«Si j’avais connu la communauté du Cenacolo avant, j’aurais sauvé beaucoup d’années perdues.» C’est une remarque qu’on entend souvent à propos du Cenacolo, une communauté née en Italie qui accueille des jeunes en détresse. Au bout de seulement trois ans, les jeunes qui y entrent – qu’ils soient drogués ou en quête de sens – en ressortent complètement transformés. Fortement touchés par les fruits de cette œuvre de miséricorde, plusieurs Québécois souhaiteraient la voir fleurir au Québec… et– bonne nouvelle! – ils viennent de recevoir un appui important du cardinal Lacroix.
Les statistiques sur le taux de suicide, les quantités de psychotropes prescrits chaque année et la consommation de drogues sont les indicateurs d’une souffrance spirituelle évidente dans notre société.
Interpelés par le désarroi de nombreux jeunes en quête de repères, des membres de l’association catholique Regina Pacis ont ressenti l’appel du Cenacolo au Québec.
C’est pourquoi, depuis quelques mois, une trentaine de personnes se réunissent à Québec sur une base mensuelle. Ils prient pour les jeunes désespérés et leurs familles et tissent par la même occasion des liens d’amitié, condition essentielle pour accueillir les futurs jeunes qui auront besoin d’une communauté solide sur laquelle s’appuyer.
Où en est le projet et quelles sont les étapes à venir? Avant de faire venir la communauté au Canada, le but est d’envoyer des Québécois dans une des maisons du Cenacolo pour leur faire vivre une expérience. Les initiateurs du projet ciblent en priorité les jeunes dans le besoin, qui n’auront d’ailleurs rien à payer grâce à la générosité de donateurs, mais également les personnes désireuses de s’impliquer dans le projet.
C’était le cas de notre petite délégation, partie pour quelques jours en Floride, en décembre dernier.
Des ex-drogués sauvés par la prière
C’est dans la communauté de San Agustín, la plus vieille ville des États-Unis, que nous rencontrons d’abord Édouard, un des jeunes accueillis. Il nous raconte une histoire qui nous prend tous aux tripes.
Édouard avait tout pour être heureux: une belle femme, deux maisons, du succès en finance, beaucoup d’argent. Jusqu’à ce qu’il consomme des pilules de morphine pour soulager une intense douleur au dos. Il passe alors d’une pilule à 30 par jour et découvre l’héroïne, moins couteuse. Ce n’est qu’après avoir perdu sa femme, son argent et son travail qu’il a compris que quelque chose ne tournait pas rond en lui.
Ce n’est qu’après avoir perdu sa femme, son argent et son travail qu’il a compris que quelque chose ne tournait pas rond en lui.
Pour se purger, il se rend à Medjugorje, à Calcutta, à Compostelle et finalement à Jérusalem. Malgré tous ses voyages, Édouard rechute sans en comprendre la raison. Mais heureusement, contrairement à beaucoup d’autres, il s’en sort finalement.
C’est le Cenacolo qui lui a sauvé la vie. Il est maintenant abstinent depuis trois ans et demi. À le regarder, on ne se doute pas qu’il est un ex-héroïnomane. Il a le visage lumineux, l’air serein et parle du cœur humain avec une lucidité peu commune.
Au Cenacolo, Édouard n’est pas un cas à part. Devant nous, dans cette petite oasis de paix, se trouvent des ex-drogués pour la plupart. On y rencontre des colériques devenus doux. Des paresseux devenus vaillants. Des orgueilleux devenus humbles. Des hommes visiblement heureux, qui travaillent de leurs mains, prient le rosaire chaque jour, vivent de la Providence et partagent sans cesse entre eux.
Le premier appel
Sœur Elvira, surnommée la «sœur des drogués», a fondé la communauté Cenacolo il y a 32 ans. Venant d’une famille peu aisée, elle a été formée dès son jeune âge à l’école de la charité. Sa mère lui répétait: «Souviens-toi, Rita, que les bouches sont toutes sœurs. Tu ne peux rien mettre dans ta bouche sans en faire cadeau aux autres.»
Profondément interpelée par une vie de pauvreté, elle a fondé une communauté à l’image de son appel, qui incarne la gratuité du don: aucuns frais de séjour ne sont demandés aux jeunes hébergés. La communauté vit grâce à la Providence.
Sœur Elvira a commencé sa mission dans une maison vide, aux portes cassées, encombrées de broussailles et de ronces. Rien de très prometteur. Tout le monde lui demandait de se faire un plan, un programme, mais sœur Elvira ne s’en souciait point. Elle voyait déjà dans son cœur la maison pleine de jeunes. «Nous avons commencé dans une maison en ruines, abandonnée, à l’image de la vie des jeunes qui ont ensuite frappé à nos portes», raconte sœur Elvira dans son livre intitulé L’étreinte.
Le premier venu, elle l’a regardé spontanément dans les yeux en lui tendant la main et en lui disant: «Je t’attendais, enfin te voilà.» Elle raconte que les larmes lui sont montées aux yeux. «Pour la première fois de sa vie, il s’était senti aimé», confie-t-elle avec tendresse.
Aux yeux de soeur Elvira, les drogués qu’elle côtoie ne sont pas malades au sens physique du terme; ils sont simplement malades d’amour.
À ses yeux, les drogués qu’elle côtoie ne sont pas malades au sens physique du terme; ils sont simplement malades d’amour. Ils veulent vivre, voilà tout. «C’étaient des jeunes au regard éteint et au cœur mort. Ils ne me demandaient pas de médicaments, mais l’envie de vivre», se souvient sœur Elvira.
