C’est par pure coïncidence (qui sans doute n’en est pas une) que je suis tombé sur l’église Santa Maria ai Monti, aussi connue en français sous le nom de Notre-Dame-des-Monts. Encore aujourd’hui, cette église est un havre pour les plus déshérités et pour les itinérants de toute sorte. C’est sans aucun doute le tombeau de saint Benoît-Joseph Labre, qui a été un pèlerin-mendiant, un véritable vagabond de Dieu, qui attire à lui tous ces marginaux.
À quelques pas du Colisée, sise au cœur de l’antique quartier miséreux de la Subure, Santa Mairia Ai Monti est le lieu du dernier repos de ce saint bien spécial dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire. Un magnifique gisant le montre au repos, le visage serein, la main gauche sur le cœur tenant fermement la croix. Au bout de son bras droit déplié, sa main semble toujours égrener son chapelet.
Une autre particularité qui attire immédiatement l’attention est la marque toujours vivante de la dévotion au saint. On la reconnait grâce à toutes les prières et requêtes qui sont laissées à l’intérieur du plexiglas qui entoure la statue.
Saint Benoît-Joseph Labre est peut-être le seul exemple de la chrétienté occidentale de ce que l’Église d’orient appelle un fol-en-Christ : une personne dont elle reconnait le charisme particulier de vivre dans le renoncement et dans une humiliation scandaleuse.
Un divin énergumène
Benoît-Joseph est l’ainé d’une fratrie de quinze enfants vivant à Amettes, dans le Pas-de-Calais, au XVIIIe siècle. Fils de paysan, baigné dans la religion chrétienne depuis son enfance, il est très tôt travaillé par une spiritualité du don de soi et de l’aventure.
Adolescent, on le voit déjà prêtre, mais lui se sent plus attiré vers la vie monastique. Il s’essaye chez les Trappistes et les Chartreux, mais trop mélancolique et instable, on finit par lui refuser l’entrée de part et d’autre. C’est un personnage trop scrupuleux et original pour ces grands ordres religieux.
Avant qu’il ne découvre sa véritable vocation, c’est le déclenchement d’une épidémie qui, paradoxalement pour nous, le sauve de la désespérance. Cette occasion fait grandir en lui la charité et l’attention envers les moribonds et les plus pauvres.
Il connaissait bien le mal qui ronge le cœur de l’homme, mais il a choisi d’être témoin de la bonté divine là où les bonnes âmes sophistiquées ne vont que très rarement.
Finalement, c’est la grand-route qui l’appelle et il décide de se rendre en pèlerinage à Rome. Il trouve dans la Ville éternelle le désert qu’il a tant désiré, non pas celui extérieur, car c’est décidément une ville populeuse, mais celui des âmes des basfonds, des pauvres en lambeaux mis au ban de la société. C’est ce qu’il trouve dans le quartier de la Subure où il se rend quotidiennement. Il passe des heures à prier à l’Église Notre-Dame-des-Monts avant d’aller se perdre dans la foule, véritable vagabond, divin énergumène parmi ces miteux si chers à son Seigneur.
Benoît-Joseph visite la Suisse, l’Allemagne, la France et l’Espagne. Il s’arrête souvent dans les escaliers du sanctuaire de Lorette, en Italie, mais toujours ses pas le ramènent à Rome. C’est là qu’il s’éteint, ayant usé son corps à la corde par des jeûnes prolongés et des nuits à la belle étoile en plein hiver, par amour pour Dieu et pour son prochain.
Excentrique pour le monde
Une figure comme la sienne est très peu probable aujourd’hui. Il se sentait appelé à vivre au milieu des immondices et des balayures, des femmes victimes de la prostitution et des ivrognes. On s’en est moqué, on l’a tabassé et ridiculisé, mais il continuait de témoigner au grand monde de l’amour du Christ, qui se trouve vivant dans le sombre ravin de l’humiliation.
Il a suivi son cœur et a choisi la dure voie de la folie et du détachement. Il ne l’a pas fait par pure excentricité, mais parce qu’il était mu par un amour qui ne ment pas.
Chaque fois que je passe dans le rione des Monts comme il s’appelle aujourd’hui, je m’arrête saluer ce personnage si émouvant. Il me rappelle ces mots de Tolkien : « tout ce qui est or ne brille pas, tous ceux qui errent ne sont pas perdus ». Sa vie n’a été qu’un interminable scandale, signée par la croix qu’il aimait tant. Il connaissait bien le mal qui ronge le cœur de l’homme, mais il a choisi d’être témoin de la bonté divine là où les bonnes âmes sophistiquées ne vont que très rarement. Il savait voir la présence du Crucifié dans la misère de chacun.
S’il peut nous donner le courage et la force de combattre certains lieux communs de notre siècle, spécialement de cette période de crise et de désespérance, je crois donc qu’il n’aura pas été inutile d’être allé le déranger et d’avoir laissé une prière sur sa tombe pour nous.
Et qui sait, peut-être serons-nous nous aussi pris de cette sainte folie en Christ !
Saint Benoît-Joseph Labre, priez pour nous !