Il faut se réjouir de voir les médias, et maintenant certains politiciens, prendre position en faveur de la liberté d’expression. En annulant le rallye de Harvest Ministries International au Centre des congrès, sous prétexte d’une affiliation entre cette église protestante et le mouvement pro-vie, le gouvernement Legault a certainement outrepassé les limites de son pouvoir.
Je me désole cependant de noter dans l’espace public une autre forme de censure, plus insidieuse, parce qu’implicite. Partout, on dépeint les partisans pro-vie comme des « extrémistes de droite » ou des « ultrareligieux », de manière à discréditer d’avance leurs arguments.
La société québécoise nourrit volontairement une image caricaturale du mouvement pro-vie. Tantôt elle le ridiculise, en le comparant par exemple au créationnisme, tantôt elle le démonise, y voyant une oppression similaire au nazisme (ironie, s’il en est une). Les Québécois justifient leur répulsion intense devant tout débat sur l’avortement en évoquant le renversement de Roe v. Wade aux États-Unis, signe que ce « droit » se perdrait facilement.
En réalité, à force de fuir tout débat, les pro-choix fortifient, à leurs dépens, le mouvement pro-vie et risquent l’avènement même de ce qu’ils redoutent.
Des bénéfices de l’opinion contraire
Dans son essai De la Liberté, John Stuart Mill le conclut sans équivoque : empêcher l’expression de l’opinion contraire à celle de la majorité ne conduit à rien de bon.
Il y a deux possibilités : l’opinion dominante est ou bien fausse ou bien vraie. Si elle est fausse, alors ignorer les arguments contraires constitue un mal évident, puisqu’il devient pratiquement impossible de se corriger. Dans le cas particulier de l’avortement, s’ajoutent à l’erreur de graves conséquences, comme ce sont environ 100 000 bébés par année, au Canada seulement, qui en paient les frais.
Les pro-choix se scandaliseront sans doute à la seule idée qu’ils puissent se tromper. C’est le paradoxe de notre société : un scepticisme radical sur plusieurs sujets pourtant évidents, par exemple, la binarité sexuelle, et un dogmatisme tranchant sur des questions plus que douteuses.
À des fins d’hypothèse, considérons cependant comme vraie la position pro-choix. Même dans un tel cas de figure, la société québécoise se tire dans le pied en refusant tout débat, car c’est se condamner à l’ignorance. Comme le remarque Mill, c’est s’empêcher de connaitre réellement la vérité que l’on professe. Car on ne saisit alors ni les fondements de cette opinion, ni les distinctions que les contrarguments obligent à tracer.
C’est le paradoxe de notre société : un scepticisme radical sur plusieurs sujets pourtant évidents, par exemple, la binarité sexuelle, et un dogmatisme tranchant sur des questions plus que douteuses.
Tout amoureux sincère de la vérité le reconnait : la pensée se nourrit de l’argumentaire pour et contre. Socrate, père de la philosophie, confrontait sans relâche ses idées à celles d’autrui. Les théologiens du Moyen-Âge connaissaient aussi l’importance d’une telle démarche, eux qui étaient friands de disputatio. John Stuart Mill s’inscrit également dans cette longue tradition dialectique.
Beaucoup se vantent aujourd’hui de « savoir » que l’avortement constitue un droit primordial pour toute femme. Mill accuserait la plupart d’entre eux de penser ainsi, simplement du fait de baigner dans une société foncièrement pro-choix. Prenez une personne au hasard et faites-la naitre au siècle dernier, elle sera aussi farouchement pro-vie qu’elle est aujourd’hui pro-choix.
Les prochaines générations changeront d’avis
Par leur refus d’argumenter, les pro-choix s’enlisent dans la paresse et l’ignorance. Ils ne justifient plus leur position que par des émotions. Les générations futures prendront conscience de cette faiblesse argumentative.
