Navalny
Photo : Mitya Aleshkovsky / Flickr

Affaire Navalny : l’aiguille au talon de Poutine

À son retour en Russie le 17 janvier dernier, l’avocat, homme politique et militant anticorruption Alexeï Navalny a été immédiatement arrêté par les autorités russes. Il est accusé d’avoir violé les termes de sa probation, après avoir fait face à la justice russe plus d’une fois dans le contexte de procédures judiciaires irrégulières. 

La récente arrestation de Navalny s’inscrit dans le contexte de publication d’un documentaire intitulé A Palace for Putin, portant sur la construction d’une monumentale résidence à Cap Idokopas, censée être destinée à l’autocrate russe. 

En effet, Navalny, en raison de ses activités politiques, a fait l’objet d’une série de procès visant à miner son influence. Dans le contexte d’une campagne électorale pour la mairie de Moscou, en 2013, par exemple, il avait été accusé puis reconnu coupable de détournements de fonds. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs estimé que le processus judiciaire contrevenait à son droit à un procès juste et équitable. 

Politiquement actif depuis plusieurs années et fondateur d’une organisation luttant contre la corruption endémique dans son pays, Navalny est devenu l’un des principaux opposants de Vladimir Poutine.

L’état actuel des choses en Russie est le résultat d’une transition ratée vers l’établissement d’une telle démocratie après la chute de l’Union soviétique dans les années 1990.

Il y a quelques mois seulement, en aout 2020, ce dernier tombait gravement malade à la suite d’un empoisonnement, vraisemblablement le fait d’agents du Service fédéral de sécurité (FSB), héritier du KGB soviétique.

Après avoir été soigné en Allemagne, son retour anticipé en Russie et son emprisonnement ont marqué le début d’un nouveau mouvement de contestation de l’ordre politique en place. On accuse le gouvernement russe de corruption et de violation des droits démocratiques de base des citoyens russes.

La gronde monte contre la corruption

Navalny
Photo : Liza Pooor / Unsplash

C’est par dizaines de milliers que des citoyens russes se sont rassemblés le 23 janvier dernier pour protester contre le traitement réservé à Navalny et les pratiques liberticides du gouvernement Poutine. De nombreuses manifestations satellites se sont également constituées à travers le territoire. Face au mouvement, les autorités ont interpelé et détenu plusieurs milliers de participants. Malgré la poursuite de ces manifestations à la fin du mois de janvier et en début février, le sort de Navalny apparait préoccupant, alors qu’il vient d’être condamné à plus de deux ans de prison.

Or, il est important de souligner que cette nouvelle vague de contestation n’est que l’expression la plus récente d’un mouvement plus profond, opposé à la gouverne de Vladimir Poutine et faisant la promotion d’une transition vers la démocratie libérale. En effet, l’état actuel des choses en Russie est le résultat d’une transition ratée vers l’établissement d’une telle démocratie après la chute de l’Union soviétique dans les années 1990.

Fin politique, Poutine a monté les échelons d’un État défaillant. Il a profité d’un vide d’autorité pour articuler autour de sa personne un régime autocratique derrière un voile d’institutions en apparence libérales. Malgré des vagues de contestation plus intenses que celle dont nous parlons aujourd’hui, notamment autour de son retour à la présidence en 2012, ce dernier maintient habilement son autorité en écartant ses opposants, parfois de manière spectaculaire et surprenante.

Un « miracle de Dieu » pour la Russie ?

L’une des clés de la stabilité de la Russie de Poutine aura d’ailleurs été le lien privilégié entre son gouvernement et les autorités en place dans l’Église orthodoxe russe, dont le Patriarche Cyrille de Moscou aura été un artisan majeur. En 2011, en amont de son retour à la présidence, il avait même dit de l’ère Poutine qu’elle avait été un « miracle de Dieu » pour la Russie.

Il est par ailleurs intéressant de souligner que le Patriarche a lui aussi fait l’objet des accusations de corruption de Navalny. Ce dernier critiquait l’Église orthodoxe russe pour les moyens économiques énormes, mais cachés, dont elle disposait. On apprenait d’ailleurs à l’époque qu’une photographie du Patriarche portant une montre de très grande valeur avait été modifiée afin de la dissimuler.

Plus récemment, cependant, la relation de Cyrille de Moscou avec le Kremlin s’est refroidie, à la suite de désaccords sur la gestion de l’annexion de la Crimée par la Russie et les troubles que celle-ci a impliqués pour l’Orthodoxie russe et ukrainienne. 


Benjamin Boivin

Diplômé en science politique, en relations internationales et en droit international, Benjamin Boivin se passionne pour les enjeux de société au carrefour de la politique et de la religion. Quand il n’est pas en congé parental, il assume au Verbe médias le rôle de chef de pupitre pour les magazines imprimés.