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La foi n’est pas un doute affadi

Lors d’une émission de radio intitulée Être catholique aujourd’hui, Alain Finkielkraut, philosophe juif et incroyant, retraité de l’enseignement, auteur de nombreux essais sur la culture et l’esprit du temps, interrogeait, avec toute la courtoisie possible, deux figures du catholicisme français: Denis Moreau, venu présenter son livre Comment peut-on être catholique? (Seuil, 2018) et Rémi Brague, auteur de l’essai Sur la religion (Flammarion, 2018).

Si je n’avais guère lu une ligne du premier invité au moment d’écouter cette livraison de l’émission Répliques (je n’ai toujours rien lu à ce jour, mais c’est davantage faute de temps que d’intérêt et je ne désespère pas de remédier prochainement à ce manque), l’oeuvre du second ne m’est pas tout à fait étrangère.

Denis Moreau m’était à vrai dire inconnu jusqu’à cette année, tandis que les ouvrages de Rémi Brague occupent ma bibliothèque depuis 2015, entre autres avec son Modérément moderne (que j’ai bien apprécié) et son Propre de l’homme (que je trouve moins roboratif, excepté quelques chapitres).

C’est grâce à l’accueil favorable réservé par les commentateurs à son plus récent opus que j’ai entendu parler de Denis Moreau pour la première fois sur internet. Quelques semaines plus tard, le rédacteur en chef du Verbe m’a dit lui aussi tout le bien qu’il pensait du livre du professeur spécialiste de Descartes.

Quant aux écrits de Rémi Brague, j’y ai trouvé une première fois de quoi me sustenter en lisant son court essai «Qu’est-ce que le « vrai islam?» (1) , duquel j’ai tiré la substance de quelques articles sur la religion mahométane et ses fâcheux flottements doctrinaux.

Me voici donc, en mars, petit folliculaire atrabilaire, survivant dans le désert intellectuel que reste et demeure la vie pleine d’avanies du Nord-Américain moyen; me voici assoiffé de savoir, comme d’habitude, et désespérant de trouver parmi nous, qui s’élèvent, des voix qu’on peut suivre.

Me voici, la mémoire et les oreilles pleines d’heureux souvenirs de lecture ou de propos laudatifs concernant ces philosophes, et qui découvre, emballé, qu’ils sont au menu de Répliques. Je clique sur le bouton «Jouer». Les notes du thème musical tombent en cascade. J’anticipe un régal. L’émission commence. J’y goûte déjà.

Une dogmatique du doute ou de l’incroyance

L’entretien allait bon train et je me laissais édifier pas ces éminents esprits si parfaitement diserts, si pleins de sagacité, quand soudain l’animateur décida de partager ses propres idées sur la spécificité de l’âge moderne, compris par lui de façon tout à fait prévisible (étant donné son incroyance) comme l’âge de la fin des certitudes liées à la foi. Il donna pour preuve de cette évolution – de cette rupture devrais-je dire – l’abîme qui sépare Bossuet de Pascal dans leur entendement de la foi.

Bossuet, rappela l’auteur de La seule exactitude, était encore capable de dire:

«nous savons […] très assurément et avec une entière certitude, que […] nous avons une autre maison qui nous est préparée au ciel.»

Cette attitude, que l’on peut qualifier de prémoderne si l’on suit la dichotomie proposée par A. Finkielkraut, n’est d’aucune façon minée par le doute. Elle tranche avec celle de Pascal, qui, toujours selon A. Finkielkraut, se montre tout à fait moderne quand il écrit: «s’il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion, car elle n’est pas certaine.»

Constat de l’animateur et académicien: «Le vocabulaire de la certitude n’est plus employé par Pascal (2). C’est ainsi que la différence entre le croyant et l’incroyant n’est plus abyssale. Elle est même considérablement réduite. Le croyant se demande anxieusement s’il y a quelque chose. Il fait le pari qu’il y a quelque chose. Mais le pari, comment dire, c’est un geste inspiré par l’anxiété. Et ce qui nourrit l’angoisse de l’incroyant, c’est qu’il est sûr, absolument sûr qu’il n’y a rien. Et cette certitude ne lui fait vraiment pas plaisir.»

