Notre chroniqueur, qui travaille en pastorale à Montréal, a profité du mois d’octobre, mois de la mission dans l’Église catholique, pour méditer sur l’enjeu du renouveau missionnaire des paroisses. Il nous livre ici quelques-unes de ses réflexions.
Il y a 10 ans cette année, paraissait aux États-Unis le livre Rebuilt, un ouvrage essentiellement pratique, coécrit par un curé et son bras droit. Ces derniers proposaient une voie de renouveau missionnaire et pastoral pour les paroisses catholiques confrontées depuis des décennies à la sécularisation de la culture, à la baisse de la pratique, et donc au déclin.
Le succès fut à la hauteur du besoin, immense ; en tout cas dans les cercles chrétiens où la question du renouveau missionnaire de l’Église avait déjà été posée avec acuité depuis longtemps. La publication de Divine Renovation au Canada, deux ans plus tard, à l’initiative d’un prêtre catholique d’Halifax, allait confirmer l’intérêt pour ce type de littérature.
La valeur de ces deux ouvrages tient au fait que leurs auteurs ont su combler un manque flagrant dans la formation professionnelle des pasteurs, chez qui les capacités de gestionnaire, de planificateur, de coordonnateur des ressources, de promoteur d’une vision n’ont jamais été développées, ni avant, ni pendant, ni après le séminaire, occupé trop exclusivement à la formation théologique.
En clair, les White, Corcoran et Mallon ont su outiller leurs confrères en leur proposant une approche pastorale qui ne visait pas seulement le soin tout intérieur des âmes ou le développement moral de la personne au moyen de la liturgie et de la catéchèse, mais aussi le bon fonctionnement de l’organisation paroissiale, en vue de sa saine croissance.
Si depuis 10 ans, des clercs et des laïcs s’affairent vaillamment à développer leurs capacités organisationnelles, nous le devons en grande partie aux auteurs tout juste cités, ainsi qu’à leurs devanciers et inspirateurs, provenant souvent du monde protestant évangélique. Pensons par exemple à Rick Warren, auteur d’un ouvrage fondateur, Purpose Driven Church (1995).
La gestion n’est pas tout
Cette attention nouvelle à l’aspect organisationnel des choses pourrait en inspirer certains à renouveler l’une des quatre autres dimensions du travail missionnaire, à savoir la dimension relationnelle, la dimension communicationnelle, la dimension intellectuelle et la dimension spirituelle. Car dans ces domaines, les besoins sont tout aussi grands et urgents.
Une bonne compréhension des dynamiques de groupe et une mise en pratique des principes élémentaires de gestion atteignent vite leurs limites, si l’on ne tient pas compte des capacités relationnelles des acteurs impliqués, c’est-à-dire de leurs aptitudes à entrer en relation avec les autres, à s’intéresser à eux, à les écouter, à manifester de l’empathie, à savoir s’effacer, etc.
Et de même, les relations humaines seront compliquées, voire impossibles à maintenir, si la saine culture commune qu’on veut développer, sur le plan humain comme sur le plan plus proprement spirituel, n’est pas soutenue par une prédication solide et des catéchèses substantielles, bref, par une communication qui informe et oriente correctement les volontés individuelles et le projet pastoral tout entier.
Et de même encore, l’effort de transmission et de communication de cette culture commune visant la cohésion et la concorde risque d’être vain si l’intelligence de la foi et la croissance spirituelle des acteurs ne sont pas fondées sur la sagesse de la tradition et irriguées par la vie de la grâce, dont les sacrements et la prière personnelle sont la source, le lieu de fondation et de réfection.
Tout se tient. Mais pour que tout se tienne effectivement, il ne faut négliger aucun de ces aspects fondamentaux de la mission, en commençant par ce qui est le plus intérieur, la vie de l’âme, et en allant jusqu’à ce qui est le plus extérieur, la vie des organisations, en passant par ce qui fait le pont entre les deux: la pensée, la communication et les relations humaines.
Réfléchir, traduire, adapter
Les cinq plans sur lesquels se déploie le travail missionnaire n’ont jamais été totalement délaissés par les penseurs de différentes confessions chrétiennes. On trouve en effet une pléthore de ressources, plus ou moins récentes, pour nous aider à réfléchir aux enjeux – qui sont des enjeux de toujours – auxquels l’Église doit faire face, si elle veut continuer d’évangéliser dans le monde actuel.
Mais, à l’évidence, il est nécessaire de réfléchir à nouveaux frais à toutes ces questions, et il faut le faire, me semble-t-il, au moyen d’une approche globale. En tout cas, je sens personnellement le besoin d’élargir la focale, pour mieux penser ensemble, malgré une spécialisation nécessaire, ces grandes dimensions de l’action évangélisatrice de l’Église.
Aussi, ce dont nous avons parfois besoin, c’est simplement de traductions, au sens propre et au sens figuré, des bons ouvrages parus en d’autres langues. Traduction d’une langue à l’autre (ce fut le cas de Rebuilt et Divine Renovation, traduits de l’anglais), ou traduction «culturelle», pour adapter au contexte francophone ce qui a été pensé et produit ailleurs.
C’est ce genre de «traduction» qui a été faite par l’équipe à l’origine du livre EZ37, dont il a déjà été question ici. Ses trois auteurs français ont assimilé et restitué pour un public francophone l’expertise missionnaire provenant de Saddleback Church et d’autres milieux missionnaires inspirants, de manière à combler les carences de notre vie organisationnelle.
