La Rochefoucauld disait que « ni le soleil, ni la mort ne se peuvent regarder fixement ». Pourtant, alors que le mois des morts vient de se terminer, dans les médias on parle abondamment de la mort ces dernières années.
On n’a qu’à penser à la « Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité », ou encore au récent jugement de la Cour suprême du Canada demandant l’accès à l’euthanasie. Malgré les apparences, je crois que La Rochefoucauld a raison.
Aujourd’hui, dans nos sociétés modernes et sécularisées suivant les nouveaux dogmes laïques, la mort ne représente plus rien : que la fin, que la lumière qui s’éteint et puis c’est tout. En rejetant l’espérance chrétienne qu’il y a quelque chose après la mort, qu’au fond la mort n’est qu’une étape, qu’un passage, aujourd’hui, la mort fait peur et ne fait plus partie de la vie. On préfère l’ignorer, en espérant qu’elle disparaisse, qu’elle passe et nous oublie.
En ce sens, la mal nommée « Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité » est symptomatique du changement dans notre rapport collectif à la mort. Et ici je ne veux pas parler des implications morales de cette Commission – même si elles sont nombreuses et qu’il y aurait beaucoup à dire – mais plutôt de l’esprit dans lequel elle s’est déroulée.
Cachez cette mort que je ne saurais voir!
Au fond, le but de cette Commission, au-delà de cette mascarade de discussions soi-disant consensuelles, était de légiférer sur la mort. Je le redis, juste pour qu’on saisisse la grossièreté de la chose : légiférer sur la mort. Légiférer, c’est-à-dire encadrer, règlementer, délimiter, contrôler la mort. Une étape de plus dans le projet moderne du contrôle de la nature par la technique, pour s’en rendre « maitres et possesseurs », comme disait Descartes.
En attendant, vous pourrez continuer à vous occuper des vraies affaires, comme le prochain match du Canadien ou le prix des pneus d’hiver au Costco.
Mais pourquoi légiférer sur la mort? Pourquoi permettre le choix individuel de l’euthanasie? Parce qu’il y a quelque chose de rassurant à se faire croire que l’individu peut décider de tout, qu’en l’occurrence vous pourrez décider de l’heure, du lieu et de la manière dont vous mourrez dans la « dignité ».
En attendant d’être obligé de faire ce choix, vous pourrez continuer à vous occuper des vraies affaires, comme le prochain match du Canadien ou le prix des pneus d’hiver au Costco.
Et la mort, et toutes les questions qui l’accompagnent, celles du sens de la vie, du but de notre existence, de Dieu? Bof, on s’en fout, on verra rendu là, ça sert à rien d’y penser maintenant.
Notre société est donc bel et bien dans la modernité, en incarnant plus que jamais la maxime de La Rochefoucauld.
Cette mort, devenue absurde dans le monde sécularisé parce que ne signifiant plus rien que la fin, il vaut mieux la nier, la cacher, la repousser le plus loin possible de la vue. Et se faire croire naïvement qu’une fois rendu là on pourra procéder comme bon nous semble, sans douleur ni souffrance, hop une petite pilule et puis bonsoir la visite.
Dans cette rassurante certitude du contrôle absolu, on peut vivre paisiblement en oubliant jusqu’à le nier ce destin qui pourtant nous attend tous. Les yeux bien fermés, installé confortablement, l’homme moderne peut se laisser aller à jouir de l’existence sans trop se poser de question sur l’éternité.
Nul ne peut y échapper
Le problème dans cette logique, c’est qu’on ne peut pourra jamais entièrement légiférer sur la mort. Elle demeurera toujours cette inconnue, qui rôde et qui peut vous surprendre n’importe quand… D’où l’importance de veiller, car on ne sait ni le jour ni l’heure.
Nous sommes aujourd’hui bien loin, de plus en plus loin, du modèle chrétien et de son espérance au-delà de la mort, espérance qui a pu pousser François d’Assise à écrire dans son Cantique des créatures :
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la Mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper.
Désormais, plus que jamais, dans un monde où l’accès à l’euthanasie semble devenir la norme, l’homme moderne ne peut comprendre cette confiance joyeuse du chrétien face à la mort, car il ne peut comprendre la suite de la strophe franciscaine : « heureux ceux qu’elle surprendra faisant ta volonté, car la seconde mort ne pourra leur nuire ».