Pierre-Yves McSween
Photo: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Amour et argent font-ils bon ménage ?

Quelques jours avant la Saint-Valentin, le comptable et chroniqueur Pierre-Yves McSween a offert aux Québécois son troisième livre, La facture amoureuse. Après Liberté 45, voilà qu’il lève le voile sur un aspect de l’amour dont on parle peu, mal, ou trop (!!!) : ses conséquences financières.

À voir comment l’argent permet à certains amoureux de passer leur vie ensemble ou alors de se séparer, il fait bien d’en parler. Il avance que les couples peuvent gagner en maturité grâce à une bonne gestion de leurs finances. « L’amour ne suffit pas », peut-on y lire. Et dans un sens, c’est bien vrai. Mais de quel amour parle-t-on ?

Pour McSween, il est clair que le plus important dans le couple ce n’est pas l’amour, la compatibilité ou le sexe, mais les finances ; l’amour et l’argent sont indissociables. 

Son angle est strictement financier, il l’assume, et il se défend de vouloir dire aux gens quoi faire. Il souhaite seulement les informer pour qu’ils prennent des décisions en connaissance de cause. Son livre, écrit le chroniqueur, est un outil pour réfléchir « dans le but que la santé financière soit l’alliée de ton couple et qu’idéalement, le côté obscur de l’argent ne vous mène pas à la rupture. »

N’empêche qu’à le lire et à l’entendre en entrevue, on y décèle une conception du monde et de l’amour qui n’est pas très édifiante. Derrière son pragmatisme financier se révèle un cynisme légitime à l’égard d’une vision de l’amour qui est creuse et bien mielleuse.

Jusqu’à ce que l’argent nous sépare

Deux thèmes du livre ont retenu mon attention : le mariage et le compte conjoint.

« Le mariage est un geste légal, financier, fiscal et économique. C’est tout. Point barre. On peut feindre l’amour, on peut avoir une double vie, mais on ne peut en aucun cas échapper aux conséquences financières, fiscales et légales du mariage. […] Le mariage est un contrat légal de séparation ».

Pierre-Yves McSween a raison de parler de cette manière. Sous un rapport strictement légal ou fiscal, que le mariage soit devant un prêtre ou un juge, le contrat civil signé par les époux détermine la manière dont leurs biens seront répartis en cas de séparation.

 « En tout respect pour les croyants, c’est un juge qui va orchestrer le côté légal de ta vie sur terre, pas une force qui t’accueillera au royaume de la vie d’après », peut-on lire. « Le reste, c’est du folklore », ajoute-t-il lors de son passage à Tout le monde en parle

Le reste, c’est sans aucun doute la robe de mariée, le lancer du bouquet de fleurs, le gâteau de noces, etc. Mais le folklore n’est pas seulement un ramassis de traditions plus au moins absurdes héritées ici et là. C’est aussi une vision intégrale du monde avec ses rites et ses symboles qui cherchent à accomplir dans notre conscience ce qu’ils signifient.

Ainsi, dans le mariage chrétien, lorsque les époux se promettent de devenir un, de faire un seul corps et une seule âme, jusqu’à ce que la mort les sépare, ce n’est pas pour le show. Ils devraient normalement espérer et viser que ces paroles se réalisent concrètement dans leur vie.

Que quelqu’un se donne pour nous et qu’en retour nous donnions notre vie pour l’autre de manière durable (aimer et être aimé), n’est-ce pas ce que nous désirons foncièrement en tant que personne ? Ce n’est pas ce que j’appellerais du folklore…

L’amour au temps des bobos

Dans la perspective fiscale soulevée par le divertissant comptable, l’engagement est toujours pensé en fonction d’un échec possible. Comment peut-on vivre l’engagement réel, le don total, si on se laisse la possibilité de se reprendre ? Comment réaliser cette promesse du mariage si on y entre avec l’appréhension d’une séparation ultérieure ?

À contrario, je pense que la mise en commun des biens résulte d’une vision du couple où il y a une unité. L’unité appelle la mise en commun. Et encore ici, même si Pierre-Yves McSween a raison de dire que le compte conjoint ne sert à rien, fiscalement parlant, il favorise la communion, l’unité : garder son compte personnel ouvre la porte à ce que chacun mène sa petite vie de son côté, et peut-être même sa double vie. 

Au fond, la conception de l’amour qui traverse son analyse est néolibérale. C’est un amour vécu ou pensé comme un échange, comme un contrat, un calcul cout-bénéfice. 

S’ajoute à cette vision de l’amour une approche bourgeoise de la vie où tout est calculé, où le moindre risque est anticipé (sinon choisi librement) pour s’assurer que rien ne vienne déranger un confort acquis par la force des mérites individuels. Je sais de quoi je parle : c’est mon état d’âme habituel !

Exit la saine et mutuelle dépendance les uns aux autres et l’occasion de créer la solidarité par la mise en commun.

Si, comme le dit Pierre-Yves McSween, « le mariage est une façon de sécuriser les anxieux, de répondre aux fameux plans des personnes contrôlantes », eh bien, on pourrait dire que l’indépendance financière aussi… 

La fracture amoureuse

On ne peut pas passer sous silence, par ailleurs, toutes ces histoires de divorces et de séparations qui laissent des personnes (et souvent des femmes) exsangues financièrement, sans aucun soutien d’une communauté réelle.

Si l’argent est une cause de conflits récurrente dans les couples, c’est sans aucun doute parce que les personnes sont trop attachées à l’argent ou manquent d’abnégation pour maintenir l’unité avec l’autre…

L’absence d’une vision structurante et profonde de l’amour est bien plus dangereuse pour un couple qu’une mauvaise séparation des actifs ; c’est une «hygiène» du couple et de l’amour qui est d’abord nécessaire, et non une hygiène financière ! 

La facture amoureuse, selon Pierre-Yves McSween, provient du déséquilibre entre deux variables : la satisfaction émotive et la satisfaction financière. Si l’une d’elles fait défaut, les deux conjoints se retrouvent alors avec un cout à payer, amoureux ou bien pécuniaire.

Et si l’amour véritable ne correspondait à aucune de ces deux variables ? L’autre personne n’est pas là pour nous satisfaire ni financièrement ni émotivement, mais pour nous aider à devenir la meilleure version de nous-mêmes dans un don réciproque totalement désintéressé.

Alors, amour et argent font-ils bon ménage ? Tout dépend si on aime l’argent au point de marchander l’amour de l’autre…

La facture amoureuse, Pierre-Yves McSween, Saint-Jean Éditeur, 2022, 400 p.

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.