Photo: Alice Desplats

Féodale beauté, qu’as-tu à m’apprendre ?

Film à contre-courant, réalisé avec un petit budget et avec pour seuls interprètes six enfants, Les Filles au Moyen-Âge, du cinéaste Hubert Viel, raconte l’histoire de la condition féminine à l’ère médiévale. Halte aux idées reçues !

«Ère sombre», «âge des ténèbres», «temps obscurs», «grande noirceur», «monde de l’ignorance et de la barbarie», «âge dévot et naïf», «catacombes de l’humanité», les qualificatifs péjoratifs pleuvent dans la bouche de Monsieur-Madame-Tout-le-monde lorsqu’il s’agit de désigner le Moyen Âge.

On le voit d’ailleurs régulièrement dans les médias de masse et les réseaux sociaux, lorsque certains érudits autoproclamés et autres idéologues du progressisme s’adonnent à la critique de ceux qui ne pensent pas comme eux : inévitablement, et assez rapidement, ils accusent volontiers leurs adversaires d’être des réactionnaires, des extrémistes ou des rétrogrades prônant des valeurs «dignes du Moyen Âge».

On connaît la chanson. Et on pourrait répliquer que, précisément, les ténèbres de l’ignorance font dire à plusieurs une quantité impressionnante de choses inexactes sur plusieurs sujets, dont celui qui nous occupe ici, à savoir la plus longue période de l’histoire occidentale, période qui, rappelons-le, a duré 1000 ans…

Au cours d’une seule vie humaine, vous le savez, il s’en passe des choses ; alors, imaginez sur 10 siècles avec des millions d’êtres humains… Impossible que cela reste statique !

Les Filles au Moyen-Âge

C’est un peu le but que s’est donné Hubert Viel, cinéaste français, en réalisant son dernier film Les Filles au Moyen Âge : démonter tous les clichés véhiculés sur l’ère médiévale et particulièrement ceux qui s’acharnent à dire que les femmes étaient peu considérées.

Sur le mode du conte et du film à sketchs, avec six enfants acteurs (tous excellents), le réalisateur réussit son pari. L’action commence dans une banlieue bourgeoise (une «zone pavillonnaire» qu’ils disent nos cousins) de Normandie, où trois garçons jouent à un jeu vidéo médiéval dans lequel il est question de kidnapper la femme du paysan pour la prendre en otage et demander une rançon au seigneur.

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Michael Lonsdale dans «Les filles au Moyen Âge» Photo: Alice Desplats

Arrivent alors dans la pièce les sœurs et amies des trois garçons leur demandant de laisser leur console pour aller jouer dehors. Les garçons refusent, trop pris par l’action. Quelques propos sexistes sont échangés. Les trois filles reviennent au salon, piteuses. Là se trouve le grand-père, vieux sage érudit (chaleureux et toujours convaincant Michael Lonsdale), qui se met à leur raconter la vraie histoire des filles au Moyen Âge : on fait donc un voyage dans le temps en images noir et blanc de plusieurs siècles en arrière.

L’apport du christianisme 

Basé sur les recherches de la célèbre médiéviste Régine Pernoud, le film met notamment de l’avant l’apport considérable du christianisme dans l’évolution du traitement réservé aux femmes. C’est ainsi qu’on retrouve le personnage de Cyrille d’Alexandrie qui, en recoupant des textes théologiques, s’aperçoit de la place fondamentale qu’occupe la Vierge Marie au sein de la Révélation divine.

Cette découverte, qui n’allait pas de soi pour un chrétien du 4e siècle, met en évidence que, si  Marie est la mère de Dieu, donc qu’elle participe pleinement au mystère de l’Incarnation, tous les hommes doivent observer un infini respect, voire une obéissance envers les femmes. Forts de cette trouvaille,

Photo: Alice Desplats
Photo: Alice Desplats

Cyrille et Nikolos, son hôte, avouent avoir «complètement déconné» et, du coup, la servante, qui jusque-là était maltraitée, devient la muse louée et bénie. Cocasse et délicieux !

