Le réalisateur Ladj Ly nous plonge dans l’univers étouffant des banlieues françaises, où il ne semble pas y avoir de véritable justice. Le film Les Misérables reprend des éléments du roman de Victor Hugo, en montrant des individus d’aujourd’hui‚ avec leur désespoir et leur impuissance. L’œuvre ne sombre toutefois pas dans le défaitisme et propose peut-être quelques pistes de solution.
Le film nous fait suivre le policier Stéphane (Damien Bonnard) nouvellement affecté à la brigade anticriminalité de Montfermeil. Il a d’abord l’air d’un policier normal, d’un homme normal, de tout ce qu’il y a de plus correct et d’ordinaire. Le regard de ce policier indique déjà quel est celui du film : une immersion dans un univers étranger à plusieurs.
Un monde qui se répète
Le portrait est sombre. La banlieue semble condamnée, rien n’aide à améliorer le sort des gens qui y habitent.
Rien n’a changé depuis Victor Hugo, disent les policiers.
Aucune des solutions que nous connaissons n’y opère. On ne peut qu’éviter le pire, mais pas changer le mal. Ladj Ly montre un lieu où l’État, les policiers, personne n’a le contrôle.
Paradoxalement, le manque de stabilité est ce qui caractérise le quartier. Le film montre un quotidien dont la routine est déséquilibre.
Le film a un rythme parfait, qui suit les mouvements de la tension permanente présente dans la cité. L’amour est relégué à part (on n’en voit à peu près qu’au début, lors d’un magnifique débordement de joie autour d’une victoire sportive).
La passion la plus forte chez les habitants est sans aucun doute la colère. Les misérables, nous dit l’œuvre, sont ceux qui deviennent mauvais parce qu’ils vivent dans un endroit qui leur inculque le ressentiment, la crainte et le désir de vengeance.
Car la crainte dans le quartier amène une tension constante, qui affecte jusqu’à la fibre des individus. Personne n’y échappe, tout le monde est sur les nerfs. Les dialogues sont soit des engueulades, soit des menaces. Et je ne sais pas combien de fois on entend l’inutile « eh du calme ! »
Une police qui se démène
Ce qui m’a intéressé dans le film, c’est la réaction de la police au climat du quartier.
Plutôt que d’être complètement hostile à ce qui s’y passe, les policiers décident de la jouer « cool » (tout en restant intimidants). Ils n’hésitent pas à dire « négro » (contrairement à moi dans cet article), écoutent les freestyles de rap des gens du quartier, insultent les voyous, tutoient à peu près tout le monde.
Une sorte de complicité, malgré l’animosité, est créée entre les policiers et les habitants. L’un d’eux fait constamment son dur et agit comme un gangster.
Ce que montre le film, ce sont des policiers tellement intégrés au milieu qu’ils ne sont pas moins misérables que ceux qu’ils contrôlent quotidiennement. Les représentants de la loi n’ont finalement pas plus de crédit, de respect, que ceux qui la transgressent.
C’est pas les banlieusards contre la police. Ils sont tous dans la même misère.
Ladj Ly
Quand le policier -quasi-gangster crie « C’est moi la loi ! », personne ne le prend vraiment au sérieux. C’est que la force policière, en essayant de faire le bien, devient un gang parmi d’autres dans la cité. Et la colère s’installe, partout.
D’un tableau à une réflexion
Les Misérables, toutefois, n’est pas une tragédie. Quelques solutions, j’ose croire, sont proposées par Ladj Ly.
La première est toute simple : la révolte. Une des scènes les plus poignantes du film est l’action groupée de la jeunesse contre toutes les formes d’oppression, qu’elles soient policières ou criminelles. Cependant, et cela apparait nettement dans le film, la révolte n’est aucunement noble. Elle est tirée des sentiments les plus bas (ressentiment, colère, haine) et, comme le dit le policier Stéphane, elle se retournera tôt ou tard contre ceux qui la portent.
Le film Les Misérables porte une colère, mais ne propose en aucun cas qu’elle devienne le moteur de notre société. À l’inverse, il nous prévient de ce qui risque d’arriver — une violence toujours plus grande — si nous ne changeons pas les choses, si nous ne réagissons pas à son film.
Plus difficile est la seconde solution : l’excuse et le pardon. Ce qui rend les personnages misérables, en fait, c’est qu’ils sont humains. Ils n’arrivent pas à s’abaisser et à passer par-dessus leur colère et leurs intérêts. La crainte et la tension qui les habitent leur font oublier qu’ils peuvent être dans le tort et qu’ils ont le pouvoir, voire le devoir, de s’excuser.
Si les personnages agissaient en ayant ça en tête, on peut supposer que plusieurs colères n’existeraient pas. Cependant, à peu près personne ne pense à ça. Seul Stéphane, agent extérieur, en a l’idée : surement parce qu’il n’est pas encore misérable.
Sans rien divulgâcher, les derniers moments du film proposent une ouverture entre les policiers et les voyous, une porte de sortie.
À voir
Je ne saurais que conseiller Les Misérables à ceux qui désirent réfléchir sur l’autorité, la criminalité, l’État et, surtout, les liens humains. Les questionnements et constats qui habitent le film sont portés par des images extrêmement fortes et, surtout, un sentiment viscéral d’injustice qui ne nous lâche pas durant toute la représentation.
Les Misérables est en représentation à Québec au Cinéma Le Clap et dans plusieurs autres cinémas à travers la province. Pour les horaires, cliquez ici.