Chaise musicale protocolaire

« Quand marcher sans autre but
Plus de passé, demain fourbu »

– Céline Dion, « Les derniers seront les premiers » (1996)

Le Devoir nous apprenait récemment qu’une partie de chaise musicale avait eu lieu dans le bureau du chef du Protocole. Des gens de party, je vous le dis.

Les épiscopes du Protocole, ce sont eux qui organisent les fiestas officielles de l’État, les bamboulas du Salon rouge et autres remises de médailles, de rubans et de guirlandes. À ces excitantes cérémonies, ils s’assurent que les dignitaires d’ici et d’ailleurs soient bien assis, le-dos-droit-les-oreilles-molles, dans l’ordre le plus parfait.

Bref, à quelques détails près, c’est un job comme un autre.

Je disais donc plus haut que les responsables du Protocole, accompagnés du premier ministre aux tables tournantes, ont joué fort à la chaise musicale la semaine dernière.

Sur une toune pas yâble de Céline, avec des paroles de Jean-Jacques Goldman furtivement empruntées à l’évangile selon saint Matthieu, les notables dansaient autour d’un tas de sièges de velours quand la musique s’est arrêtée.

Tout le monde a trouvé une place pour déposer ses fesses de dignitaire. Tout le monde? Presque.

Pas de bousculade. La haute joue avec classe. Dans un calme étonnant, tout le monde a trouvé une place pour déposer ses fesses de dignitaire. Tout le monde? Presque.

Les gagnants

Rarement du côté des victorieux de l’Histoire, les Premières nations ont raflé le jackpot : un fauteuil, quelque part entre le consul d’une ile lointaine et le maire de Drummondville. Dire que je les envie est un euphémisme.

À défaut d’avoir de l’eau potable dans leurs réserves, les Premières nations pourront se consoler en se disant qu’au moins, leurs représentants pourront désormais voir quelque chose aux cérémonies officielles de l’État.

(Si je n’avais pas peur de blesser ma coiffeuse hellénique, je dirais que c’est un cadeau de grec. Mais malgré tout le cynisme qui m’habite, je me réjouis sincèrement pour les Premières nations de cette reconnaissance symbolique.)

Donc, slow-clap. En attendant l’eau potable.

Les perdants

Le bonheur des uns faisant le malheur des autres (et inversement), il semble que la joute a également fait des perdants : les représentants de l’Église.

Cela dit, si j’étais à la place des évêques du Québec, je serais plutôt soulagé de ne plus devoir me taper ces longues cérémonies ennuyeuses. Surtout que ce n’est pas l’ouvrage qui manque ces temps-ci. Chaque minute investie dans ces parades de pingouins en smoking ne l’est pas à évangéliser, à soutenir les fidèles par les sacrements, à accompagner le peuple de Dieu.

Certains me diront, avec raison, que les pingouins ont le droit, eux aussi, d’être évangélisés.

Par ailleurs, certains me diront, avec raison, que les pingouins ont le droit, eux aussi, d’être évangélisés. Et que ces cérémonies sont de belles occasions pour les dignitaires religieux de témoigner de la joie de l’évangile au sein de la haute société. D’accord.

D’autres me diront que le protocole, les cravates et le décorum ont encore leur raison d’être en 2019. D’accord again.

Or je pense que les vrais perdants de cette partie de chaise musicale ne sont pas nos évêques et autres dignitaires religieux. Ce ne sont pas non plus les autres dignitaires qui se privent du coup d’être en contact avec des chrétiens. (Ils ne savent pas ce qu’ils manquent!)

La grande perdante, c’est notre mémoire.

Comme dans le cerveau d’une personne qui commence à faire de la démence, notre tête collective (disons, notre élite) ressemble de plus en plus à un gruyère.

En abolissant la place des dignitaires religieux dans l’ordre de préséance, l’État québécois continue l’entreprise de mise au rencart de grands pans de notre histoire nationale.

Simplicité involontaire

La seule fois où Jésus s’est retrouvé dans la salle du trône, c’était pour recevoir de Pilate sa sentence. La seule fois où l’apôtre Paul de Tarse a été debout dans la même pièce qu’un représentant de l’empereur, c’était pour son procès.

S’ils veulent être crédibles aujourd’hui, les membres de l’Église, qu’ils soient dignitaires ou quidams, ont tout avantage à se mettre à l’école de la famille de Bethléem. Simplicité et humilité.

J’aime bien citer cette expression du pape François : « L’humilité ne peut s’enraciner dans le cœur qu’à travers les humiliations. Sans elles, il n’y a ni humilité ni sainteté. » (Gaudete et Exsultate, no118)

Cette humiliation rendra la parole des chrétiens encore plus libre, audible et crédible.

Oui, le fait d’être rétrogradé à un banc inférieur est insultant pour les croyants, pour leurs représentants et pour ce que leur fonction représente, c’est-à-dire l’apport des chrétiens dans la construction de la société québécoise.

Toutefois, sans l’ombre d’un ressentiment, je persiste à croire que cette humiliation rendra la parole des chrétiens encore plus libre, audible et crédible.

Maintenant, il restera à savoir si, lors de funérailles d’État célébrées dans une église, les représentants de l’Église pourront assister à l’évènement…


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Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.