Les complexes du nom

Une intéressante coïncidence a voulu que deux films présentement à l’affiche abordent différemment, mais de manière complémentaire, ce que je pourrais appeler le complexe du nom. Derrière la moquerie d’une foi de surface et l’apologie d’un amour puéril, ces deux films dévoilent un enjeu profondément chrétien : l’acceptation ou le rejet de la filiation.

Le dernier film de la jeune Greta Gerwig, Lady Bird, est l’histoire classique d’une adolescente qui veut tuer sa mère. Christine (interprétée avec brio par Saoirse Ronan) traduit son complexe d’Œdipe par le refus de son nom (choisi par sa mère) et décide de se rebaptiser elle-même Lady Bird:«It’s given to me by me!» (Il est donné à moi par moi). La «demoiselle oiseau» se pense ainsi libre, rouge et ailée comme une femelle cardinale sans racines ni cordon ombilical. Une liberté adolescente qui cherche à quitter le nid qu’elle croit une cage.

Se baptiser soi-même

Christine est en conflit avec sa mère, car l’adolescence est le marasme de l’écœurement de soi. Le malaise de la puberté s’exprime par le rejet des causes de notre existence que l’on accuse de notre malheur. «J’aimerais mieux que tu n’existes pas, car sans toi je ne serais pas non plus… ou à tout le moins, je ne serais pas moi-même.»

Et voilà pourquoi Christine rejette son nom, et tant qu’à faire sa ville et sa religion, car accepter le nom que m’ont donné mes parents, c’est accepter ma généalogie. C’est accepter que mon identité soit en grande partie déterminée par des influences externes qui échappent à mon contrôle. C’est accepter un cadeau que je n’avais pas mis sur ma liste.

Au fond, son complexe du nom est une crise d’appendicite: le refus de se définir comme une partie et le prolongement d’un corps qui nous précède.

Se réconcilier avec son nom

Or, on ne devient adulte que le jour où l’on se réconcilie avec son nom… et par lui avec sa mère, son père, sa patrie, sa culture, sa foi et toutes ses racines.

Certes, se réconcilier avec son nom ne signifie pas accepter le mal comme bien et le faux comme vrai. Certains héritages sont des blessures, des hontes et des poids, mais ils demeurent les artisans de notre personnalité.

Néanmoins, se réconcilier avec son nom c’est tout de même accepter que notre identité soit en grande partie reçue. C’est accepter que je sois le résultat de ce mal, ce bien, ce vrai et ce faux qui me précèdent et m’entourent. En somme, se réconcilier avec son nom c’est accepter que l’on ne choisit pas qui l’on est, mais que l’on peut choisir de devenir qui l’on est : «to become the best version of yourself» (devenir la meilleure version de soi-même).

Bref, devenir adulte c’est cesser de se faire la guerre à soi-même.

Un self que l’adolescent voudrait créer ex nihilo pour être son propre Dieu, mais que l’adulte apprend à recevoir et découvrir comme un don de Dieu. «People go by the names their parents give them, but they don’t believe in God» (Les gens font avec le nom qu’ils reçoivent de leurs parents , mais ils ne croient pas en Dieu) affirme Christine, dans l’une des scènes finales du film, face à l’athéisme superficiel d’un collègue de classe. Accepter son nom et accepter Dieu c’est tout un, c’est au fond accepter notre filiation, notre patrimoine.

Bref, devenir adulte c’est cesser de se faire la guerre à soi-même. À la fin Christine acceptera-t-elle son nom et sa mère qui lui a donné? Son nom qui la marque comme fille de sa mère et fille de Dieu. Après tout Christine porte doublement le nom du Christ.

L’amour du même

D’autre part, Call me by your name (vf. Appelle-moi par ton nom) du réalisateur italien Luca Guadagnino, présente un autre passage à la vie adulte avec nettement moins de profondeur, mais avec une sensualité et un jeu d’acteur capable de nous illusionner. Séduction, tension et fornication ont séduit la critique et attireront certainement les gloires qu’attire immanquablement l’esprit du monde.

Or, le nom est la marque de notre unicité irréductible. Du coup, l’échanger c’est à la fois rejeter l’autre comme autre et soi comme soi.

Le jeune Élio a 17 ans et, pour chasser sa lassitude de soi, il se perd dans un amour immature avec Oliver, son ainé de dix ans. Ici, le complexe du nom est plus subtil et s’exprime par cette réplique qui donna justement son nom au film: Call me by your name and I’ll call you by mine (Appelle-moi par ton nom et je t’appellerai avec le mien). Derrière ce jeu amoureux d’échanges des noms se cache un désir d’assimiler ou de s’assimiler à l’autre. Or, le nom est la marque de notre unicité irréductible. Du coup, l’échanger c’est à la fois rejeter l’autre comme autre et soi comme soi.

Loin d’exprimer que tout amour s’enracine dans l’amour de soi, le film propose une apologie puissante, mais trompeuse d’un amour épidermique et stérile. Amour adolescent aux ailes de luciole qui brûlent aussi vite qu’elles s’envolent.

Il ne s’agit donc pas tant d’un film sur l’homosexualité, mais d’un film sur les premiers amours passionnels et fusionnels ou l’amour du même (homo) cache un ressentiment de soi. Ainsi le jeune Elio découvre l’amour dans son passage à la vie adulte, mais comme souvent le sont les amours adolescents, il s’égare dans la fusion au lieu de se trouver dans l’union.

Il est bien écrit dans la Genèse tous deux ne feront plus qu’une seule chair, mais jamais une seule personne. Après tout, Dieu lui-même conjugue la plus grande union d’amour dans une parfaite distinction des personnes. Ce même Dieu qui nous baptise dans son Nom.

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Call Me by Your Name (V.O.S.T.F.: Appelle-moi par ton nom). Drame sentimental de Luca Guadagnino. Avec Timothée Chalamet, Armie Hammer, Michael Stuhlbarg, Amira Casar. 2h10.

Lady Bird (V.O A.: Lady Bird) Comédie dramatique de Greta Gerwig. Avec Saoirse Ronan, Laurie Metcalf, Tracy Letts. 1h35.

Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.