Le premier ministre Justin Trudeau, en compagnie de son homologue Barack Obama, lors du Sommet de l'APEC (no.v 2015) - Photo: Wikimédia - CC.
Le premier ministre Justin Trudeau, en compagnie de son homologue, le président Barack Obama, lors du Sommet de l'APEC (no.v 2015) - Photo: Wikimédia - CC.

Les belles personnes

La semaine dernière, le premier ministre canadien Justin Trudeau allait en famille visiter le chef d’État américain sortant, Barack Obama. Beaucoup d’encre a coulé au sujet de l’atmosphère décontractée qui les accompagnait.

De quoi ont-ils parlé? D’environnement et de changements climatiques, entre autres choses. Des petits clins d’œil nous restent. La vidéo presque virale de Barack Obama qui trébuche sur le mot « Mississauga » ne manque pas de nous faire sourire.

La bromance (1) de Justin et Barack fait compétition à la complicité presque instantanée entre leurs femmes respectives. Michelle Obama a trouvé en Sophie Grégoire, dit-elle, une « âme sœur ».

Les belles gens du politique

On a aussi beaucoup parlé de leur apparence : sont-ils beaux, les Trudeau!

Et sur des photos avec les Obama, ça fait-tu bien! Le souper d’État avait également son lot de beaux invités. On y trouvait des stars d’Hollywood, comme le couple d’acteurs Ryan Reynolds et Blake Lively, cette dernière étant clairement une icône de beauté actuelle.

Stéphane Laporte signait d’ailleurs dans La Presse un article enthousiaste face à la beauté physique de nos représentants politiques : « Ils ont tous de jolis traits. Barack, avec sa gueule du président le plus cool de l’histoire de l’Amérique. Justin, le mélange parfait de la beauté classique de son père et de la beauté flower power de sa mère. Michelle, la chevelure sexy et la silhouette athlétique. Sophie, mignonne avec son air d’enfant qui se demande : « Suis-je vraiment en train de vivre tout ça!? » ».

Le chroniqueur ne s’arrête pas à leur beauté physique, mais développe une analyse de l’attirance de la beauté quand elle est tournée vers l’autre. Très à propos.

Et pourtant, subsiste…

Cependant, cet engouement pour le physique plaisant de nos dirigeants a suscité en moi un état de réflexion dont je n’arrive pas à sortir.

Pourquoi est-ce qu’un petit rien me titille dans toute cette histoire ? Non, le problème n’est pas la beauté, ni l’attirance qu’elle génère bien naturellement chez nous. C’est profondément humain – et même, j’oserais écrire, divin – d’être emporté, saisi par le beau, de vouloir le contempler.

Mais là où je suis dubitative, c’est dans la valorisation de la beauté physique comme formule de réussite sociale et, dans le cas qui nous intéresse, politique. La beauté comme étampe d’approbation : la sanction royale, tiens. Y pouvons-nous quelque chose ? Qui peut le dire…

… l’inégalité

Quand Jean-Jacques Goldman, grand parolier de notre temps, chantait au sujet d’une fille plus « moche » qu’il lui « faudra remplacer tous les pas de chance par de l’intelligence » (2), il mettait le doigt sur un trait de notre condition humaine: l’inégalité de la distribution des dons.

Dans un monde démocratique, qui se veut foncièrement égalitaire, ça parait scandaleux de dire de telles choses.

J’en ai fait l’expérience. Quand j’ai laissé échapper quelques réflexions sur la « chance » qu’avaient les Trudeau d’être physiquement beaux, on m’a objecté qu’ils « travaillaient pour ».

Ah bon.

Effectivement, garder la forme ne se fait pas tout seul. Mais on va se le dire, tout dans le physique n’est pas seulement le produit de nos efforts, ou de notre manque d’efforts ! C’est même carrément insultant de se faire dire cela, si on fait justement tout ce que l’on peut pour s’ajuster aux canons de beauté de l’heure, et que d’autres y arrivent sans lever le petit doigt.

La beauté physique est indéniablement un atout, à plusieurs égards. Malheureusement, elle semble avoir « loupé certains berceaux », comme fredonnait Goldman. La route pour obtenir l’attention, la reconnaissance, ou simplement un regard de l’autre est très ardue pour certains, alors que d’autres semblent la parcourir bien légèrement.

Citoyens, aux aguets !

Ceci dit, parfois, la façade physique nous plait tellement qu’elle nous jette de la poudre aux yeux et nous empêche de voir « le reste ». Et c’est là où ça devient intéressant pour le politique.

Le texte de Marc Chevrier qui compare Justin Trudeau à l’Alcibiade de la Grèce antique nous met en garde contre ce genre d’envoutement par le charme physique et émotif de certains personnages publics. Alcibiade n’a pas été, selon ma compréhension, un chef politique de premier ordre. Il n’est pas question ici de critiquer Trudeau qui, d’ailleurs, a eu si peu de temps pour faire ses preuves. C’est simplement une mise en garde, un appel à la vigilance. Car le charme opère…

La beauté n’est pas que physique, et plusieurs « grands » de notre histoire l’auront compris. Victor Hugo écrivait qu’« aucune grâce extérieure n’est complète si la beauté intérieure ne la vivifie. La beauté de l’âme se répand comme une lumière mystérieuse sur la beauté du corps » (3). En ayant cela clairement en tête, sans la présomption de celui ou celle qui se croit hors d’atteinte, insensible au charme physique et à l’attirance que génère la beauté perçue par les sens, peut-être que notre analyse du politique sera plus aiguisée.

Parce que, dans la vie, tous ne partent pas au même endroit sur la ligne de départ et qu’il convient d’en tenir compte en creusant un peu plus loin que le charme inné qui opère dans certaines personnalités.

Surtout quand il s’agit, disons… de la gestion de notre pays.

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Notes :

(1) Bromance est un néologisme anglais tiré de la contraction entre brotherhood (fraternité) et romance.

(2) Jean-Jacques Goldman, « C’est ta chance », 1987.

(3) Victor Hugo, Post-scriptum de ma vie, 1901.

Estelle Cloutier

Intéressée par les arts et passionnée par les enjeux sociaux, Estelle est une étudiante aux cycles supérieurs.