Parmi les ouvrages pionniers qui mériteraient aussi une traduction au sens propre, il y a le petit bouquin de D. Everts et D. Schaupp, I Once Was Lost. What Postmodern Skeptics Taught Us About Their Path to Jesus, qui date de 2008, et qui décrit lumineusement les cinq seuils que traversent généralement les personnes incroyantes avant de devenir croyantes.
Non seulement les décrit-il, mais il fournit aussi aux missionnaires que nous sommes tous appelés à être des pistes pour que nous sachions aider les gens de notre entourage à franchir ces seuils l’un après l’autre, jusqu’à la conversion. Cet ouvrage inspirant, basé sur l’étude de 2000 histoires de conversion de jeunes adultes, est donc un trésor qui reste à découvrir ici.
Prier, penser, parler
Everts et Schaupp sont de bons alliés pour penser la dimension relationnelle de la mission. Ils ont fortement inspiré Sherry Weddell, auteur du livre Forming Intentional Disciples (2012), qui a traduit en «langage catholique» la vision évangélique des deux auteurs. Mais son livre n’a malheureusement pas été traduit en français. Il aurait pourtant mérité de l’être. Il le mérite encore. Et d’autant plus qu’il vient de reparaître dans une version revue et augmentée.
Ce livre contient deux chapitres intéressants sur la manière d’entreprendre un changement de culture paroissiale en modifiant notre discours, notre approche communicationnel. Ce changement discursif consiste à faire de la rencontre personnelle avec Jésus le sujet central de nos conversations religieuses, mais aussi, pourquoi pas, des formations catéchuménales, des homélies et des catéchèses.
Non pas le nombre de livres que contient la Bible, ni les phases de l’année liturgique, mais Jésus et la possibilité que nous avons de vivre avec lui une rencontre qui va transformer nos vies. Cette «stratégie» aura d’autant plus d’impact qu’elle sera adossée à une culture du témoignage, par laquelle la réalité de l’action de Dieu dans nos vies sera rendue manifeste.
L’intérêt du témoignage est qu’il montre que l’expérience de Dieu est bien réelle, mais aussi qu’elle est accessible, qu’elle est «à portée de main». Cette proximité, cette disponibilité tout d’un coup évidente de Dieu est souvent ce qui éveille le désir d’une rencontre. La proposition de faire un premier pas pour connaitre Jésus peut alors être avancée, dans le respect.
Les chapitres 9 et 10 du livre contiennent d’autres réflexions intéressantes, sur l’art de converser avec un athée, ou l’art de raconter la vie de Jésus de façon kérygmatique, en partageant l’essentiel de la Bonne Nouvelle. S. Weddell est donc, à l’évidence, une alliée précieuse dans le développement de nos compétences communicationnelles.
Pour ce qui est de la dimension spirituelle, la tradition catholique en est certainement mieux pourvue. L’abondance des classiques, de Lorenzo Scupoli à Thérèse de Lisieux, et l’abondance des commentaires modernes me dispenseraient de toute mention, mais je ne résiste pas à l’envie de suggérer, comme première approche, Initiation à la vie spirituelle (2012), d’André Louf.
La vie de l’âme inclut cependant la vie de l’esprit; elle fonde et irrigue l’activité réflexive du chrétien. Or, s’il est un domaine de la vie intérieure du catholique qui mériterait d’être renforcé, et même revitalisé, en tenant compte du nouveau contexte culturel et idéologique, c’est bien celui de l’intelligence de la foi, donc de la culture philosophique et théologique.
Le monde catholique américain, encore une fois, est riche d’une tradition apologétique qui fait défaut dans le monde francophone. Mais il existe toutefois, en français, un certain nombre d’ouvrages dignes de mention. Je pense en particulier à deux livres de Mgr André Léonard, Foi et philosophies (1991) et Les raisons de croire (nouvelle édition 2021).
Les cinq essentiels de l’effort missionnaire
Un des apports les plus importants du pasteur Rick Warren a été de nous rappeler que la vie de l’Église se déploie dans cinq domaines essentiels : la vie de prière (et la liturgie), la formation à la vie chrétienne, la vie fraternelle, le service et la mission. Or, je constate que chacune des dimensions dont j’ai parlé correspond à l’un de ces domaines essentiels.
À l’essentiel qu’est la prière correspond évidemment la dimension spirituelle, et à la formation, la dimension intellectuelle. À la vie fraternelle, le besoin de développer des compétences communicationnelles ; car il n’est de vraie fraternité sans profonds échanges de vues, sans partages, sans conversations par lesquelles frères et sœurs s’enrichissent mutuellement.
À l’essentiel qu’est le service correspond l’enjeu du développement des compétences relationnelles. Car c’est bien dans le travail d’équipe que sont mises en évidence nos limites personnelles et le besoin de croitre humainement pour mieux s’intégrer à un groupe et faire bénéficier nos collègues et la communauté de nos talents et charismes.
À l’essentiel qu’est la mission correspond enfin le besoin de développer, en plus des autres compétences spirituelles, intellectuelles, communicationnelles ou relationnelles, des compétences organisationnelles, caractéristiques des personnes ayant la charge de paitre l’ensemble du troupeau, en faisant prévaloir certains principes de gestion immuables et indispensables.
Par tempérament, je me préoccupe spontanément des dimensions réflexive et discursive de la mission. Je me propose donc, dans mes deux prochains textes, de poursuivre la réflexion sur ces aspects de la mission d’évangélisation en prenant appui sur les écrits de l’apôtre Paul, lui qui a dit «la pensée du Christ, c’est nous qui l’avons» et «la foi nait de ce que l’on entend».