Son moyen privilégié pour retrouver la joie de vivre est la prière, seule voie certaine pour reconstruire sa maison intérieure sur des bases solides. Le rosaire, l’adoration eucharistique, la messe quotidienne, le partage de la parole de Dieu: tel est le programme que les jeunes sont invités à suivre. Un plan de vie radical, certes, mais que les jeunes eux-mêmes ont tenu à instaurer au fil du temps, puisque c’est de Dieu finalement qu’ils avaient soif quand ils prenaient de la drogue.
En bref, la spiritualité du Cenacolo est somme toute assez simple: elle repose sur la soif fondamentale d’aimer et d’être aimé.
Une moisson abondante
Cenacolo, mot italien traduit par «cénacle» en français, porte bien son nom, puisque les jeunes qui y demeurent sont témoins des miracles quotidiens de l’Esprit Saint.
Albino, le responsable des Cenacolo en Amérique, nous explique que le plus grand miracle qu’il a vu en 25 ans, c’est la vie qui revient dans les yeux éteints. «Quand tu vois quelqu’un arriver et qu’il est mort, au-dedans et au-dehors, et qu’après un mois, deux mois, six mois il retrouve la joie de la simplicité, c’est le plus grand miracle que j’ai vu.»
L’autre grand miracle, selon lui, c’est la Providence à l’œuvre dans les communautés. Lui-même en sait quelque chose.
Quand sœur Elvira lui a confié la mission de fonder une communauté en Amérique, Albino était inquiet. «On se demandait comment on allait survivre aux États-Unis, on s’inquiétait en voyant tout ce qu’il y avait à faire, on se disait qu’il fallait un budget, et moi, je n’avais aucune formation. Puis, il y a eu une maison, et une deuxième, et maintenant, il y en a quatre. Dieu a pourvu. Ici, la foi, tu la vois et tu la touches.»
Pour Édouard, le grand miracle, c’est que son cœur s’est transformé graduellement au fil des trois ans et demi passés dans la communauté.
«Mon plus gros problème est que je ne vivais pas dans la vérité. Je ne savais pas qui j’étais. J’ai eu besoin d’un an pour comprendre que j’utilisais la drogue pour masquer la colère et la peur. Ici, il n’y a pas de télévision, de radio, d’Internet, de téléphone cellulaire. Ça m’a aidé. Puis, il y a beaucoup de corrections fraternelles entre nous. Nous sommes des miroirs les uns pour les autres. Tout le monde voit qui je suis et me le dit.»
Chaque situation au Cenacolo est une occasion pour grandir intérieurement. Pendant six mois, Édouard a dû désherber le jardin. Même si ce travail l’horripilait au départ, il en a tiré une leçon d’humilité et a appris à vaincre sa paresse.
«Le chemin qu’on parcourt ici est plus profond que la simple sobriété. J’ai compris que la foi implique d’accepter de souffrir et que la vie ne va pas toujours me donner les choses que j’aime. Mais si je pense à moi et pas aux autres, je ne serai jamais heureux. J’ai besoin d’aider maintenant les gens qui ont eu des problèmes avec la drogue. J’ai besoin de m’engager, de donner le cadeau que j’ai reçu. Si je me désengage, je vais retomber dans le monde de l’argent, de mes vices.»
Québec, une terre en friche
Pourquoi une communauté Cenacolo serait-elle bienvenue au Québec? Julien Foy, fondateur de l’association Regina Pacis, pense que les maisons de thérapies, même si elles font un bon travail, ne peuvent pas en deux ou trois mois aider quelqu’un à se sortir définitivement de sa dépendance à la drogue.
«La fondatrice sœur Elvira rejette l’hypothèse qu’il soit possible de se reconstruire après seulement quelques mois quand on a pris plusieurs années pour s’autodétruire. Si les jeunes rechutent si peu à la sortie de Cenacolo, c’est sans doute grâce au temps gratuit qu’ils ont pour se reconstruire. Je pense que Cenacolo serait un cadeau pour le Québec, à la fois du point de vue civil, puisque des jeunes en détresse, il y en a beaucoup, et à la fois pour l’Église, car c’est tout un témoignage pour elle», me dit Julien Foy.
Claude Paradis, un prêtre de rue qui était aussi du voyage, est convaincu, grâce à son expérience auprès des itinérants, qu’une communauté comme Cenacolo apporterait un bien immense dans le contexte québécois.
Claude dit souvent que ses paroissiens sont les 7300 personnes qui vivent dans la rue à Montréal. Pourtant, même s’ils n’ont pas de toit où dormir, le prêtre de rue a l’intime conviction que leur problème n’est pas le fait d’être sans abri. Il paraphrase Matthieu 25 pour l’exprimer: «J’ai eu faim d’être aimé, et vous m’avez aimé. J’ai eu soif d’être reconnu, et vous m’avez reconnu.» C’est l’expérience qu’il a lui-même vécue. Ancien toxicomane, Claude Paradis a un jour été placé devant le choix radical de la mort ou de Dieu. Vous devinez la suite? C’est l’Amour qui l’a sauvé, et c’est pourquoi il croit en la puissance salvatrice de Cenacolo.
Reconnue par le droit pontifical, répandue aujourd’hui dans 64 maisons de par le monde, la communauté Cenacolo a donné la vie. Puissions-nous espérer qu’elle le fasse aussi au Québec, auprès des jeunes qui l’ont malheureusement perdue.
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Pour en savoir plus:
Site Internet du Cenacolo.
Site Internet de Reginas Pacis.
Pour s’impliquer dans le projet:
Groupe de soutien et prières Regina Pacis, premier samedi de chaque mois (18h30 à 21h00), à l’église Sainte-Geneviève, à Sainte-Foy.