La semaine dernière, le gouvernement du Canada légalisait la vente et la consommation de cannabis. Outre les citoyens à la queue leu leu sur ce qui reste de rue praticable à Montréal ou les médias venus confirmer leur thèse selon laquelle il n’y aurait pas d’apocalypse (en effet, il n’y a pas eu d’apocalypse), plusieurs sont restés perplexes quant à la tournure des évènements. Notre chroniqueur se penche sur le buzz et sur ses effets collatéraux.
Pour certains, c’était la consternation de voir un état prétendument sérieux se mettre à vendre de la drogue. Pour d’autres, il ne s’agissait que d’un nouvel épisode d’une décadence sociétale annoncée.
Une dimension semble toutefois avoir échappé au débat, c’est-à-dire celle d’une réflexion profonde sur l’expérience même de la consommation de marijuana et de ses profonds effets sociaux.
Phénoménologie de l’état/État végétatif
Comme on le disait quand j’étais adolescent : « Le pot, ça rend vedge ».
On ne peut sous-estimer l’exactitude de l’argot des jeunes qui savent souvent résumer beaucoup de choses en peu de mots.
D’abord, on signifiait par cette expression que la consommation de pot rendait semblable à des plantes. Rien de dramatique me direz-vous, Aristote lui-même n’affirmait-il pas que notre âme est composée d’une partie végétative?
De fait, comme les plantes, nous sommes vivants, nous mangeons et nous nous reproduisons. Néanmoins, cela ne nous dispense pas d’oublier ce qui nous en distingue. En tant qu’animaux rationnels, la consommation de marijuana et ce retour à l’état végétatif que sa consommation provoque nous propulseraient donc quelques millions d’années d’évolution en arrière, en deçà des stades humain et animal.
Qu’en est-il de l’expérience comme telle?
Comme l’affirme l’Institut national de santé publique :
Le principal motif pour la consommation du cannabis à des fins non médicales est l’effet d’euphorie qu’il provoque.
INSPQ, juin 2017
Selon moi, c’est à ce niveau que se situe le nœud du problème. Le cannabis ne nous fait pas expérimenter quelque chose d’absolument étranger. L’euphorie existe naturellement chez l’homme. Nous en avons déjà tous fait l’expérience « à jeun ». L’intérêt de consommer cette drogue se trouve dans le fait qu’elle permet de ressentir cette émotion sur commande et sans véritable objet.
Rechercher le vrai buzz
Ayant socialement bien intégré les dictats du consumérisme qui soumet nos décisions aux aléas d’une volonté sans le filtre de notre jugement, nous sommes désormais arrivés au stade de tricher avec nos facultés mentales. « Je veux l’euphorie ici et maintenant et sans l’effort que requerrait son expérience authentique », voilà le raisonnement sous-jacent à toute consommation de drogue.
Cette recherche de gratification instantanée ne peut que nous pousser vers la constante expansion des plaisirs, d’où la présente légalisation et celles à venir. Moins notre monde sera en mesure de s’émerveiller et de ne se satisfaire que de sentiments authentiques, plus nous irons loin dans cette logique des « légalisations ».
L’expérience de la drogue manifeste également cette tentation toujours plus présente à rechercher les plaisirs pour eux-mêmes, comme s’ils étaient des fins en soi.
Or, le plaisir est ce qui accompagne la réalisation d’un bien. Comme le plaisir gustatif accompagne l’acte de se nourrir, l’euphorie accompagne l’accomplissement et l’épanouissement d’un désir de grandeur. Qu’elle soit légitime ou non !
Rechercher ce plaisir sans son objet correspond donc à prendre le moyen pour la fin ou, en d’autres termes, à vivre un rêve éveillé.
L’esprit humain cherchant naturellement plus de réalité que de virtualité, nul ne doit donc se surprendre que la consommation de drogue tende par elle-même à s’accroitre en quantité et intensité. Visons la réelle euphorie en réalisant de grandes choses plutôt que de se satisfaire de pseudo sensations bon marché !
Au lieu de se geler, pourquoi ne pas rechercher les expériences authentiquement euphorisantes ou relaxantes ?
Intoxication collective
La consommation de drogues est évidemment une échappatoire devant la réalité parfois morne et démoralisante.
N’est-on pas bombardés de mauvaises nouvelles qui, à la longue, peuvent briser nos rêves les plus chers?
En ce sens, le scandale du mal et les mouvements décevants d’une société en deçà de ses propres idéaux peuvent générer deux attitudes : la fuite ou l’engagement. La consommation de drogues accompagne généralement la première. Pourquoi fuir sinon parce que l’on croit que rien de mieux n’est possible? C’est de cette incapacité à changer les choses qui est, selon moi, derrière ce besoin de légaliser le cannabis et c’est justement là où se trouve le drame social.
Vivre une vie authentique, c’est-à-dire une vie acceptant les évènements en toute lucidité, est un choix de plus en plus difficile.
Il est vrai que vivre une vie authentique, c’est-à-dire une vie acceptant les évènements en toute lucidité, est un choix de plus en plus difficile. Mais doit-on socialement s’en satisfaire? Ou ne devons-nous pas au contraire redoubler d’ardeur?
Comme je l’ai dit, la consommation vient souvent d’une grave déception devant les aspects négatifs de l’existence. Or, c’est souvent de ce même scandale que sont générées les plus grandes motivations. Celles qui, avec la grâce de Dieu, sont capables de « déplacer les montagnes ».
Pour nous en convaincre, on a qu’à penser aux exemples de sainte Mère Teresa devant les lépreux ou la soif d’engagement d’un saint Jean-Paul II suscité par les horreurs nazies et communistes.
Légaliser le cannabis ne revient-il pas finalement à neutraliser les forces vives de notre pays ? N’est-ce pas une façon socialement « correcte » d’accepter le mal et, par le fait même, de s’en rendre complices?
Le grand retour de Cro-Magnon
Permettez ici une petite parenthèse sur un autre type d’« enfumage »: la nouvelle taxe sur le carbone.
Au même moment où la plante anesthésiante débarquait sur le marché légal, le gouvernement Trudeau infligeait aux Canadiens une nouvelle taxe sur le carbone. Comment ne pas y voir une grossière contradiction? Les grandes transformations énergétiques n’ont-elles pas, au contraire, besoin de l’ensemble des forces vives, celles-là mêmes que l’on s’apprête à ruiner?
De plus, nul doute que l’environnement doit être une priorité pour l’ensemble des acteurs sociaux. Mais les citoyens sont-ils donc incapables de faire les bons choix par eux-mêmes? Le caractère obligatoire de la nouvelle cotisation financière n’est-il pas lui aussi une façon de capituler devant ce cynisme que l’on encourage en légalisant la marijuana ? Comment croire à la sincérité des préoccupations environnementales lorsque de telles décisions sont prises?
Fin de la parenthèse.
Plus le fossé entre les choix individuels et le bien commun se creuse, plus nous devrons légiférer sévèrement contre les comportements récalcitrants. Ouverture et resserrement légaux vont donc de pair.
Ainsi, la prochaine fois qu’il nous sera présenté un soi-disant gain de « liberté individuelle » sachez qu’il pourrait s’agir, en réalité, d’un recul important et dont la logique même peut nous mener très loin… Peut-être même, nous faire régresser de quelques millions d’années !