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Une croyante peut-elle étudier les sciences humaines?

J’assistais récemment à la première séance du cinquième cours de méthodologie que je fais depuis mon entrée au Cégep. Je ne sais pas si c’est parce qu’on remet souvent en question la scientificité des sciences humaines qu’elles ressentent autant le besoin de s’attarder sur la méthodologie de leurs recherches.

Six années d’études plus tard, me voici à la maitrise et j’ai pourtant l’impression qu’on me sert la même soupe réchauffée: méthode scientifique, étude systématique, empirisme, positivisme, démarche hypothéticodéductive, etc.

Ceci n’est pas une science

Toujours est-il qu’on m’a encore expliqué ce qu’est la science et, surtout, ce qu’elle n’est pas.

La science est un mode d’appréhension du réel. Le but de la science est de créer des connaissances sur ce qui est, pas de spéculer sur ce qui devrait être. Elle s’oppose donc, nous dit-on, aux autres méthodes d’acquisition du savoir, dites « non-scientifiques ».

Parmi celles-ci, nous retrouvons au premier rang la religion. Grande nouvelle ! La religion n’est pas une science. Une chance que j’ai un cours de méthodologie pour m’apprendre ça !

Qu’on ne se méprenne pas, je trouve fort pertinent que les cours de méthodologie soient introduits par une réflexion sur la nature de la science, sur la manière de la pratiquer, sur son rôle dans la société. Je pense même que cette matière devrait être approfondie et envisagée sous plusieurs aspects.

Par exemple, on pourrait remettre en question la place de la théorie et de la recherche fondamentale dans l’Université d’aujourd’hui, qui semble s’orienter chaque jour un peu plus vers l’empirisme, ou encore chercher à évaluer la validité de la philosophie, une des dernières discipline qui résiste à la tentation de se « scientificiser ».

L’économie et la psychologie ont disparu au profit des sciences économiques et psychologiques. Même l’histoire ne semble plus exister, les universitaires font désormais des sciences historiques.

Vous remarquerez que les humanités ont été remplacées par les sciences humaines, puis par les sciences sociales. L’économie et la psychologie ont disparu au profit des sciences économiques et psychologiques. Même l’histoire ne semble plus exister, les universitaires font désormais des sciences historiques.

À quand les sciences littéraires et artistiques ?

Pourtant, plutôt qu’adresser des questionnements concrets et pertinents sur les limites de la science et sur les disciplines non scientifiques, on nous répète une évidence terrible : la religion n’est pas une science, celle-ci s’oppose même parfois à celle-là, voire tout le temps selon les universitaires athées.

Car voyez-vous, la science, elle, se pose des questions sérieuses et tente d’y répondre de manière rigoureuse. Le scientifique se permet de douter, il utilise sa raison, il se base sur des faits. Tout cela s’oppose-t-il nécessairement à la vie du croyant, à sa démarche personnelle ?

La méthode religieuse

Il me semble que non. Je pense que la foi n’est pas radicalement opposée au doute, au questionnement. Je dirais même que ces derniers sont plutôt sains pour tout être humain, qu’il soit croyant ou non.

Quand une personne croyante se pose des questions de nature religieuse, elle commence parfois son enquête avec une revue de littérature, en questionnant ses proches, en lisant les Écritures, en consultant un docteur de l’Église ou encore un simple site Web.

Le croyant peut même mener une étude de terrain, réaliser des entretiens semi-dirigés avec un prêtre ou des confrères de sa confession.

Elle va analyser les données recueillies en utilisant sa raison, son sens critique. Le croyant peut même mener une étude de terrain, réaliser des entretiens semi-dirigés avec un prêtre ou des confrères de sa confession. Sa démarche peut être très sérieuse et rigoureuse, il en vient à confirmer ou infirmer son hypothèse de départ. Une fois conclue, son étude s’ouvre sur des pistes de recherches ultérieures.

Voilà le cheminent de nombreux croyants. Bien sûr, il reste des différences majeures entre la quête de vérité du scientifique et celle du croyant.

Ce dernier ne peut pas faire des études expérimentales et reproductibles dans un environnement contrôlé. Il accepte de se baser sur des témoignages vieux comme le monde, sur des croyances dont il n’a pas nécessairement la preuve. Il accepte une part de mystère associée aux sujets qui dépassent les capacités de sa raison et de son entendement.

Surtout, il se différencie des scientifiques parce qu’il croit à la Vérité, notion que les chercheurs en sciences sociales ont remplacée par les faits et valeurs. Le croyant n’est évidemment pas neutre, c’est plutôt un chercheur engagé.

Mais l’objet du scientifique et du croyant sont-ils différents ? Si l’on estime que le scientifique a le monopole du réel, qu’il est le seul à produire des connaissances à son sujet, on ne peut faire autrement que penser que le croyant s’intéresse à l’irréel.

Il est vrai que les religions n’ont pas un discours objectif, qu’elles sont prescriptives et normatives. Cela est-il complètement incompatible avec un savoir sur le réel ? Il me semble qu’un discours sur ce qui devrait être est indissociable d’une connaissance sur ce qui est.

Si la religion parvient à la fois à parler d’un monde réel et d’un monde meilleur, c’est qu’il est possible d’appréhender la réalité par d’autres moyens que la science, l’empirisme, l’expérimentation. Ça, un professeur de méthodologie ne vous l’apprendra jamais. « Celui qui est » (Ex 3 :14), en revanche, peut vous l’apprendre.

Les préjugés académiques

Bref, ce que je souhaitais mettre en lumière, c’est que les croyants ne sont pas ceux qu’on nous présente dans l’introduction des cours de méthodologie et dans le milieu académique en général.

Leur appréhension de la connaissance n’est pas si différente de celle des scientifiques. Ils n’adhèrent pas bêtement à un dogme, sans jamais le remettre en question, sans jamais y réfléchir. C’est pourtant ce qu’on enseigne dans des cours et des manuels universitaires.

Alors que les scientifiques pourfendent l’opinion, la croyance, ils ne semblent pas voir qu’en traitant de ces sujets, eux-mêmes expriment des préjugés aberrants, et ce, sans égard pour les étudiants qui les écoutent et les lisent d’année en année avec, pour ma part, la même exaspération.

Ariane Blais-Lacombe

Ariane est une jeune mère passionnée de périnatalité. Diplômée en sciences politiques, elle aime écrire et réfléchir sur le Québec d’aujourd’hui et son rapport à la vie de famille.