Photo: National Geographic/Léa Robitaille/Le Verbe

Blocs-notes: La foi et la loi et L’énigme du kérygme

Ces textes, tirés de la rubrique «Bloc-notes», ont d’abord été publiés dans les numéros de printemps et d’été 2017 de la revue Le Verbe.

LA FOI ET LA LOI

Sans foi…

Chez nous, catholiques, la prière est parfois une éclosion de fatalisme, une exhalaison montant du cadavre éventré de nos rêves, une sorte de radotage de matante absolument désespéré, vain et infructueux, une péroraison pathétique proférée juste pour la forme, une pénultième prostration dans l’impuissance en attendant la mort d’un parent cancéreux, d’une grappe de clandestins à la dérive ou de Kiki la perruche, dont le destin est scellé.

En lieu et place de la foi surnaturelle qui devrait l’animer pour en constituer le cœur battant et vibrant, on trouve la résignation, le pessimisme pas même maquillés en faible protestation contre le sort. On prie sans se faire d’illusion. Sans plus croire en rien ni personne. Surtout pas en la force libératrice de Dieu, cet inconnu. On prie par convention – ou du moins on prétend qu’on prie. En réalité, on ronchonne, on radote ou on râle avec ses malheurs pris en travers de la gorge.

On s’affaisse pitoyablement sur un Ave ou sur un Pater, dans un déglinguement intégral de l’âme. On n’attend rien de rien. Surtout pas que Dieu se manifeste. De toute façon, il est de notoriété publique que la foi, c’est la ténèbre inéluctable. Et la prière un stérile désir qui s’étiole dans le silence qui lui répond, immanquablement. Des millions de marmonneux neurasthéniques forment ainsi à travers le monde ce que l’on appelait jadis la chrétienté. Spectacle navrant.

… mais avec loi

Les plus opiniâtres d’entre nous se sont claquemurés dans le ghetto d’une discipline impeccable, maintenue au prix d’une pétrification intérieure que ne laissent cependant paraitre aucun rictus ni aucun tic. Leur oraison, depuis longtemps réduite à une mécanique, fait entendre fidèlement son tictac rituel, mais demeure sans saveur et sans fécondité. Sans liberté surtout.

On est loin, très loin, de la définition que Bernanos donnait de la prière comme «seule révolte qui se tienne debout». Autrement dit, comme seul combat qui vaille contre la fatalité, comme seul lieu de liberté authentique. De liberté conquise. Pour laquelle on se bat. Contre tous les esclavages. Y compris l’esclavage d’une piété chicanière, compassée, presque maniaque.

La piété forcenée de l’éternel jansénisme finit toujours par confire ses adeptes dans le rigorisme d’une dévotion revêche et les empêche systématiquement de comprendre ce que la prieure enseigne à Blanche de la Force dans les Dialogues des Carmélites: «Notre Règle n’est pas un refuge. Ce n’est pas la Règle qui nous garde, […] c’est nous qui gardons la Règle.»

L’Esprit de la loi

Cela veut dire en clair que la vraie maturité chrétienne, et donc la vraie liberté, ne s’accomplit pas dans la seule fidélité extérieure à une règle, aussi parfaite soit-elle, mais dans l’intériorisation d’une loi qui n’est autre que la loi d’amour qu’est l’Esprit Saint du Père et du Fils.

Cette loi, une fois incorporée dans l’habitus du chrétien qui a consenti un jour à l’accueillir en s’offrant à l’Esprit comme «humanité de surcroit» (sainte Élisabeth de la Trinité), devient «la substance vitale de l’âme» (saint Ambroise) en son foyer le plus incandescent.

Cette loi, le chrétien la «garde» en tant que règle de vie, au sens où, tous les jours, son humanité qui s’immole et se conforme à elle veille à se laisser inspirer par elle dans son action et veille en même temps à ce qu’elle régisse les relations des hommes entre eux, de sorte que l’œuvre d’affranchissement du Christ puisse s’étendre d’un homme à l’autre.

Ainsi se trouve vérifiée une fois de plus cette grande vérité du christianisme: que la liberté véritable ne s’acquiert qu’au prix du sacrifice.

