Le père Henri Boulad, jésuite (photo: Wikimedia -CC).
Le père Henri Boulad, jésuite (photo: Wikimedia -CC).

« Le monde a besoin de nouveaux prophètes » (Henri Boulad)

Le père Henri Boulad est né le 28 aout 1931 à Alexandrie. Il est ordonné prêtre le 31 juillet 1963 à Beyrouth. De confession melkite catholique et membre de la Compagnie de Jésus, Il a été directeur de Caritas Égypte, vice-président de Caritas-Internationalis pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et directeur du centre culturel jésuite d’Alexandrie. La France lui décerna en 1983 le titre d’Officier de l’Ordre national du mérite, avant de l’élever quelques années plus tard au rang de Commandeur de ce même ordre.

Auteur prolifique, il a publié de nombreux essais sur la foi et intervient régulièrement dans les médias en Occident et au Moyen-Orient. Étienne-Lazare Gérôme, l’a rencontré lors de son tout récent passage à la Fraternité monastique de Jérusalem, à Montréal, où il donnait une conférence sur la situation des Chrétiens en Égypte.

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Le Verbe: Père Boulad, permettez-moi d’entrer rapidement dans le vif du sujet : vous êtes un prêtre dont le discours contraste largement avec celui de vos coreligionnaires, tant orientaux qu’occidentaux. Votre texte « J’accuse ! », écrit au lendemain des attentats anticoptes du 9 avril dernier en plein dimanche des Rameaux, est sans concessions vis-à-vis de l’islam. Pourquoi de telles prises de position?

Henri Boulad: Parce j’estime qu’il est grand temps de réagir face à un aplatissement généralisé et à une démission massive devant une réalité qui crève les yeux. Cette double trahison, tant de la part des hommes d’Église que de la part des dirigeants occidentaux, doit être fermement dénoncée. Les discours enrobés de coton ne sont plus de mise. À force de nuancer ses propos, comme on le fait aujourd’hui, on trahit la vérité.

Il faut oser parler vrai, sans détour ni faux-fuyants, comme le Christ l’a fait. Le monde d’aujourd’hui a plus que jamais besoin de nouveaux prophètes qui parlent sans concessions et tournent le dos au « politiquement correct » qui occulte la vérité.

Le Verbe: Votre « J’accuse ! » contre l’islamisme est une référence au « J’accuse…! » de l’écrivain Émile Zola. Ce texte, publié le 13 janvier 1898, était une prise de position en faveur de l’officier français juif Alfred Dreyfus, condamné à tort pour trahison. Zola y accuse publiquement l’institution militaire française d’antisémitisme, à une époque où le climat social était défavorable aux Français de confession juive. Qui sont, aujourd’hui, les bourreaux que vous condamnez et les victimes que vous défendez?

Henri Boulad: Les bourreaux sont les élites occidentales mondialistes et multiculturalistes, qui se sont alliées aux islamistes, car tous les deux partagent les mêmes objectifs. En effet, le mondialisme multiculturaliste et l’islam sont des systèmes hégémoniques à visées universalistes. Cependant, le multiculturalisme seul, dans un espace culturel homogène, est un non-sens ; il a donc besoin de la diversité pour justifier son existence.

L’islam a, de son côté, besoin d’un cadre légal qui légitime son implantation dans des espaces culturels auxquels il est étranger, j’entends ici l’Occident. L’islam crée donc de la diversité en Occident et permet ainsi au multiculturalisme de justifier son existence, en échange de laquelle ce dernier offre à l’islam la légitimité dont il a besoin pour exister en Occident.

Il faut donc dépasser la simple question de la protection des chrétiens, car c’est l’idée même de civilisation qui est en jeu.

La victime de cette alliance est l’humanité dans son ensemble. Il faut donc dépasser la simple question de la protection des chrétiens, car c’est l’idée même de civilisation qui est en jeu, en particulier celle de l’Occident. On remarque par exemple que des valeurs et des principes conquis de haute lutte pendant des siècles (liberté d’expression, égalité hommes/femmes, etc.) sont en train d’être détruits avec une rapidité et une facilité incroyables.

Face à ce terrible constat du déclin de l’Occident, deux visions sont possibles. Tout d’abord, celle d’une islamisation progressive de l’Occident, qui signerait la fin de celui-ci. C’est une vision sans concessions.

L’autre approche est celle d’une vision hégélienne de l’histoire qui repose sur l’idée selon laquelle l’histoire va dans une direction irréversible et que sa marche vers le progrès et le Bien est inéluctable. Le processus qui l’anime ne saurait avorter, quels que soient les obstacles.

