« La nature exposée vient d’une écoute. C’est un récit théologique : si le monde et les créatures vivantes sont l’œuvre d’une divinité, tout récit l’est forcément ». C’est de cette manière surprenante que s’ouvre l’œuvre d’Erri De Luca : La nature exposée.
L’auteur se dit agnostique. Italien d’origine, polyglotte, il lit la Bible en hébreu. Erri De Luca le reconnait : « Pour ma part, j’exclus l’intervention divine de mon expérience, pas de celle des autres. Avec le tutoiement des prières, des compassions, je ne peux m’adresser qu’à l’espèce humaine ».
Une telle tension ne peut qu’attirer mon attention. J’ouvre le livre.
Touché par la misère humaine
L’histoire du récit que livre Erri De Luca est celle d’un sculpteur qui vit dans les montagnes. Et, comme le dit l’auteur, « en montagne, l’imagination et la mémoire se mélangent ». La nature exposée, c’est l’histoire d’un sculpteur dont l’activité principale n’est pas précisément la sculpture, mais le passage d’immigrants illégaux à travers des frontières qu’il connait très bien.
Voilà qu’un bouleversement survient lorsque la télévision fait un reportage sur cet homme touché par la misère humaine. Le narrateur s’écrie : « Mes affaires sont exposées avec impudence. Le saint des montagnes, le gentilhomme contrebandier : la célébrité est une dérision ».
Retirer le drapé
C’est alors que le curé du village appelle notre homme à restaurer le crucifix dont la nudité a été recouverte par un drapé de granite. Le curé déclare : « Il s’agit d’une œuvre digne d’un maitre de la Renaissance. Aujourd’hui, l’Église veut récupérer l’original. Il s’agit de retirer le drapé ».
Dans cette phrase du curé, on devine plusieurs sens.
En effet, on ne veut pas seulement retirer le drapé de granite d’une sculpture. On veut surtout retirer le drapé de notre relation avec Dieu, relation souvent trop formelle et distante. S’approcher de l’intimité de Dieu et de l’être humain au moment le plus intime de son existence, voilà ce que nous révèle la crucifixion.
« La nudité fait vibrer les fibres les plus anciennes de la compassion. Vêtir ceux qui sont nus, c’est l’appel que Jésus lui-même nous lance dans son Évangile. » Erri De Luca nous invite à adopter la miséricorde dans chaque instant de notre vie.
Tutoyer l’autre
Pour accomplir une telle œuvre de restauration de notre être, il nous faut aimer. Ainsi que nous le rappelle l’auteur, l’amour véritable est une grâce à recevoir, une vocation à accueillir et une œuvre à accomplir.
L’auteur poursuit : « Il n’arrive pas deux fois d’être aimé avec l’intensité d’une mission. Pour l’œuvre de l’amour, nous sommes appelés à accueillir une sagesse livrée dans le roman par la bouche d’un musulman : « Adorer Dieu comme si on devait mourir demain, travailler comme si on ne devait jamais mourir ».
Dieu veut qu’on frappe à sa porte, qu’on l’interroge.
Et peut-être aussi, comme le dit le sculpteur dans le roman : « La divinité veut qu’on frappe à sa porte, qu’on l’interroge. Il faut une catapulte à l’intérieur de soi pour arriver à cette intimité de s’adresser avec le TU ».
Et si on ose se poser la question ? Si j’enlève le drapé de granite mon intimité, que vais-je découvrir ?
Pour ne pas être effrayé des découvertes, je vous invite à lire La nature exposée. Ce livre est à la fois bouleversant, provocant, méditatif et priant.
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La nature exposée, Erri De Luca, Gallimard, 2017.