Illustration: Léa Robitaille/Le Verbe
Illustration: Léa Robitaille/Le Verbe

Idéologie, quand tu nous tiens…

Depuis quelque temps déjà, on entend ici et là dans le débat public le mot « idéologique » employé comme une accusation, comme une manière de discréditer l’opinion de quelqu’un sous prétexte qu’il ne ferait qu’appliquer un credo quelconque.

Bien que je trouve que l’idéologie a le dos large ces temps-ci, il n’en demeure pas moins qu’elle représente effectivement un risque, spécialement pour nous Québécois, qui avons hérité, de notre culture française, ce gout naturel pour les idées. C’est ce qu’a démontré récemment un excellent reportage de Radio-Canada qui a décrit le climat de censure qui règne dans certaines de nos universités.

Comme chrétiens, nous ne sommes pas à l’abri de cette tendance. On peut d’ailleurs le constater chaque fois que la foi est instrumentalisée par une tendance politique ou une autre.

Comment donc reconnaitre que nous sommes sous l’emprise d’une idéologie ? Et quel en est le meilleur antidote ? Je vous propose ici, en cinq points, quelques signes révélateurs de l’emprise d’une idéologie sur notre conscience tout en manifestant comment la vérité de la Révélation peut nous en préserver.

1. Compréhension et classification

L’intelligence n’est pas un classeur!

Que vous soyez amateur ou adepte résolu du débat politique et intellectuel, vous aurez certainement déjà fait l’expérience d’un interlocuteur pensant saisir votre position par le simple fait de l’avoir catégorisée.

Or, bien qu’il soit nécessaire de faire des liens entre les positions politiques ou philosophiques en les englobant dans une perspective plus large, il n’est pas intellectuellement honnête de penser en réfuter le contenu en exhibant son allégeance avec un mouvement de pensée particulier.

Penser avoir compris la position d’une personne en la qualifiant, par exemple, de progressiste ou conservatrice est, en soi, idéologique puisqu’on s’évite l’effort de surmonter nos propres à priori tout en se réconfortant de notre supposée supériorité intellectuelle créée par l’illusion de compréhension générée par cette même qualification.

En ce sens, la foi chrétienne nous permet d’aller au-delà des préjugés catégoriels qu’impose l’idéologie. Elle nous permet de sortir du carcan de nos conceptions pour rencontrer une personne aimée de Dieu avec son histoire, ses intérêts et ses préoccupations qui peuvent différer légitimement des nôtres.

2. Confondre relatif et absolu

On ne réinvente pas la roue : Aristote avait, il y a déjà plus de deux millénaires, identifié ce sophisme.

Confondre le relatif et l’absolu consiste à concevoir une réalité bonne ou vraie relativement alors qu’elle est bonne ou vraie absolument.

Par exemple, concevoir la dignité de la vie humaine comme quelque chose de relatif (dépendant de la qualité de vie par exemple) consiste à prendre une réalité absolument bonne – la vie humaine – et la réduire à une réalité relativement bonne sous prétexte que la « qualité de vie » puisse modifier la dignité d’une personne, ne serait-ce qu’à un degré infinitésimal.

D’un autre côté, il est possible de prendre une réalité relativement bonne ou vraie et en faire un absolu. Par exemple, une bonne partie de la finance mondiale d’aujourd’hui considère le libre-échange comme une réalité absolument bonne dont la remise en question relève pratiquement du péché mortel. En ce sens, on considère une réalité bonne relativement (il y a de nombreux bons effets au libre-échange, spécialement pour certains pays en voie de développement) comme un absolu.

L’une et l’autre de ces positions manifestent l’emprise d’une l’idéologie.

En effet, si une personne conçoit une position comme un absolu, aucune remise en question ne sera possible. Cela provoquera donc des attitudes d’exclusion et de fermeture aux débats intellectuels.

Parce que les dogmes chrétiens concernent surtout les réalités éternelles, la foi permet d’éviter le piège de chercher le salut en ce bas monde.

Ainsi, la foi chrétienne donne une hauteur à l’âme qui et donne une certaine humilité devant la réalité. « Sous le soleil », rien n’est stable et ne se laisse saisir parfaitement. Enfin, parce que les dogmes de la foi chrétienne concernent surtout les réalités éternelles, elle permet d’éviter le piège d’en chercher en ce bas monde.

3. Confondre moyen et fin

Bien souvent, je note dans notre débat public et privé une incapacité à distinguer les moyens de la fin, l’intention et la réalisation concrète d’une idée.

On remarque cela fréquemment lorsqu’on parle de la mission de l’État québécois. Par exemple, on va partir d’une bonne intention, soit celle de fournir à tous les citoyens des soins de santé égaux. Or, la réalisation de cette intention peut se faire de nombreuses manières. On peut avoir, comme en France, un système mixte dans lequel certains hôpitaux sont gérés par des organismes de la société civile. En ce sens, l’Église gère des hôpitaux dans la majorité des pays du monde (quelque 548 aux États-Unis seulement).