La métaphore qui illustre le mieux cette vision est celle de la pluie qui tombe sur la montagne : vous aurez beau construire des barrages et détourner le cours des rivières, l’eau se fraiera toujours un passage et poursuivra inéluctablement sa marche vers la vallée et la mer.

Cette perspective prend en compte le risque d’une islamisation à court terme de l’Occident, mais postule qu’il ne s’agit là que d’une étape, d’une passade, qui n’entamerait que provisoirement la marche inéluctable de l’Occident vers le progrès et le Bien. Le problème est que l’avenir est par définition une grande inconnue, si bien qu’il est impossible de savoir quel est le scénario qui adviendra.

Le Verbe: Dans vos interventions et vos écrits, marqués par une approche aristotélicienne, vous parlez souvent de l’importance de la vérité comme préalable à tout dialogue sincère. Quelle est donc cette vérité à laquelle vous tenez tant?

Henri Boulad: Il est très difficile de répondre à votre question, car on ne saurait traduire la vérité dans des mots et des concepts. Jésus lui-même s’est tu devant Ponce Pilate qui lui posait cette question. L’on peut cependant dire que la vérité est la force structurante de l’univers, le Verbe qui est au commencement de tout, le Logos par lequel tout tient. Elle s’incarne et s’exprime dans la nature profonde des choses et la calme certitude que celles-ci iront comme elles doivent aller.

La vérité est l’énergie qui fait la cohésion du cosmos et garantit son unité. Elle s’incarne tout simplement dans l’ordre des choses. Dans cette logique, on peut dire que tout ce qui s’oppose à l’ordre des choses n’est pas la vérité.

Mon attachement à la vérité tient à mon intime conviction que tout ce qui se bâtit contre elle ou en dehors d’elle est voué à l’échec. On ne peut indéfiniment aller contre l’ordre des choses et la nature. C’est la raison pour laquelle le nazisme et le communisme ont échoué, et c’est pour la même raison que l’islamisme échouera lui aussi à son tour.

Le Verbe: Normalement, un homme d’Église ne doit pas se mêler de politique. Or, vos propos sont souvent politiques et ancrés dans le temporel et le réel. Selon vous, l’Église a-t-elle un rôle politique à jouer? Si oui, lequel?

Henri Boulad: Oui, l’Église ne saurait se cantonner dans le spirituel pur, car en tant qu’institution, elle s’enracine dans l’histoire. Son rôle ne se situe pas au niveau des élections ou des partis politiques ; il est plus indirect, plus subtil. L’Église incarne une vision basée sur l’Évangile. Son rôle est d’être un guide, une lumière, une source d’inspiration et d’orientation qui éclaire le politique sans s’y impliquer directement.

Pour reprendre l’allégorie de la caverne de Platon dans La République, l’Église cherche à montrer aux Hommes ce qu’ils ne voient pas spontanément. Elle les aide à « lire les signes des temps » dans notre époque de grande confusion.

Si je pense pouvoir réveiller les consciences, c’est que ma foi en l’avenir est inébranlable, mon espérance intacte, et que je suis donc un optimiste.

Pour être capable de jouer ce rôle prophétique, elle doit s’appliquer à elle-même cet impératif de recherche de la vérité dans son observation du monde et du réel. Son rôle n’est pas d’imposer quoi que ce soit, mais de proposer ce qu’elle pense être juste et vrai, en laissant aux hommes la liberté de choisir, et en les plaçant face à leurs responsabilités.

Le Verbe: Vos positions quant à l’avenir du monde semblent plutôt pessimistes. Où se situent l’espérance et la foi dans un tel contexte? Comment espérer?

Henri Boulad: Le mal est tellement évident autour de nous que la tentation est de céder au pessimisme. Cependant, ce que je vise est plutôt de réveiller les consciences. Mon pessimisme n’est alors qu’apparent et n’a qu’une visée utilitariste : il est pédagogique.

En effet, si je pense pouvoir réveiller les consciences, c’est que ma foi en l’avenir est inébranlable, mon espérance intacte, et que je suis donc un optimiste.

J’aime à me rappeler Napoléon qui, dans ses mémoires, distingue les deux forces qui se partagent le monde : le glaive et l’esprit. Des deux, c’est toujours l’esprit qui est le plus fort. Une poignée d’individus convaincus et organisés peut avoir raison d’une masse amorphe et inerte.

Ma certitude absolue qu’il n’existe pas de fatalité est ce qui me stimule et me motive.

Étienne-Lazare Gérôme

Étienne-Lazare Gérôme collabore au Verbe depuis 2017. Adepte d'un ton franc, direct, et souvent tranché, sa plume aiguisée est singulière, mais fait toujours montre de justesse, de compassion, et d'empathie.