*

L’ÉNIGME DU KÉRYGME

En Église, il nous faut redécouvrir la puissance d’une catéchèse vraiment kérygmatique, d’une catéchèse fondée sur le kérygme. Mais qu’est-ce que le kérygme?

Le noyau dur

En grec, «kérygme» signifie «proclamation» et renvoie, dans le contexte des Évangiles, à l’essentiel du message propagé par les apôtres après la Pentecôte (cf. Ac 2,22s).

Une catéchèse kérygmatique est donc une catéchèse développée à partir du noyau dur de la Bonne Nouvelle, tel qu’il se donne à voir dans la première prédication apostolique.

Cette prédication s’articule autour de trois énoncés:

1) «Jésus Christ est Seigneur, c’est le Fils de Dieu, le Messie.»

2) «Venu dans la chair, il est mort pour nos péchés, mais Dieu l’a ressuscité, il est vivant et j’en témoigne.»

3) « Fais l’expérience de sa présence et de sa puissance, accepte-le par la foi dans ta vie comme Seigneur et Sauveur et convertis-toi.»

Première annonce?

On définit communément le kérygme comme la «première annonce» de l’Évangile. Mais attention! Il faut bien comprendre ce que l’on entend par «première» annonce. Lisons le pape François:

«Quand nous disons que cette annonce est la première, cela ne veut pas dire qu’elle se trouve au début et qu’après elle est oubliée ou remplacée par d’autres contenus qui la dépassent. Elle est première au sens qualitatif, parce qu’elle est l’annonce principale, celle que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes façons et que l’on doit toujours annoncer de nouveau durant la catéchèse sous une forme ou une autre, à toutes ses étapes et ses moments» (Evangelii gaudium, 164).

La première annonce, ou kérygme, est donc le cœur du message évangélique, celui à partir duquel tout enseignement s’élabore et auquel on revient constamment, car il contient, comme une semence prête à germer, la Bonne Nouvelle dans toute sa puissance de vie, de vérité et d’amour.

Le kérygme aujourd’hui

Un excellent exemple d’annonce kérygmatique adapté à la sensibilité et à la mentalité contemporaines est le Parcours Alpha, en particulier les quatre premiers épisodes du parcours. Ceux-ci reprennent, après une introduction visant à susciter un questionnement personnel sur le sens de la vie (épisode 1), les trois énoncés essentiels de la première annonce énumérés plus haut.

Ainsi, l’épisode 2 répond à la question «Qui est Jésus?» en le présentant comme Fils de Dieu et en invitant les participants réunis autour d’un repas à discuter librement, dans le respect des opinions de chacun, de cet article de la foi chrétienne. L’épisode 3 se penche sur le mystère pascal et les raisons du sacrifice du Christ en croix. L’épisode 4 demande: «Comment puis-je avoir la foi?» et invite à voir celle-ci comme une marche vers la vérité qui est compatible avec la raison et comme l’aventure d’une vie vécue avec Dieu le Père, grâce à une relation personnelle avec Jésus.

Le reste du Parcours traite des questions relatives à la vie chrétienne (prière, lecture de la Bible, discernement, etc.), mais toujours en s’appuyant sur le fondement qu’est Jésus Christ mort et ressuscité, puis révélé par la parole de ses témoins afin de susciter la foi et la conversion qui ouvrent à une vie vécue sous la mouvance de l’Esprit présent en nous.

Le Parcours Alpha n’est qu’un exemple d’évangélisation qui incorpore la première annonce de façon intelligente et attrayante, mais c’est un exemple particulièrement utile. L’essentiel de la Bonne Nouvelle et du mystère chrétien s’y trouve habilement traduit en langage d’aujourd’hui.

Et cela porte du fruit! Trente-millions d’individus ont à ce jour suivi le Parcours Alpha, et les nouveaux outils mis à la disposition des Églises par l’équipe Alpha (Alpha Youth et Alpha Film Series [récemment doublés en français]) laissent entrevoir un développement des plus salutaires de la vie missionnaire des communautés chrétiennes!

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.