Je suis récemment tombé sur le livre (ou plutôt le livre audio) The Holy Roman Empire, écrit par l’historien et homme d’État nord-irlandais James Bryce. L’auteur aborde un sujet qui nous semble étranger parce qu’il échappe souvent à la culture historique générale : la grande aventure du Saint-Empire romain germanique, principale puissance du Moyen Âge occidental.
Si l’histoire médiévale de la France ou de l’Angleterre, par exemple, est bien connue, plusieurs passent souvent à côté de cet empire de culture allemande qui, durant dix siècles, revendique avec l’appui de l’Église la succession de Constantin et de Théodose.
The Holy Roman Empire, publié pour la première fois en 1864 et plusieurs fois révisé par la suite, est l’un des livres de Bryce les plus connus. Dans un style qui trahit son époque, l’auteur se propose de faire une longue histoire du Saint-Empire. Il rapporte les hauts faits de Charlemagne, Otton Ier et Frédéric Barberousse avec une élégance et une finesse dans la description qui feraient la jalousie de bien des historiens de notre époque.
Mais qu’est donc cette curiosité historique que le Saint-Empire romain ? Voilà une question trompeuse par sa simplicité.
Naissance d’un empire
On peut dire globalement qu’à l’époque de ses contemporains, le Saint-Empire était conçu comme l’authentique héritier de l’ancien Empire romain. Ce dernier s’était effondré en Occident, mais avait pourtant survécu en Orient sous la forme de ce qu’on appellera plus tard l’Empire byzantin. Pour faire court, une conjuration mena, en 797, à la chute et l’aveuglement de l’empereur byzantin Constantin VI à la faveur d’Irène l’Athénienne, sa mère.
Les hommes du Moyen Âge concevaient la notion d’empire d’une manière bien différente que ceux d’aujourd’hui.
On profita de l’arrivée de cette femme (une première) sur le trône impérial pour constater, en Occident, la vacance de l’office impérial. Cette prise de conscience mena au couronnement d’un certain Charlemagne le 25 décembre de l’an 800 par le pape Léon III.
L’empire fondé par Charlemagne connaitra cependant un triste sort, divisé entre ses successeurs avant que le trône impérial ne devienne vacant à nouveau. C’est finalement Otton Ier qui le rétablit durablement en 962. En conséquence, les historiens ne sont pas tous d’accord sur la date de naissance de cet empire qui devait durer mille ans. Or, les hommes du Moyen Âge concevaient la notion d’empire d’une manière bien différente que ceux d’aujourd’hui.
Le pape face à l’empereur
Plutôt qu’un simple type de monarchie, l’empire était pour eux l’instance temporelle suprême, chargée de réunir sous son autorité les chrétiens du monde entier. Évidemment, cette idée ne s’est jamais pleinement concrétisée. Il y avait d’ailleurs encore, à Constantinople, des héritiers du pouvoir impérial romain dont la filiation était plus évidente, bien que contestée en Occident.
On pensait également qu’il était impossible qu’il y ait plus d’un empereur à la fois puisqu’il était vu comme une autorité temporelle symétrique à celle exercée par le pape dans les affaires spirituelles.
De façon intéressante, plusieurs des empereurs qui ont marqué l’histoire, comme Frédéric II Hohenstaufen, se sont en fait illustrés comme des contradicteurs de l’autorité pontificale. En un sens, le Moyen Âge, du point de vue de l’histoire politique, c’est avant tout une querelle d’autorité entre le pape et l’empereur.
Dans son ouvrage, Bryce ne mentionne d’ailleurs que très rapidement saint Henri II, seul empereur canonisé dans l’histoire, dont le règne a été justement marqué par d’excellentes relations avec l’Église. Henri II était d’ailleurs le beau-frère de saint Étienne, premier roi de Hongrie. Quelle famille !
Une conclusion mitigée
Il nous faudrait beaucoup de temps pour détailler les conclusions que tire l’auteur de l’histoire qu’il nous raconte. On peut dire cependant qu’elle se termine en 1806 avec la dissolution du Saint-Empire par son dernier chef, François II de Habsbourg, qui demeurera empereur d’Autriche alors que Napoléon se couronnait empereur à Paris.
D’ailleurs, à travers son livre, l’historien ne manque pas de formuler ses critiques à l’égard de la Maison de Habsbourg, qui dominera les derniers siècles de l’Empire, ainsi que de l’Église catholique et de son rôle durant le Moyen Âge occidental.
On voit très bien transparaitre une sympathie de l’auteur à l’égard des grandes puissances protestantes de son époque – Royaume-Uni, États-Unis et Empire allemand – qui teinte l’ouvrage dans son ensemble. Si l’on peut se désoler parfois de la lecture des évènements qui y est faite, il est en même temps rafraichissant de voir un historien s’engager dans le combat des idées sans s’enliser dans les notes de bas de page.