Sacristain

L’improbable sacristain de l’Oratoire

Un texte de André LaRose

Léon D’Anjou nous a quittés le 20 février 2020. Sacristain à l’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal, fervent priant et pasteur d’âmes œuvrant dans les lieux délaissés de la cité, il laisse dans son sillage la marque de l’incommensurable bonté de Dieu. Elle était cachée en cet infatigable travailleur, un peu comme chez le saint frère André. Sa candeur, sa chaleur humaine, sa joie communicative et sa connaissance intime de la vie intérieure lui ont fait côtoyer la jeunesse en quête d’un sens et d’un port d’attache. Voici l’histoire de ma rencontre avec lui.

Il y a bien des années, je l’aperçois une première fois à l’église Notre-Dame-des-Sept-Douleurs à Verdun lors d’une retraite populaire. Arrivé en retard, je trouve place dans un banc à arrière de l’église… à ses côtés. 

Je ne vois chez lui qu’un homme chauve, le dos courbé, vêtu simplement d’un habit bleu marin, une imposante médaille miraculeuse de la Vierge au cou, profondément recueilli dans un colloque intime avec son Seigneur. On ne se parle pas. Il reconnait toutefois le cœur de son voisin assis là à quelques pas, mais discrétion oblige, il se tait.

Il reconnait le cœur de son voisin assis là à quelques pas.

Un mois plus tard, je me rends au magasin de l’Oratoire dans l’espoir de dénicher un bouquin introuvable en librairie. Nous nous croisons à l’entrée. Étonnement chez l’un et l’autre.

Il me sourit : « Bonjour, te voilà ! Que viens-tu faire à l’Oratoire ? »

Sans hésiter, je lui réponds : « Je cherche le Credo de Paul VI. »

Il esquisse un large sourire et me dit sur le ton d’une confidence : « Tu sais, le Credo que tu cherches, eh bien, j’en ai un chez nous. »

Une rencontre inoubliable

Alors, dans un geste que je n’oublierais pas, il se penche vers moi, comme un grand frère ferait à l’égard de son cadet, et me dit tout simplement : « Ah, cher ami, comme le Bon Dieu est bon ! »

Comme bien des jeunes mus par une soif d’absolu, je me laisse apprivoiser à son contact. Sa simplicité et sa franchise font vite tomber les masques. Il nous introduit à pas feutrés, au fur et à mesure de nos interrogations, à une vie donnée, nous laissant entrevoir les prémices de la sainteté. Rien de moins.  

Je passe le jour même chez lui rue Berri au sud du boulevard Saint‑Joseph et découvre un appartement modeste garni d’une collection invraisemblable de livres et de VHS catholiques. C’est sans compter les statues et les figurines de saints de taille diverse qui ornent son humble demeure. On se croit à l’intérieur d’une chapelle.

Léon n’a pas de formation proprement dite en théologie. Les lettres rédigées de sa main témoignent de sa difficulté à s’exprimer par écrit. N’empêche. À son contact, on découvre un homme habité par une présence et qui désire avant tout que ses protégés découvrent cet amour qui se penche sur nos suffisances, sur nos fragilités, sur nos erreurs de parcours.  

Son moyen de prédilection : se préparer à une confession générale. Ce que me propose Léon, c’est de passer en revue ma vie à la lumière du Christ. Je suis entré chez lui à 15 h pour ne sortir qu’à 2 h le lendemain matin. Ouf ! Déjà, après quelques heures chez ce sacristain plutôt hors-norme, je respire à grands traits une liberté et une joie que j’ai peine à contenir.  

J’ai hâte — imaginez-vous ! – de me confier à un prêtre pour recevoir cette plénitude de grâces conférée par le sacrement du pardon.

Un homme modeste et digne d’admiration

Son zèle lui attire l’incompréhension de la part de certains clercs. Ses manières incongrues dérangent. Son ardeur de vivre sa foi devenue contagieuse, sa fréquentation assidue des messes en semaine, sa façon de « cueillir » des jeunes de toute condition sociale et de les initier à une vie de foi cohérente parviennent aux oreilles de l’archevêque de Montréal.

Léon m’offre ce conseil, qui résonne encore aujourd’hui : « Tu sais, il ne faut pas juger ; prions pour les prêtres, pour les évêques. On ne voudrait pas être à leur place, on ne connait pas toutes leurs responsabilités. »

Et puis, les yeux baissés, il se confie : « Prie pour moi pour que je ne défaille pas ; tu sais, je ne suis qu’un pauvre pécheur ».

Le cardinal Jean-Claude Turcotte lui adresse bien des années plus tard une lettre en guise de reconnaissance pour son œuvre auprès de la jeunesse de la métropole.

Léon D’Anjou, fondateur de Rencontre Jeunesse Montréal, a aidé bon nombre de jeunes.

Il nous laisse comme image un homme épris de Dieu, un petit brin taquin, ainsi qu’un fin connaisseur des tribulations de l’âme. Il savait dépister les « difficultés spirituelles » et désirait simplement aider à ce que nous soyons conduits, pas à pas, à bon port.

Je l’entends encore nous souffler, comme pour nous encourager : « Ah, cher ami, comme le Bon Dieu est bon ! »


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