Après avoir cité une phrase de Hans Urs von Balthasar contenue dans le livre de D. Moreau et qui contredit sa propre vision des choses, Alain Finkielkraut conclut: «Mais c’est comme ça, au moins dans la modernité, c’est comme ça pour les uns et les autres. Il y a peut-être des degrés d’angoisse différents, bien sûr, entre celui qui croit et celui qui ne croit pas, mais plus personne ne réussit à retirer à la mort son dard venimeux.»

La conception finkielkrautienne d’une foi n’étant rien qu’un degré moindre d’incertitude (par rapport à ceux qui doutent) ou de mal-être (par rapport à ceux qui sont tristement certains que le ciel est vide) fut ainsi affirmée.

La foi de nos philosophes

Pour peu qu’on vive au quotidien de la foi grâce à la lectio, l’oraison de recueillement, diverses prières jaculatoires ou quelques actes de confiance en la divine Providence, on sait combien pareille compréhension de la première vertu théologale laisse à désirer. Et ce, même quand on est disposé à faire sa part au doute et à l’angoisse, toutes choses inhérentes à la condition humaine – toutes choses que le Christ lui-même a dû affronter, le long du chemin sanglant qui le conduisit du jardin de Gethsémani jusqu’à l’ignoble supplice de la croix.

En fait, le moindre petit adorateur qui avise régulièrement le Christ dans le Saint-Sacrement exposé sait que la foi ce n’est ni le doute ni l’angoisse. Par delà toutes les obscurités et difficultés inhérentes au mystère de Dieu, nous savons par grâce et par expérience que c’est la certitude et la confiance, communiquées à travers le don de l’Esprit, et ce, nonobstant la nuée des nuits spirituelles qui parfois nimbe la vie du croyant, mais pour mieux l’alléger des attaches terrestres qui le retiennent de vivre d’un simple regard de foi purifié.

Mais qu’est-ce que nos deux auteurs chrétiens ont rétorqué, après que Finkielkraut eut fini d’exposer ses vues? Rien de copieusement catholique. Rien de satisfaisant théologiquement.

Mais qu’est-ce que nos deux auteurs chrétiens ont rétorqué, après que Finkielkraut eut fini d’exposer ses vues? Rien de copieusement catholique. Rien de satisfaisant théologiquement. Rien de minimalement inspirant. Rien qui ne puisse rehausser le mystère de la foi aux yeux des foules. Je n’en revenais pas. N’en suis toujours pas revenu.

J’étais en train d’écouter deux éminents esprits, solidement charpentés par des années d’étude assidue de la philosophie (du moins on peut le supposer), deux professeurs catholiques dont on aurait pu croire qu’ils avaient la formation (et pourquoi pas la fougue) pour dire la foi d’une façon telle qu’elle nous serait apparue pour ce qu’elle est: un phare dans la nuit de l’inculture contemporaine.

Mais non. Denis Moreau s’est contenté de dire que Bossuet avait eu bien de la chance d’avoir des certitudes; que ce n’était pas son cas. Rémi Brague a dressé un parallèle que je ne peux qualifier que de vaseux entre les incertitudes qui grèvent ou obèrent la relation conjugale et celles qui selon lui caractérisent (fondamentalement?) la relation de l’homme à Dieu.

C’était pauvre. Vraiment pauvre. Pauvre pas permis.

[La suite par ici.]



(1) Rémi Brague, « Qu’est-ce que le « vrai islam »? », dans Philippe Capelle (éd.), Dieu et la cité. Le statut contemporain du théologico-politique, Cerf (coll. Philosophie & Théologie), Paris, 2008, p. 63-77.

(2) M. Finkielkraut aurait eu plus de mal à ne faire de Blaise Pascal qu’un tenant du scepticisme, s’il s’était souvenu du début du Mémorial, texte que l’auteur des Pensées conserva sur lui toute sa vie:

« L’an de grâce 1654.

Lundi 23 novembre, jour de saint Clément pape et martyr et autres au martyrologe.

Veille de saint Chrysogone martyr et autres.

Depuis environ dix heures et demi du soir jusques environ minuit et demi.
Feu
Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob,
non des philosophes et des savants.
Certitude, certitude, sentiment, joie, paix.
Dieu de Jésus‑Christ. »

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.