David Cameron, premier ministre britannique (Wikimédia - CC)
David Cameron, premier ministre britannique (Wikimédia - CC)

La « Grande-Bretagne, pays chrétien »… Et nous?

La semaine dernière, je suis tombé sur le message de Pâques du premier ministre du Royaume-Uni David Cameron. Je fus agréablement surpris par la grande liberté et la capacité du politicien britannique à affirmer sans honte ni gêne que la « Grande-Bretagne est un pays chrétien ».

Faisant fi des élites bienpensantes et de l’idéologie séculariste actuelle, cette forte prise de position m’a poussé à m’interroger sur notre situation au Québec. Sommes-nous toujours une nation chrétienne? Pour bien répondre à cette question, j’ai amorcé une réflexion personnelle sur ce que je considère être les caractéristiques sociales d’une nation chrétienne en 2016.

Contrairement au portrait dressé par la doxa laïciste, une nation chrétienne n’est pas une société où les églises et les communautés chrétiennes exercent un pouvoir direct sur le gouvernement qu’il soit législatif, exécutif ou judiciaire.

Je ne connais aucun évêque qui pourrait avoir un tel désir théocratique.

De fait, je ne connais aucun évêque ou prêtre qui pourrait avoir un tel désir théocratique. La Doctrine sociale de l’Église elle-même enseigne la distinction des pouvoirs spirituels et temporels. Ainsi, craindre l’intrusion des chefs religieux chrétiens dans la sphère politique est davantage de l’ordre de la théorie du complot que d’une quelconque défense contre un réel danger.

Qu’est-ce qu’une nation chrétienne?

Une nation chrétienne respecte la liberté de conscience de ses citoyens, spécialement en matière religieuse, puisqu’elle sait que le Christ n’accepte comme disciple que des hommes et des femmes libres, de cette même liberté nécessaire à tout amour véritable.

Une société chrétienne invite toutes les croyances religieuses légitimes à contribuer au progrès humain et civil.

Elle conçoit la juste distribution des richesses selon les besoins de chacun tout en suscitant une juste compétition ainsi qu’une liberté d’entreprise pour l’atteinte d’objectifs de développement les plus élevés possible.

Une nation chrétienne protège et garantit les droits humains fondamentaux comme le droit à la vie de la conception à la mort naturelle.

Elle se garde de chercher, comme certains groupes, des privilèges pour eux-mêmes au détriment des autres. En ce sens, une nation chrétienne résiste, autant que faire se peut, à la logique d’inflation actuelle des « droits de l’homme ».

Une nation chrétienne cherche le développement des intelligences afin que tous puissent atteindre le maximum de leurs capacités respectives, gardant toujours en tête que l’ignorance est un mal qui peut mener toute nation à sa perte.

Une société chrétienne protège et reconnait la famille comme cellule fondamentale de la société puisqu’elle est le lieu privilégié de l’apprentissage de l’amour inconditionnel et du don de soi.

Qu’en est-il ici?

Dans ce contexte, est-il encore juste de dire que le Québec est une nation chrétienne? D’abord, il n’y a jamais eu de société parfaitement chrétienne. La foi n’étant pas une idéologie politique et encore moins une utopie, il est certain qu’aucune société n’a jamais réussi à construire le Royaume de Dieu en ce monde et n’a jamais été appelée à le faire.

Les écarts de notre société que l’on distingue en la comparant aux principes énoncés plus haut ne doivent donc pas trop influencer notre jugement.

De mon point de vue, la société québécoise est toujours une société chrétienne, et ce, pour plusieurs raisons.

Dans un premier temps, depuis la Révolution tranquille, on considère que le Québec est entré dans une phase de sécularisation rapide, que les références à la religion sont de moins en moins tolérées dans la sphère publique et que les motivations d’engagement personnel sont passées de transcendantes à immanentes.

Toutefois, pour le philosophe Marcel Gauchet, le processus de sécularisation lui-même est une conséquence du christianisme. En effet, selon lui, la religion chrétienne serait « la religion de la sortie de la religion » puisque, historiquement et par sa théologie même, le christianisme aurait désacralisé le monde par le fait de la transcendance absolue de Dieu.

Ainsi, puisque le monde obéirait à des lois propres données par Dieu à la création, mais laissées, disons, à elles-mêmes par la suite, il jouit d’une autonomie quasi totale. Du coup, le monde chrétien, en se développant, aurait de plus en plus pris conscience de cette « indépendance ». Ce qui aurait mené à terme à la société dite « sécularisée ».

En ce sens, notre société serait chrétienne dans son rejet même du christianisme. Le fils se serait retourné contre le père.

Puissance et justice

Une deuxième raison me porte à considérer notre société comme chrétienne : son souci non pas d’être la plus puissante, mais de prendre au sérieux le questionnement sur ce qu’est une société juste et les principes à suivre pour y arriver.

Chaque politique répond à cette logique de comparaison de soi devant l’idéal d’une société juste et équitable.

Nous n’avons qu’à ouvrir la télévision pour voir à l’œuvre cette volonté de faire mieux. Chaque politique, chaque décision que nous prenons répond à cette logique de comparaison de soi devant l’idéal d’une société juste et équitable.

Cette attention particulière n’est pas commune et partagée par toutes les sociétés. Par exemple, certaines sociétés et cultures voient le souci du pauvre comme un péché, comme une façon de ne pas respecter l’ordre de la justice éternelle de l’univers qui, suivant le cycle des réincarnations, punit d’une mauvaise vie ceux qui ne se sont pas bien comportés. Gare à celui qui oserait aider le pauvre!

Une telle pensée aurait évidemment peu de succès dans notre société et c’est justement parce que notre société est toujours fondamentalement chrétienne.

Que ce soit par ses principes moraux, parfois mal appliqués ou compris, ou encore par le processus même de sécularisation, notre société mérite encore, à mon avis, le titre de société chrétienne; une société d’abord soutenue par un goût pour les idéaux nobles et difficiles parce qu’invisibles; une société qui a encore le souci de se dédier pour ce qu’elle ne voit pas, pour ce qui a une valeur incalculable et qui ne saurait tenir que par la logique de l’appât du gain.

Bien que nous soyons sur une pente déclinante et que le constat d’une décadence tend à se généraliser, plutôt que de nous décourager en tombant dans le cynisme, nous pourrions réaffirmer nos convictions profondes et redonner à « Dieu ce qui est à Dieu » (Mc 12, 17).

Peut-être que nos politiciens ne sont pas prêts à réaffirmer cette réalité fondamentale!

Cependant, peut-être que, si nous nous mettions dès aujourd’hui à la tâche, d’ici une génération, un jeune chef d’État pourra suivre ce geste courageux de David Cameron.

Bonne fin de carême et Joyeuses Pâques à tous!

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.