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Illustration: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Les 5 langages de l’amour divin et leur rôle pour la mission

L’engagement missionnaire, comme tout autre aspect de la vie chrétienne, exige une docilité à l’Esprit Saint, premier protagoniste de la mission, selon le mot de Paul VI.

Le missionnaire aguerri est, en outre, celui qui sait se laisser surprendre ou «déranger» par la Providence. En effet, c’est en saisissant les occasions fournies par la Providence et en sachant, à partir de circonstances apparemment fortuites, créer des occasions d’évangéliser, que le chrétien pourra plus aisément entrer en contact avec ses frères humains, engager avec eux la conversation, échanger des idées et se mettre à l’écoute lorsqu’ils oseront s’ouvrir à lui sur leur quête de sens, leurs questionnements, leur malêtre, leur soif de plénitude, etc.  

Dans la mission comme dans toute chose relevant de la vie spirituelle, on constate ainsi la primauté de l’initiative divine et la secondarité du facteur humain.

Mais cette secondarité n’empêche évidemment pas les chrétiens de faire ce qui est en leur pouvoir et qui, en vérité, leur incombe, pour créer des occasions d’évangéliser, favoriser les rencontres, nouer une conversation, alimenter le questionnement, éveiller une soif de sens que le brouhaha du monde à trop tendance à étouffer, à reléguer aux calendes grecques, parce qu’il y a toujours plus urgent que de se poser la question du sens et de la valeur de la vie. Dans la mission comme en toute chose, il faut donc apprendre à coopérer avec la grâce.

Dans un précédent article, j’ai précisé quels étaient selon moi les cinq plans sur lesquels l’effort missionnaire devait se déployer: le plan organisationnel, le plan relationnel, le plan communicationnel, le plan intellectuel et le plan spirituel.

Étant par tempérament plus soucieux de favoriser, en contexte d’évangélisation, une bonne réflexion et une bonne communication, j’ai pensé opportun de me tourner vers l’exemple de l’apôtre Paul, pour voir s’il n’aurait pas quelque chose à nous enseigner sur l’art de penser le mystère de Dieu et sur l’art d’en parler.

Dans la suite de cet article, je vais me concentrer sur la parole missionnaire, sur l’art de parler de Dieu en contexte d’évangélisation, en tentant d’établir une petite typologie des discours sur Dieu, et j’illustrerai chacun des types avec un ou des exemples tirés des épitres pauliniennes.

Parler de Dieu

Nous ne pouvons véritablement parler de Dieu qu’à partir de ce qu’il a d’abord dit de lui-même. C’est vrai au plan naturel (celui de la raison dans son rapport au créé) comme au plan surnaturel (celui de la foi dans son rapport avec le révélé).

Ainsi explique-t-on, en théologie, que la Création de Dieu dit quelque chose de Dieu, comme le tableau dit quelque chose de l’artiste qui l’a peint. Cela est tout à fait exact. Mais en réalité, on comprend que c’est surtout Dieu qui dit quelque chose de lui-même à travers sa Création.

Or, à ce sujet, les philosophes, depuis les présocratiques jusqu’à Aristote, ne se sont pas trompés. En observant la nature et en raisonnant à partir de leurs observations empiriques, ils ont su arriver à des conclusions philosophiques fiables sur la nature et les attributs de Dieu.

Retenons donc, dans un premier temps, que Dieu parle de lui à travers sa Création.

Mais Dieu a aussi parlé de lui par révélation surnaturelle, par la bouche des prophètes qui ont répercuté son message. Les prophètes ont dit, au fil des siècles, les «sentiments de Dieu».

Mais, en définitive, on comprend que c’est Dieu lui-même qui «a parlé par les prophètes», pour nous dire quelque chose de lui et de son dessein d’amour pour une humanité en quête de sens et de salut.

Depuis les origines, donc, Dieu n’a cessé de nous parler naturellement et surnaturellement de son amour infini pour nous. Et c’est seulement à partir de ce qu’il nous a dit de lui et de son projet créateur, rédempteur et sanctificateur, que nous pouvons à notre tour, sans trop de difficultés et sans errements, parler de lui, pour le faire connaitre et aimer comme il entend être connu et aimé.

Les langages de l’amour divin

Avant de continuer à parler des voies que prend Dieu pour communiquer avec nous, faisons un petit détour pour parler des façons que les amants ont de communiquer entre eux dans leur couple, au quotidien, pour se dire mutuellement leur attachement et leur amour.  

Selon l’auteur Gary Chapman, les amants se communiquent leur amour de cinq façons différentes: en s’offrant des cadeaux, en s’échangeant des paroles valorisantes, en passant ensemble du temps de qualité, en se rendant mutuellement service et en manifestant leur tendresse par contact physique.

