Vous avez vu ce titre de rubrique ? « Femme libérée ». Libérée de quoi ? Délivrée de qui ?
Je le dis : je viens de franchir le demi-siècle. La maternité a calmé ma libido. Les hormones de préménopause achèvent inéluctablement le travail. Et comme la Reine des Neiges, je peux chanter : « Libéréééée ! Délivrééééée!… du sexe compulsif, pulsionnel, ou si vous préférez performatif ! » Voilà. C’est dit.
L’envie est partie. C’est tout. Les bouffées de chaleur sont maitres, et invariablement suivies de frissons qui me glacent tout entière. Je suis en lockout d’estrogènes.
J’ai alors la tentation d’imiter la Reine des Neiges et de m’enfermer dans mon beau château de glace.
Cela dit, si moi, je suis libérée et délivrée du sexe, mon mari, lui, ne l’est pas. C’est bien connu ; les hommes ne sont libérés de rien. Ils ont beau se marier, avoir des enfants, grisonner ou bedonner, ça ne change rien. La libido est au top. Testostérone, here I come!
Cet article a été publié dans le magazine Le Verbe, mars 2020. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.
La nuit tombée, alors que les petits sont couchés et que les grands gament sur leur PS4, l’homme non libéré et la femme libérée que nous sommes se dirigent vers le lit conjugal avec deux petits dieux ennemis : Éros pour lui et Hypnos pour elle.
Quand je me laisse séduire par Hypnos… Éros peut bien aller se faire cuire un œuf.
Si je l’écoutais tous les soirs, ce petit dieu, je vous le dis, mon mariage serait mort – Ici git gelée BB, et son époux HP totalement consumé.
Conjuguer Éros
Quand je dis oui à Hypnos, ce qu’il me donne en retour, c’est le repli et la rêverie, jusque dans la parfaite suffisance : cette idée que je n’ai plus besoin de ça, moi, le sexe, pour garder mon mariage en vie.
Quatorze ans de mariage et six enfants plus tard, j’apprends que la sexualité conjugale — le mot le dit —, ça se conjugue ; ça se vit, ça se transforme, ça se déploie à deux (et pas chacun dans son château de glace, ou de feu), tranquillement, et avec le temps. Disons que c’était pas l’idée que je me faisais du sexe.
Je dis ça pour les liens du mariage. Je pourrais le dire aussi pour tous les liens signifiants de ma vie : famille, amis, boulot, Très-Haut. Accueillir, recevoir, et aussi donner et partager, comme des cadeaux précieux, ces moments uniques de qualité où la relation s’approfondit et se fortifie, c’est rien de moins qu’apprendre à vivre en femme libre. C’était pas l’idée que je me faisais de la liberté non plus !
Je suis là avec ma fatigue, mes soucis, mes idées en bataille, mes rêves de bonheur, et je peux, en toute liberté, me laisser entrainer dans cet instant unique, jamais pareil, qui renouvèle chaque fois ce qu’il y a de vrai : l’amour. La liberté, finalement, c’est comme la sexualité : ça s’apprend.
La liberté, finalement, c’est comme la sexualité : ça s’apprend.
Je suis libérée et délivrée de ma libido ? La belle affaire ! L’amour est là, de plus en plus présent, de plus en plus vrai, de plus en plus « pour toujours » ; « libéré et délivré » lui aussi de toutes les idées fausses que je me faisais sur lui.