De même, les fiancés chrétiens ne sont plus obligés de demander le consentement à leurs parents pour pouvoir se marier (on se demande d’ailleurs pourquoi cela a perduré jusqu’au 20e siècle!). Le mariage doit reposer sur l’amour – car Dieu est Amour – et librement consenti autant que longuement discerné – car Dieu nous laisse notre liberté.

Le cinéaste, en montrant les sentiments amoureux qui existent entre la très chrétienne Clothilde et Clovis, roi des Francs, ainsi que la conversion de ce dernier, son baptême et leur mariage, laisse entendre que c’est cette liberté nouvelle qu’apporte le Christ.

Des femmes heureuses

De saynète en saynète, on rencontre également Hildegarde de Bingen (1) qui, cinq siècles avant Newton, découvre la loi de la gravité ; on voit aussi, bien sûr, Jeanne D’Arc, incontournable icône médiévale,

Photo: Alice Desplats
Photo: Alice Desplats

figure d’héroïsme et surtout de sainteté. Mais, il y a aussi toutes ces autres femmes anonymes du Moyen Âge qui furent enseignantes, infirmières, médecins, poètes, philosophes, théologiennes, seigneurs (oui, oui, celle qui possède une Seigneurie!).

Tout ça supporté par un jeu d’acteur naturel et d’une grande fraîcheur. Les petits comédiens (3 filles, 3 garçons d’environ 10-11ans) sont parfaitement à l’aise devant la caméra, endossant leurs différents rôles avec joie et aplomb. Bref, on est charmé. Ce film, qui aurait pu facilement tomber dans l’amateurisme à cause du petit budget imparti, est finalement une réussite.

Et maintenant ?

À la fin du récit, les images sont à nouveau en couleurs; on est catapulté en pleine postmodernité, dans un stationnement de magasins grandes surfaces anonymes, où tous les Trucs Dépôt de ce monde n’ont de cesse de nous rappeler la déshumanisation en cours et la vacuité spirituelle qui l’accompagne. Le choc des époques est brutal. Le cinéaste y va d’un commentaire teinté de mélancolie :

«Le capitalisme est machiste par essence. Son essor à la fin du Moyen Âge correspond parfaitement au déclin des droits des femmes qui redeviendront soumises à la soi-disant « Renaissance » et à la fascination pour ce bon vieil Empire romain où la femme n’est qu’un objet (2).»

Lorsque j’étais moi-même enfant, un vieil ami de la famille, qui était historien vulgarisateur, m’avait aussi appris que les femmes au Moyen Âge avaient effectivement des droits qu’elles se verront complètement retirer à la Renaissance…

Alors, qui a dit que la sacro-sainte modernité était synonyme absolu d’émancipation ?

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Pour demander à visionner le film et pour lire un entretien avec le réalisateur dans le dossier de presse : http://www.potemkine.fr/Potemkine-film/Les-filles-au-moyen-age/pa61m4f261.html

Notes:

(1) Après Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux, quatrième femme à être déclarée  docteure de l’Église en 2012.

(2) Tiré du dossier de presse du film.

Stéphanie Chalut

Stéphanie Chalut détient une maitrise en arts visuels de l'Université Laval (2012), ainsi qu'un baccalauréat à l'UQAM (1999) dans le même domaine. S'intéressant à l'image et au récit, sa pratique d’artiste depuis englobe surtout le dessin, mais depuis 2015, l'artiste a fait un retour au 7e art. Son court-métrage (2020) a été présenté en au Cinema on The Bayou Film Festival et au Winnipeg Real to Reel Film Festival​. Ses préoccupations tournent de plus en plus sur les questions spirituelles. Elle poursuit son travail tout en prêtant ses services en tant que coordonnatrice artistique et culturelle dans la fonction publique. www.stephaniechalut.com