La grande idée de Gary Chapman est de dire que pour qu’un couple dure dans le temps, il est important que les amants sachent quel langage leur tendre moitié parle le plus, pour pouvoir lui parler ce même langage et ainsi lui communiquer clairement son affection.

Or, j’ai appris récemment que, comme bien des lecteurs de Gary Chapman, j’avais spontanément appliqué son enseignement sur les relations de couples à ma relation à Dieu. Je l’ai fait avant même de savoir qu’il avait lui-même développé une réflexion sur les langages de l’amour divin, et sans avoir lu le livre qu’il a écrit sur le sujet.

En réfléchissant au langage de l’amour, j’ai remarqué que les langages divins étaient, comme les langages humains, au nombre de cinq, et qu’en plus, chacun d’eux correspondait analogiquement à l’un de ces cinq langages humains.

À l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai d’ailleurs toujours pas lu son livre intitulé God Speaks Your Love Language: How To Feel And Reflect God’s Love. Je ne peux donc pas affirmer que ce que je m’apprête à partager reflète fidèlement ou complètement l’enseignement de Chapman sur les langages de l’amour divin.

Qu’il me suffise ici de dire que l’idée selon laquelle Dieu parle divers langages pour communiquer son amour m’a été directement inspirée par Gary Chapman, et que l’exposé que je m’apprête à en faire est le fruit d’une méditation personnelle, dont le degré exact de fidélité à l’ouvrage de Gary Chapman m’est pour le moment inconnu. 

Les langages de Dieu dans l’histoire du salut

En réfléchissant au langage de l’amour, j’ai remarqué que les langages divins étaient, comme les langages humains, au nombre de cinq, et qu’en plus, chacun d’eux correspondait analogiquement à l’un de ces cinq langages humains.

À chaque langage humain identifié par Chapman, j’associerai donc un langage divin, en faisant ressortir ce qu’ils ont d’analogue, et qui justifie en fin de compte qu’on les rapproche l’un de l’autre pour mieux comprendre comment Dieu s’adresse à nous. 

Et comme j’ai remarqué qu’ils s’étaient ajoutés l’un à l’autre au fil de l’histoire du salut, je suivrai, pour ma présentation, l’ordre de leur apparition successive dans l’histoire, depuis les origines de la Création jusqu’au temps de la Pentecôte.

Les cinq langages de l’amour divin

D’abord, il me semble que le langage de l’amour qui consiste à offrir des cadeaux peut être associé à l’acte créateur de Dieu, qui nous a fait le cadeau de la Création, et plus spécifiquement de la vie.

Dieu, par la profusion de son œuvre créatrice, par le don de la vie, et aussi par toutes les générosités de sa Providence, manifeste continument l’amour qu’il a pour ses créatures.

J’associe ensuite les paroles valorisantes, qui fortifient et confortent l’être aimé, à la tradition prophétique de l’Ancien Testament. Bien sûr, les prophètes n’ont pas fait que dire l’amour de Dieu, ils ont aussi dénoncé les errances de l’homme. N’empêche, le message essentiel de la tradition prophétique reste: «Tu comptes beaucoup à mes yeux. Tu as du prix et je t’aime» (Is 43,4).     

Maintenant, dans l’histoire du salut, le temps de qualité de Chapman ne peut-il être identifié au temps de l’Incarnation, au temps où Dieu lui-même s’est fait homme, où il a planté sa tente parmi nous, pour nous dire d’une façon tout à fait inédite et même incompréhensible, folle et scandaleuse pour les Juifs ou les païens, combien «il a tant aimé le monde»?

En outre, quel est le plus grand service que nous a rendu le Christ, sinon de mourir pour nous sur la croix, de façon à combler le déficit d’amour que l’humanité avait accumulé, et qui était tellement grand qu’il a fallu que le cœur de Dieu aime Dieu en notre nom pour que notre dette soit effacée? Le quatrième langage de l’amour divin est sans équivoque le service de la rédemption.

Enfin, depuis la Pentecôte, l’humanité rédimée fait l’expérience de l’amour divin grâce à l’Esprit Saint, qu’on nomme parfois le doigt de Dieu, et qui vient nous toucher au plus profond de nous-mêmes pour nous révéler, à travers le Fils, l’immense amour du Père. Avec ce divin toucher, Dieu devient sensible au cœur, et se fait entendre au plus intime de notre être.