Au Québec cependant, on est incapable de faire la distinction entre l’intention louable mentionnée ci-haut et les modalités de sa réalisation. Dès qu’on remet en question l’une ou l’autre des composantes du système de santé, on se fait apposer toutes les étiquettes du monde.

Ne pas concevoir qu’il existe une multitude d’avenues et de solutions, chacune ayant des avantages et des désavantages, est du ressort de l’idéologie.

La foi chrétienne est donc d’un grand secours en ce qu’elle permet cette distinction fondamentale. Par le baptême, le chrétien est incorporé à un corps plus grand que sa nation et ses us et coutumes. Il est, dès l’enfance, appelé à faire la distinction entre l’universel et le particulier.

De telle sorte que, de par cette ouverture à l’autre que lui octroie sa famille élargie qu’est l’Église, il sait s’inspirer de solutions venues d’ailleurs.

4. Attitude de supériorité morale

Un quatrième signe que nous sommes sous l’emprise de l’idéologie est celui de croire que notre position a le monopole de la vertu. Cette attitude fut très bien mise en examen dans un récent reportage de Radio-Canada. Cela participe également du point numéro 2 en ce sens que le fait de concevoir son opinion comme étant absolument bonne procède d’un certain orgueil intellectuel.

Effectivement, il est très rare de trouver une politique qui n’a que des avantages. Par exemple, l’immigration, qui est aujourd’hui d’actualité, a des côtés positifs et des côtés négatifs. Par conséquent, il serait malhonnête de croire qu’un seuil ou l’autre d’immigration soit l’unique politique possible et souhaitable.

Croire aveuglément en un positionnement ou l’autre sans se soucier des défis qu’il engendre nécessairement relève de l’idéologie. La réalité est plus nuancée. De fait, plus d’immigration augmentera les aspects positifs, mais décuplera également les effets négatifs, d’où la nécessité du débat démocratique.

En ce sens, la foi est l’antidote par excellence contre les nouveaux dogmatismes politiques puisqu’elle présente toujours la « faillibilité » de la raison humaine qui, depuis le péché originel, ne peut prétendre être à l’abri des conflits d’intérêts et des replis égoïstes de tous genres.

Puisqu’il est constamment en présence de cette « corruptibilité » constituante de son identité « d’homme déchu », le chrétien est en mesure de garder un regard critique devant ses propres motivations et implications. Ainsi, impossible de croire sa propre cause comme apriori exempte de mauvaises intentions ou intérêts particuliers.

Voilà une attitude essentielle à tout débat politique et intellectuel.

5. Penser que la position adverse est l’incarnation du mal

Le dernier signe de l’emprise d’une idéologie sur la conscience d’une personne est en lien direct avec le point que nous venons d’examiner.

Évidemment, si je crois être détenteur de la vérité et du bien absolu, je croirai que l’autre est l’incarnation du mal.

Or, devant le mal, aucune discussion n’est de mise. Impossible d’en tirer aucun bien et, donc, aucune considération ne lui est due. C’est ce qu’on perçoit lorsque certains cherchent à faire taire des points de vue adverses par la violence.

Ce que l’on croyait être le monopole des anciens régimes dictatoriaux est un réel danger pour nos démocraties de plus en plus entrainées dans l’idéologie libérale-libertaire, dans ce que le cardinal Ratzinger nommait la « dictature du relativisme ».

Devant cette volonté de certains de nos contemporains à souhaiter la disparition de leurs contradicteurs, la foi chrétienne propose une anthropologie à la hauteur du problème.

Soulignant que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et que jusqu’à sa mort, il est « capax Dei » (c’est-à-dire capable de l’amour de Dieu), il ne peut être réduit à l’une ou l’autre de ses idées.

L’homme dépassera toujours la somme de ses connaissances et de ses actions, d’où l’importance de la politesse et du respect de l’opinion d’autrui.

La foi, antidote contre l’idéologie

Comme j’ai tenté de le démontrer dans ce texte qui pourrait, à bon droit, être catégorisé « d’apologétique », la foi est le meilleur rempart pour garder une certaine objectivité, une vision réaliste de nos propres opinions et positionnements tant philosophiques que politiques.

Parce qu’elle rend possible ce miracle du détachement des réalités temporelles qui nous entourent, la foi nous emporte de ce même mouvement dans cette nouvelle liberté qui nous permet d’être assurés de la victoire de ce Bien qui ne dépend, en définitive, que de Dieu.

Ainsi, allégés de l’illusion de responsabilités qui peut parfois nous parvenir de la myriade d’informations qui nous atteint chaque jour, nous pourrons faire ce bien qui, par Grâce, dépend réellement de nous.

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.