J’en suis la preuve. Adolescente, j’étais résolument pro-choix, à cause de mes parents et du discours ambiant. Je ne supportais aucune remise en question, au point d’avoir déjà frappé l’un de mes amis pour avoir osé exprimer son malaise au sujet de l’avortement durant un débat en classe.
Plus tard, j’ai découvert la philosophie et appris à dialoguer plutôt qu’à insulter. En reprenant le débat sur l’avortement, dans un but sincère d’apprendre, je me suis surprise à changer d’avis. En repassant les arguments communs sur l’avortement, je n’en ai retenu aucun comme concluant.
« C’est mon corps, mon choix. »
Pourtant, aucune femme enceinte ne possède deux cœurs, quatre mains ou quatre jambes. Elle n’accouche pas non plus de son propre corps.
« C’est un amas de cellules. »
Vous et moi aussi, tout comme le fœtus. Mais pas seulement, sinon comment expliquer son unité ainsi que son développement?
« Il n’est pas vivant. »
Mais s’il ne vit pas, comment peut-il se nourrir et croitre, opérations pourtant propres au vivant?
« Il n’est pas viable hors du sein de sa mère avant 23 semaines. »
Au moins, cet argument concède la malice des avortements tardifs. Mais un doute demeure : en quoi la non-autonomie du fœtus légitimerait-elle sa condamnation? Mon fils de deux ans aussi n’est pas viable sans moi. Et pourtant, on m’accuserait de négligence criminelle si je l’abandonnais à son sort.
« Il ne s’agit pas d’un être humain. »
Mais à quelle espèce appartient alors ce fœtus? C’est pourtant un ADN humain qu’on trouve en lui, pas autre chose.
Vous ne voulez pas voir le droit sur l’avortement tomber dans les années futures? Alors, il ne vous reste qu’une option : débattez.
« Il ne s’agit pas d’un individu, mais d’un être humain en général. »
Mais dès la fécondation, on trouve un ADN particulier, déterminant les caractéristiques futures que possèdera cet être : sexe, taille, couleur de peau, forme des yeux, etc. J’ai lu un jour la lettre d’une femme qui, après avoir avorté, prétendait qu’elle reverrait cet enfant plus tard, quand le timing conviendrait davantage. C’est une illusion. Si elle retombe enceinte un jour, ce sera d’un autre enfant complètement, jamais de celui avorté. Chaque fécondation crée un individu distinct.
« Le fœtus provient d’un viol et on ne peut obliger une mère à le garder. »
Bien sûr, il faut condamner sans réserve le viol et punir sévèrement ceux qui le commettent. Mais pourquoi punir également le bébé qui en résulte? Si une femme garde l’enfant, mais le regrette plus tard, est-elle légitimée de mettre fin à sa vie?
« Il vaut mieux avorter que donner à cet enfant une vie misérable. »
En quoi ne pas exister du tout serait-il préférable à une existence comportant d’éventuelles difficultés et des souffrances? La vie n’est-elle pas bonne? Et de toute manière, que sait-on vraiment de la vie future de cet enfant?
Les pro-choix ont-ils peur de débattre?
J’insiste : mon passage de pro-choix à pro-vie ne dépend aucunement de ma foi. J’ai changé ma position sur l’avortement avant même de me convertir au catholicisme. Ce sont des arguments rationnels et naturels qui m’ont convaincue.
Et si les pro-choix au Québec continuent de fuir comme ils le font devant tout débat, alors d’autres jeunes comme moi changeront d’opinion. Car ils se rendront bientôt compte de la faiblesse des arguments pro-choix et rencontreront des militants pro-vie capables, au contraire, de présenter avec intelligence, clarté et bienveillance la vérité qu’ils possèdent.
Vous ne voulez pas voir le droit sur l’avortement tomber dans les années futures? Alors, il ne vous reste qu’une option : débattez.
À moins, bien sûr, que vous ayez peur de changer d’idée?