Depuis les origines du monde jusqu’au début de la nouvelle Création en Jésus Christ, qui nous a mérité l’Esprit, Dieu nous a donc successivement et simultanément dit son amour à travers la Création, la Révélation, l’Incarnation, la Rédemption et la Divinisation. Et ce sont ces langages que les missionnaires ont pour vocation de traduire à l’attention des chercheurs de Vérité et de Vie.

Typologie des discours missionnaires

Revenons maintenant à l’idée selon laquelle nous ne pouvons parler de Dieu qu’à partir de ce qu’il nous dit de lui-même, et rapprochons-la de l’idée que nous venons d’exposer, à savoir que Dieu parle cinq langages de l’amour différents.

Nous pouvons en déduire, je crois, que les chrétiens sont appelés à comprendre et à traduire à l’attention des hommes ces cinq langages de l’amour divin pour les leur rendre intelligibles, et leur permettre ainsi d’entrer en communication avec Dieu.

En contexte missionnaire, le choix de mettre de l’avant tel discours ou telle combinaison de discours plutôt qu’un(e) autre dépendra des dispositions et besoins des personnes évangélisées. Et c’est ici que nous retrouvons saint Paul.

Dans ses épitres et dans les discours rapportés des Actes, l’apôtre des Nations se présente comme un évangélisateur modèle, sachant recourir, selon les situations particulières et les besoins personnels, à l’un ou l’autre type de discours.

Voici la compréhension que j’ai de chacun d’eux.

Premier type: le discours philosophique

Le discours le plus représentatif de ce type est, chez saint Paul, le discours aux Athéniens (Ac 17). S’il n’est pas uniquement philosophique, il s’adresse à un public de philosophes et doit donc se faire philosophique au moins en partie, pour préparer l’annonce kérygmatique de la résurrection du Christ.

Le besoin pour l’Église de déployer un discours philosophique est aussi clairement mis en évidence en Rm 1,19-20, où saint Paul déclare, en conformité avec les intuitions de Sg 13,1, que «ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste: Dieu, en effet, le leur a manifesté. Ce qu’il a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité.»

Le premier discours à la disposition des évangélisateurs me semble donc être le discours philosophique, qui, par l’observation de la nature, autrement dit par l’étude méticuleuse du cadeau/langage de Dieu qu’est la création, peut parvenir à une connaissance limitée, mais valable, de l’identité et des attributs de Dieu. Le Dieu qui parle de lui-même, ici, est «seulement» le Dieu des philosophes, mais c’est le vrai Dieu.

Deuxième type: le discours théologique

Le langage missionnaire qu’appelle et suscite la Révélation surnaturelle, portée entre autres par la parole prophétique et finalement par toute la Tradition et l’Écriture (deuxième langage de l’amour divin), est le langage exégétique et théologique, qui explicite et systématise le langage allégorique et symbolique de la Bible pour en tirer un corps de doctrine complet, organique et unifié.

De Jésus Christ lui-même, qui expliqua dans les Écritures tout ce qui le concernait, jusqu’à nos jours, en passant par saint Paul, les Pères de l’Église et tous les grands auteurs de la théologie monastique ou scolastique, l’Église a parlé le langage de la théologie pour rendre compréhensible à tous ces paroles valorisantes, ce langage de l’amour divin qu’est la Révélation surnaturelle.

Chez saint Paul, on trouve un bon exemple d’exégèse allégorique et de théologie (des Alliances) dans Ga 4,22 – 5,1, où les deux unions d’Abraham sont comprises comme étant l’allégorie des deux grandes Alliances initiées par Dieu, «la première Alliance, celle du Mont Sinaï», symbolisée par l’union avec Agar, et l’Alliance nouvelle et éternelle en Jésus Christ, symbolisée par celle avec Sarah.

Troisième type: le discours historiographique

La présence de Dieu dans l’histoire, présence prolongée au-delà de l’Incarnation du Fils de Dieu par celle de l’Église, a donné naissance à un discours de type historiographique, qui a centré son attention sur le temps de qualité que Dieu a passé et passe toujours avec nous, pour mettre en évidence à la fois l’historicité de Jésus de Nazareth et l’impact positif de l’action bimillénaire de l’Église sur la civilisation.

Si Paul a peu recouru à cette forme de discours, il a structuré toute sa prédication autour du fait historique de la résurrection (cf. 1 Co 15,4). Et si on déborde un instant du cadre des textes de Paul pour regarder ce qui s’est écrit dans le sillage de sa mission, on trouve le diptyque de l’Évangile selon saint Luc et des Actes, qui est le discours historiographique (mais pas que) le plus élaboré du Nouveau Testament.

