Entouré d’un noyau de penseurs chrétiens, Paul Picarretta fonde en 2015 la revue Limite, une revue française écologiste de gauche.
Limite n’a pas la langue dans sa poche. Elle s’attaque frontalement au progressisme des milieux écolos tout comme au libéralisme économique promu dans certains milieux cathos. Le Verbe a rencontré le directeur de la rédaction dans un café à Paris1.
Le Verbe : Votre revue a pour thème principal l’écologie dite intégrale. Comment cette écologie se distingue-t-elle de l’écologie dans son sens usuel ?
Paul Picaretta : C’est en fait la même chose. Nous disons souvent que toute écologie authentique est intégrale. L’écologie, telle que définie au 19e siècle, désigne la science des interactions du vivant, et plus spécifiquement « la branche des sciences de la vie qui étudie les relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu ».
Seulement, nous avons hérité de traditions qui ont tendance à extraire l’espèce humaine du système vivant.
Deux attitudes s’en suivent :
La première, pour qui l’homme est principalement un perturbateur extérieur, est la plus répandue dans les médias, mais guère dans les milieux écologistes.
L’enjeu est simple : de la survie du vivant dépend la survie de l’espèce humaine.
La seconde voit l’homme comme un possédant suprême, et la nature tantôt comme une pâte à modeler, tantôt comme une adversaire. Mais comme nous le signalons souvent, il s’agit de deux extrêmes qui ne rallient pas grand monde, mais qui jouent le rôle médiatique d’épouvantails commodes.
À Limite, nous nous inscrivons dans une voie médiane, qui pense l’interfécondité des milieux.
L’enjeu est simple : de la survie du vivant dépend la survie de l’espèce humaine.
Votre premier numéro Décroissez et multipliez-vous portait sur la décroissance. Pourquoi cet appel à la décroissance et comment devrait-il se manifester?
Les premières prises de conscience sur la nécessité de « décroitre » datent au moins de 1972 et du rapport du club de Rome baptisé « Des limites à la croissance » (appelé aussi rapport Meadows du nom de son instigateur). Ce rapport montre clairement que le virage pris après 1945 en matière de modèle économique nous conduit droit dans le mur.
En extrapolant, on pourrait tout aussi bien dire que l’entrée dans l’ère industrielle un siècle plus tôt marquait le début de la fin.
En misant sur l’exploitation infinie des ressources naturelles pour créer de la croissance, et ce, au moyen de machines toujours plus perfectionnées et toujours plus dévastatrices pour l’homme et pour la terre, homo faber était destiné dès le départ à rencontrer tôt ou tard les limites de ce modèle.
À Limite, nous pensons que la solution ne se trouve pas dans les chambres à coucher, mais dans les salles de conférences des entreprises, et principalement les grosses.
Ainsi, il n’a pas fallu beaucoup de temps pour qu’apparaissent des « objecteurs de croissance », c’est-à-dire des personnes conscientes qu’il nous faudra non pas « revenir en arrière », mais décroitre. La différence étant que la décroissance ne signifie par nécessairement le retour à d’anciennes méthodes désuètes, mais suppose de penser un avenir vivable et durable pour tous.
Cela passe par des inventions adéquates, au premier rang desquelles on pourrait citer les low techs, l’agriculture locale au moyen de la permaculture, et tout un tas d’autres inventions que les journalistes écologistes, dont nous, s’efforcent de diffuser le plus largement possible.
Et concernant la démographie ? La décroissance implique-t-elle une diminution de la population ?
À combien pouvons-nous vivre sur cette terre en gardant le modèle économique actuel, sans que cela entraine un déséquilibre environnemental fatal ? Pas beaucoup plus de 2 milliards.
Et encore, même à 2 milliards d’habitants, nous aurions fini par découvrir que le modèle extractiviste est mortifère. Donc nous voyons bien que la première question n’est pas celle du nombre d’habitants, mais bien celle du modèle.
À Limite, nous pensons que la solution ne se trouve pas dans les chambres à coucher, mais dans les salles de conférences des entreprises, et principalement les grosses.
Vous avez sorti plus de quinze numéros en quatre ans. Avez-vous connu des évolutions ?
Notre credo n’a pas changé : nous sommes en faveur de la décroissance et de la justice sociale.
Nous sommes touchés que de plus en plus de chrétiens, derrière le pape François, s’engagent pour une écologie intégrale. Nous voyons aussi d’un bon œil la mobilisation impressionnante de la jeunesse sur ces questions. Avec tous les volontaires, nous menons la bataille pour un autre monde dont on reste persuadé qu’il est possible.
Sur les évolutions propres à chaque aventure, il y a sans doute eu des changements non perceptibles, des impensés qui apparaissent, des réflexes qui se figent. En quelques mots, oui, nous avons probablement modifié notre façon de faire. Peut-être sommes-nous, aujourd’hui plus qu’hier, encore plus convaincus que nos piliers « décroissance et justice sociale » ne sont absolument pas négociables.
Mais est-ce nous qui changeons, ou la situation actuelle, totalement inédite, qui précipite ce changement ?
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