins de me repentir de l’usage de mes privilèges et de militer pour y mettre fin, je mérite d’être dénoncé. Si je persiste sciemment dans cette voie injuste, je mérite d’être condamné.
N’est-ce pas un message qui, dans sa structure de fond, est étonnamment chrétien?
Ce message est centré sur le fait que nous sommes tous coupables de fautes ancestrales et que, pour être absous de cette culpabilité, notre vie doit être transformée jusque dans nos pensées inavouées. Notre conscience est troublée par notre injustice et on nous offre une solution afin de nous détacher de nos torts. En dehors de la métaphysique, tous les éléments de la rédemption sont rassemblés.
Bien sûr, je distingue ici le progressisme et le socialisme. La gauche socialiste luttait contre la bourgeoisie afin de protéger les prolétaires. Elle luttait contre la minorité privilégiée au nom de la majorité exploitée. Par contraste, la gauche progressiste lutte en défense des minorités discriminées contre la majorité privilégiée.
La majorité populaire était la victime; elle est devenue la coupable.
Le féminisme, l’antiracisme, l’antispécisme et la cause LGBT sont les plus grandes illustrations de cette nouvelle gauche politique. De même, le mouvement écologiste place la société entière en position de responsabilité face à la crise climatique.
On assiste au renversement du rôle de la majorité populaire : elle était la victime, elle est devenue la coupable. Nous méritions d’être sauvés ; nous méritons désormais d’être condamnés.
Admirer ses adversaires
Les progressistes se battent pour des causes contraires à leurs intérêts individuels et ils admettent la culpabilité du groupe auquel ils appartiennent. Ce faisant, ils font preuve d’une abnégation admirable. L’ardeur des progressistes émerge du désir d’apaiser nos consciences coupables. À l’origine des meilleurs élans du progressisme, on trouve une quête de rédemption qui ne peut qu’être louée par les chrétiens.
Cependant, je crois que le mal identifié par les progressistes est partiel.
La souffrance infligée aux minorités ethniques et sexuelles n’est pas pire que maintes autres souffrances tout aussi généralisées. L’injustice est commise dans toutes les relations et dans toutes les sphères sociales.
En accordant l’essentiel de leur attention aux minorités discriminées, les progressistes tendent à oublier l’ampleur et la profondeur du mal.
Aucune réforme politique ne pourra confronter le fond de toutes les injustices.
La racine du mal ne se trouve pas dans les systèmes sociaux ou les codes culturels: elle réside dans le cœur humain. Les plus puissants ont abusé des plus vulnérables depuis l’aube de l’humanité, et nous n’avons aucune raison pour espérer que ces abus cessent alors que le cœur humain demeure le même.
Une quête de rédemption commune
Nous voulons cesser d’appartenir aux fautes de nos ancêtres. Nous voulons nous détacher de cet héritage coupable. Aucune réforme politique ne pourra confronter le fond de toutes les injustices : seule une remise en question existentielle le pourra.
C’est dans cet esprit qu’on accueille la rédemption en Christ.
Lorsque les chrétiens s’opposent aux progressistes sur des enjeux moraux ou métaphysiques, ils peuvent mieux apprécier l’humanité de leurs adversaires en honorant cette quête de rédemption commune.