En effet, bien que non exclusive, la visée historique de Luc, disciple et collaborateur de Paul (cf. Ph 1,24), est des plus explicites dès le début de l’Évangile: «Plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous […]. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après m’être informé soigneusement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi, cher Théophile, un exposé suivi…»

Quatrième type: le discours narratif

Par son discours historiographique, l’Église a interprété le langage de la présence aimante de Dieu dans l’histoire, afin de bien le faire comprendre à une humanité harassée, plongée dans la déréliction.

Mais chaque chrétien, chaque membre de l’Église, peut aussi, à travers son témoignage personnel de conversion, dire l’amour de Dieu, en rendant compte de sa propre expérience de salut, autrement dit en parlant du service que Dieu lui a personnellement rendu en venant dans sa vie pour le sauver de la mort et du péché.

On peut d’ailleurs ranger aux côtés du témoignage personnel tout récit dont la matière est le salut en Jésus Christ, que ce soit une parabole évangélique ou un roman de Bernanos, et parler plus généralement du discours narratif comme quatrième forme de discours missionnaire.

Le témoignage personnel est peut-être le plus puissant et le plus important des langages missionnaires. Car, à bien des égards, le discours philosophique, sur l’existence et les attributs de Dieu, et le discours historique, montrant l’impact bénéfique du christianisme dans l’histoire, ne sont que des préparations disposant l’intelligence et le cœur à écouter ce que Dieu a fait dans la vie d’une personne concrète, qui nous est contemporaine et qui parle de l’action salvatrice de Dieu dans sa vie aujourd’hui. Ensuite, la théologie, qui n’est jamais finalement que la décantation de l’expérience mystique de l’Église, servira à expliquer et exprimer canoniquement l’expérience chrétienne de la rencontre et de la relation avec Dieu.

Paul a lui-même évoqué son expérience personnelle, sa «joie d’être sauvé» (Ps 50,14) dans Galates 1, et son disciple Luc nous a offert trois passionnants récits de conversion de Paul. La tradition paulinienne plus tardive a aussi su capter l’essence de l’expérience du salut en Jésus Christ dans un très beau passage de la lettre à Tite (3,3-7), qui évoque avec émotion l’irruption de Dieu dans la vie du pécheur en ces termes: «Mais lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et sa tendresse pour les hommes, il nous a sauvés. Il l’a fait dans sa miséricorde…»

Cinquième type: l’ineffable expérience de la grâce

Au-delà de l’effort humain de communiquer une pensée ou une expérience, il revient à Dieu d’agir directement, sans médiation, pour se faire connaitre directement, dans le cœur des personnes. Le dernier langage de l’amour divin est donc l’ultime langage que l’homme a besoin d’entendre: le langage sans mots de la grâce de Dieu qui agit dans les cœurs. Ce langage vient, de façon décisive, révéler à l’homme que Dieu est bel et bien vivant et agissant dans notre temps. Il révèle de l’intérieur un univers dont on ne soupçonnait pas l’existence, un monde pourtant vrai, et finalement plus vrai et réel que le monde visible, puisqu’il en est le fondement et la fin.

Saint Paul a fait mention de cette expérience de la grâce illuminatrice dans un très beau passage de la deuxième épitre aux Corinthiens, chapitre 4, verset 6, où il écrit:

Car le Dieu qui a dit: La lumière brillera au milieu des ténèbres, a lui-même brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ.

Dans la mission, c’est vers le partage de cette expérience intérieure de l’amour de Dieu, c’est vers l’écoute attentive et la compréhension intime de cette forme de langage divin qu’est le toucher intérieur de la grâce, que les quatre autres formes de discours missionnaires, les formes proprement humaines et sonores, sont orientées.     

Le dernier et le plus important des langages missionnaires est donc, encore une fois, le langage de Dieu lui-même, lorsqu’il prend l’initiative de parler au cœur en se faisant présence inexprimable. Nos efforts pour faire entendre l’intraduisible langage de cette présence, qui est le langage de l’être divin dans son essence, sont des efforts de coopération à la grâce, qui sont insuffisants en eux-mêmes, mais qui prennent une importance capitale en ce qu’ils donnent à Dieu l’occasion d’agir à travers eux pour se révéler au plus intime de l’âme.

Sur le plan de la communication missionnaire, qui n’est, rappelons-le, qu’un des cinq plans de l’activité missionnaire, s’actualise ainsi la complémentarité voulue par Dieu dans son dessein de salut, où les chrétiens sont appelés à participer à la mission du Christ et de l’Esprit Saint pour ramener tous les hommes au Père (cf. 1 Th 3,2).

(modifié le 07-06-2023)

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.