«tout inclus»

La face cachée des «tout inclus»

Je n’aime pas l’hiver. J’ai tout essayé pour m’y faire: choisir des vêtements chauds, apprivoiser le ski de fond, m’astreindre à des marches en nature. Je finis toujours par aller dehors par devoir plus que par plaisir.

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Dès janvier, je fantasme sur l’été à venir. Quand mars arrive, je n’en peux plus. Je planifie un voyage dans le Sud, dans un «tout inclus», en me faisant croire que je vais y aller. J’ai cédé deux fois, en 2012 et en 2018, et me suis envolée pour La Havane.

Écueils des voyages à rabais

Si nous sommes si nombreux à visiter les hauts lieux du tourisme de masse, c’est parce qu’on nous y promet un séjour sans soucis.

Comme le soulignait un sondage mené récemment par la revue Protégez-vous, ce que les touristes recherchent, c’est d’abord la sécurité et le soleil. À Cuba, en République dominicaine ou en Jamaïque, qu’importe! Or, l’expérience du «tout inclus» serait inaccessible au commun des mortels sans l’exploitation d’une main-d’œuvre à bon marché.

Selon le Diario de Cuba, les chaines hôtelières de l’ile sont contrôlées par le GAESA, un conglomérat d’entreprises militaires qui fait dans le blanchiment d’argent. Alors que le pays vit une des plus importantes pénuries de nourriture, on se déculpabilise en laissant aux femmes de chambre des bas de nylon, des rouges à lèvres et des fonds de pots de beurre d’arachides. On félicite le personnel d’être aux petits soins, en faisant comme si ces employés ne dépendaient pas de nos dons pour survivre.

Embrasser sa nordicité

Je n’aime pas l’hiver, au point d’avoir contemplé l’idée d’émigrer avec mon mari. C’est la présence de nos proches qui nous a retenus au Québec. On dira, avec raison, que je me lamente le ventre plein. Il n’empêche qu’il est démontré que le climat peut avoir des effets délétères sur la santé mentale des populations.

«tout inclus»

Dans son essai Abolissons l’hiver! publié au tournant des années 2000, Bernard Arcand recommande d’adapter notre mode de vie à notre environnement. Le défunt anthropologue voyait dans notre acharnement à la performance en toute saison un véritable déni du réel: «L’hiver est dur, cruel, méchant, cher et menaçant parce que nous faisons semblant qu’il n’existe plus.» Sa proposition: travailler l’été et consacrer l’hiver au repos, à la manière des agriculteurs. Renverser le calendrier impliquerait de prendre nos distances vis-à-vis de l’économie mondiale, qui elle ne prend pas de vacances.

Dans un autre sondage, mené avant la pandémie par un diffuseur national, un Québécois sur quatre avait indiqué prévoir aller dans le Sud une fois l’hiver installé. Au risque de me faire lancer quelques noix de coco, je vois d’un bon œil le fait que la hausse du cout de la vie rende les escapades au soleil moins accessibles. J’aimerais ne plus être tentée, chaque hiver, de m’envoler pour un «tout inclus». Être assez bien chez moi pour ne pas avoir envie d’aller voir ailleurs. En n’acceptant pas les conditions de notre vie, nous nous rendons complices des violences perpétrées sur autrui.

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.