On apprenait en septembre dernier que Jeanne Mance, cofondatrice de Montréal, était en route pour la béatification, et ce «juste à temps» pour les fêtes du 375e de la fondation de la métropole. Si, du côté catholique, on se réjouit d’une telle nouvelle, la Ville de Montréal, elle, ne semble ni préoccupée par l’histoire de sa fondation, ni par le caractère français qui est censé être le sien. Montréal, deuxième plus grande ville française au monde après Paris ? Depuis plusieurs années, ce n’est plus le cas!
On voit venir les gestionnaires et autres agents de programmes festifs de la Ville qui en profiteront certainement pour surfer sur la «vague Jeanne Mance» afin de promouvoir le 375e. On organisera de chics «5 à 7» avec tapis rouge, on y entendra probablement les discours officiels des élus sur la «fierté des origines» tout en levant nos verres à la mémoire de nos fondateurs.
En soi, tout cela n’est pas mauvais, mais dans le contexte actuel où l’histoire du Québec (incluant sa religion et sa langue) n’est plus valorisée (1), comment ne pas pressentir ici une récupération politique ?
La stratégie de refonte complète de l’histoire de Montréal et du Québec qui consiste à prôner l’idéologie multiculturelle, est de plus en plus forte dans l’administration municipale et supplante malheureusement le respect que l’on doit à nos racines et la fierté de notre identité.
Devant ce dogme politique de bon ton, Jeanne Mance et Paul Chomedey de Maisonneuve – ainsi que tous nos fondateurs/trices – doivent certainement pleurer du haut du Ciel…
L’histoire en danger au 375e de Montréal
Dans un excellent texte d’opinion écrit par un professeur de lettres et publié par le Devoir en juin dernier, on pouvait lire qu’une « visite approfondie du site de la Société du 375e donne envie de sonner l’alarme […] Déjà, la phrase d’accueil fait croire à une mise au rancart de l’histoire:
« Plus qu’une fête. C’est le moment où le futur de Montréal commence. » Le futur ? Seulement ? Et le passé ? Aucune mention. Étrange… […] On cherche aussi en vain des portraits marquants du passé de cette ville; comme celui de Maisonneuve ou de Jeanne Mance, qui n’ont fait que… la fonder ! »
Exit la Nouvelle-France ! Remarquez, ce n’est pas surprenant quand, à la lecture du texte, on voit qui siège au Conseil d’administration de la Société du 375e.…
Si Jeanne Mance est béatifiée d’ici 2017, on se doute bien que nos compatriotes déchristianisés vont davantage évoquer son engagement social – par ailleurs indéniable – que l’importance spirituelle fondamentale qu’a représentée l’aventure de la Nouvelle-France, et en particulier à Montréal…
On entendra les habituelles analyses anachroniques qui prétendent que Jeanne Mance, à l’instar de Marie de l’Incarnation, était à contrecourant de son époque parce qu’elle avait un tempérament et qu’elle est restée célibataire… (2)
Certes, c’était une femme de détermination et d’initiatives, mais rappelons qu’il n’y rien de rebelle là-dedans : des femmes de caractère, ça a toujours existé et le célibat des laïques dans la chasteté est un état de vie présent dans l’Église depuis ses tout débuts. Jeanne Mance a fait ses vœux à cet effet dès son enfance.
Cette vision faussée de l’histoire qui s’appuie sur l’idéologie révolutionnaire et le paradigme de la rupture est extrêmement agaçante. Quelle est cette très mauvaise habitude de plaquer des catégories idéologiques modernes sur les époques anciennes ? Ce n’est pas ça, faire de l’histoire !
Les racines mystiques de Montréal
Jeanne Mance n’était ni rebelle, ni féministe. Elle était de son temps, de son époque. Une époque où l’on comprenait et saisissait l’urgence du message que le Christ en personne a laissé : «Allez de par les nations annoncer la Bonne Nouvelle de ma Résurrection à toute la création ! (Mc 16) » Ce message est intemporel; il est toujours d’actualité.
Jeanne Mance, comme plusieurs autres bâtisseurs de la Nouvelle-France, est tout simplement une héroïne de l’évangile !
Toutes ses réalisations, et particulièrement la fondation de l’Hôtel-Dieu, sont enracinées dans une foi profonde en Jésus-Christ à travers son Église, dans ce désir de le suivre comme les apôtres de la première heure l’ont fait. C’est pour cela qu’elle s’apprête à rejoindre la longue liste des bienheureux et saints de tous les temps.
Voilà sa vraie histoire et la nôtre.
Jusqu’à quand, dans ce Québec contemporain déraciné et détaché de la France, allons-nous nier les fondements de notre identité ? Une identité typiquement d’Amérique certes, mais résolument d’origine française ET catholique. Quand allons-nous stopper cette amnésie collective et réellement honorer notre devise «Je me souviens» ?
Je termine en citant ce reportage, dans l’espoir qu’il puisse provoquer une prise de conscience salutaire chez les élus, les gestionnaires de la Ville de Montréal et ceux de la Société du 375e:
« Après presque 375 ans, il est toujours possible de voir les traces architecturales et toponymiques de la venue de la vénérable Jeanne Mance en Nouvelle-France, mais comment peut-elle toujours inspirer notre vie intérieure et redevenir le modèle qu’elle fut pour des dizaines de générations qui nous ont précédés? »
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Notes :
(1) Les exemples pleuvent ! Par exemple, la réforme du cours d’histoire du Québec au primaire et secondaire, rebaptisé «Éducation à la citoyenneté», ainsi que «Éthique et culture religieuse» et dont les contenus sont dorénavant axés sur l’idéologie multiculturelle au détriment de l’apprentissage d’une identité commune forte. On n’a aussi qu’à se souvenir de la triste programmation du 400e anniversaire de Québec que l’on aurait pu intituler ironiquement « Où est Champlain?». Pour ce qui est de la langue française au Québec, les multiples amendements à la Loi 101 sont des preuves de l’affaiblissement du caractère français de notre état. Sinon, dans le quotidien, voyez cet article représentatif de ce que j’ai moi-même vécu à plusieurs reprises.
(2) Lire aussi à ce sujet l’excellent texte de Christian Rioux du Devoir, 8 juin 2012: http://vigile.net/L-histoire-detournee